Pour se rendre à Prizren depuis Pristina, il suffit de parcourir une heure sur l'autoroute Ibrahim Rugova et le seul souci du conducteur aura été de faire le plein d'essence avant de s'y engager puisque, de manière très étonnante, les aires de repos, si elles sont bien indiquées tous les vingt kilomètres environ au moyen de panneaux ne laissant aucune place au doute, sont... fictives. Une spécificité locale difficilement explicable pour le visiteur occasionnel et qui fait même sourire les locaux.
Pristina-Prizren, donc, un voyage sans histoire particulière, mis à part ces fameuses stations-fantômes, excepté lorsque l'automobiliste pas trop au fait du calendrier des courses cyclistes découvre que ce tronçon d'autoroute de 80 kilomètres accueille ce mercredi une étape du Tour du Kosovo et que l'aimable et efficace police locale a décidé de ne pas fermer la voie, mais de «proposer» aux centaines de voitures et de camions de... suivre le rythme de la course, bien calés derrière les feux bleus et rouges!
Voilà donc un convoi bien étonnant qui s'organise, roulant au pas lorsque l'autoroute monte, forcément, les mollets des cyclistes étant ce qu'ils sont, et allant jusqu'à 60 ou 70 km/h en descente. Le trajet, au lieu d'une heure, durera finalement plus du double, avec un joli vacarme de klaxons de travailleurs mécontents et qui avaient visiblement manqué l'information eux aussi.
Arriver à Prizren, la deuxième plus grande ville du Kosovo, aura donc été une aventure étonnante et sympathique, et il faut croire que découvrir cette cité se mérite, au vu de sa beauté et de son charme. Son centre historique, pavé et boisé, est agréable, ses cafés au fil de l'eau aussi et il faut marcher un petit kilomètre depuis la Mosquée et l'église orthodoxe, très proches l'une de l'autre, pour rejoindre le stade Përparim Thaçi où s'entraîne cette fin d'après-midi de trêve internationale la première équipe du KF Liria Prizren, néo-promue en première division kosovare.
Ballkani et Drita sont performants sur la scène européenne
A quelques jours de ce très attendu Kosovo-Suisse à Pristina, quelle est la réalité du championnat kosovar? Comment la formation locale se développe-t-elle? Où s'arrête la limite du professionnalisme dans ce pays où le salaire moyen se situe autour de 400 ou 500 euros, la monnaie locale, et où un café dans un établissement public coûte un euro?
Le Kosovo, même s'il est mal parti dans les qualifications de l'Euro 2024, est une force montante du football européen pour ce qui est de sa sélection, mais son championnat local souffre d'un problème d'infrastructures et d'une réputation encore mal établie. Les bons résultats du FK Ballkani, qualifié pour la deuxième fois d'affilée pour la phase de groupe de la Conference League, amènent cependant un peu de lumière sur ce championnat, tout comme les performances de Drita, l'autre grand club du pays, qui a tenu tête à Feyenoord l'an dernier et au Viktoria Plzen cette saison, se retrouvant éliminé à chaque fois pour un petit but.
Le KF Liria Prizren, lui, ne peut pas se comparer aux deux cadors kosovars, étant néo-promu en Super Liga, ce championnat à dix équipes où chaque formation affronte quatre fois ses rivaux, une formule que connaît particulièrement bien la Suisse. «Ballkani et Drita sont au-dessus des autres, c'est clair», confirme Redon Arifi à Blick. Le très costaud défenseur central du KF Liria (195 centimètres de muscle) est tout jeune (19 ans) et est l'une des promesses du club de Prizren, lui qui a été formé du côté de Pristina au sein de la très réputée académie «2 Korriku» ou «2 juillet» en version française.
Un stade de 8000 spectateurs qui a fait le plein pour le retour en Super Liga
«J'ai déménagé à Prizren cet été pour ne pas avoir à faire la route tous les jours et pouvoir me concentrer sur le football. Vous voulez connaître la réalité du football kosovar? Je suis content que vous soyez venu cette année et pas il y a trois ou quatre ans, parce que beaucoup de choses ont changé, en bien», explique Redon Arifi, qui estime que le championnat local va dans la bonne direction.
«Mais c'est sûr que les infrastructures sont encore mauvaises. Ici, à Prizren, notre stade est bien. Il peut accueillir environ 8000 personnes et il était d'ailleurs plein pour notre premier match. Prizren est une grande ville et ce retour en première division était très attendu. Le souci, ce n'est pas le stade, c'est qu'il est sur-occupé. Nous ne sommes pas les seuls à jouer ici», détaille le défenseur central en désignant le terrain artificiel qui fait office de terrain principal, et dont seule une tribune est couverte, en attendant la deuxième.
«Au Kosovo, c'est comme dans le championnat suisse: 50% de terrains synthétiques, 50% de terrains en herbe», explique celui qui connaît bien la Suisse pour avoir passé trois mois en test avec les M21 du FC Lucerne, avant de revenir au pays dans l'attente et l'espoir de pouvoir tenter sa chance une nouvelle fois. International kosovar M19, il rêve de jouer dans un grand championnat, avec un fantasme ultime: Liverpool. «Je n'y suis pas encore, mais je me bats tous les jours pour progresser. Je suis grand, costaud, bon dans les airs, avec une belle qualité de longue balle», énumère-t-il, en s'accrochant à la visibilité grandissante du championnat local.
Mergim Bajrami, revenu et reparti
«Beaucoup de recruteurs regardent le Kosovo, j'en suis convaincu. Si je fais de bonnes prestations, j'aurai des propositions», espère celui qui a beaucoup parlé ces dernières semaines avec Mergim Bajrami. L'ancien joueur de Grasshopper et de Schaffhouse a en effet passé quelques semaines au KF Liria avant d'en repartir, mais a eu le temps d'évoquer la Suisse et son championnat avec son jeune collègue. «Je sais que c'est à partir de la troisième division, la Promotion League, que les gens doivent travailler à côté du football», explique-t-il, tirant un parallèle avec la réalité kosovare.
«Ici, vous pouvez gagner 500 euros par mois, ou tirer jusqu'à 1000, en Super Liga. Les meilleures équipes, Ballkani et Drita, paient mieux, parce qu'elles bénéficient des primes européennes. Les autres, c'est plus dur, mais les clubs compensent en mettant des appartements à disposition et en trouvant des arrangements pour la nourriture. Personne ne peut se plaindre et chacun est libre de travailler à côté. Certains ont un business familial, ce qui est compatible avec l'emploi du temps d'un footballeur. Pour moi, l'argent n'est pas important aujourd'hui. Je suis jeune, je vise ma progression individuelle, et j'ai le soutien de mes parents. Ils m'aident beaucoup et je peux ainsi me concentrer à 100% sur le football, sans penser à l'argent. Cela viendra après, si je suis performant», explique Redon Arifi.
Trois footballeurs namibiens à Prizren
Si son effectif en grande majorité composé de joueurs kosovars, le KF Liria Prizren compte trois joueurs namibiens dans son contingent dont deux se trouvent actuellement en équipe nationale. «Ce sont de super gars, qui veulent eux aussi franchir un palier. Comme je l'ai dit, ici, le championnat est de plus en plus regardé, on peut se faire repérer», enchaîne le défenseur de 19 ans.
Team manager de la sélection nationale kosovare et fin connaisseur du football local, Bajram Shala confirme lui aussi la qualité grandissante du championnat local. «Nous progressons au coefficient UEFA. Je n'ai pas peur de dire que notre championnat est déjà plus compétitif que ceux de pays limitrophes comme la Macédoine, le Montenegro et l'Albanie, alors qu'il n'est vieux que de sept ans. Nous ne sommes pas loin de la Slovénie et notre championnat est inférieur à ceux de Croatie et de Serbie, mais la qualité intrinsèque est déjà très bonne au vu des conditions. Les stades ne sont pas bons, les terrains non plus, ce qui peut donner cette perception biaisée d'un manque de qualité général. Nous avons besoin de l'aide de l'Etat pour les infrastructures, c'est indéniable, mais la qualité du championnat et des joueurs est bonne», estime-t-il.
A Prizren comme ailleurs au Kosovo, la passion du football et du sport en général est une réalité. «On apprécie aussi le basketball, qui est le deuxième sport le plus suivi derrière le football, explique Redon Arifi. Mais ce qui est frappant, c'est vraiment la fierté des gens pour leur ville, leur région. Et pour le Kosovo en général, bien sûr.» Ce désir de reconnaissance et cette volonté d'affirmation par le sport transpirent en effet de partout.
Les coéquipiers de Granit Xhaka et de Xherdan Shaqiri en équipe de Suisse découvriront cette ferveur ce samedi soir au stade Fadil Vokrri. Et il faudra être prêt à l'affronter, tant sur le plan des émotions que sur celui du jeu.