L'œuvre d'une vie
«Servette, mon enfance», bien plus qu'un film

Pourquoi «Servette mon enfance» est-il à voir absolument? Parce qu'il est bien plus qu'une compilation des souvenirs d'enfance du réalisateur, il est le témoignage d'une époque. Drôle, émouvant et riche en petites histoires qui font la grande, ce film est une merveille.
Publié: 14.03.2024 à 08:48 heures
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Dernière mise à jour: 20.03.2024 à 10:18 heures
La glorieuse équipe de 1979, avec Joko Pfister, Marc Schnyder, Jean-Yves Valentini, Piet Hamberg, Bertine Barberis, Serge Trinchero, Gilbert Guyot, Karl Engel, Franz Peterhans, Didi Andrey, Lucio Bizzini, Jean-Claude Milani, Jean-Luc Martin, Hans-Peter Weber, Guy Dutoit, Franco Seramondi, Gérald Coutaz et Yves Mauron, ainsi que l'entraîneur Peter Pazmandy et le coach Jean Locca.
Photo: Keystone
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

Il faut imaginer Gérard Castella, Pierre Dutoit et Marc Schnyder en virée dans le nord de l'Allemagne et avoir une idée un peu étonnante, pour rester poli: escalader un grillage et passer la nuit sous tente dans le rond central d'un stade mythique à la veille d'une grande finale. Le réveil? Au doux son mélodieux des grognements de trois bergers allemands pas forcément satisfaits de leur découverte de 5h du matin... Ainsi étaient ces Servettiens, insouciants, farouches, conquérants et capables de toutes les extravagances et surtout extrêmement unis, sur le terrain comme en dehors.

Plus qu'un film, l'oeuvre d'une vie

Yves Matthey a réussi un tour de force avec ce film magnifique et tellement émouvant qu'est «Servette mon enfance», proposant d'entrer durant 90 minutes, le temps d'un match de football, dans ses propres souvenirs d'enfant sans tomber une seule seconde dans le piège de la mièvrerie et de la nostalgie fantasmée.

«Servette mon enfance» raconte une réalité, celle de ce football des années 60 et 70 où les joueurs étaient des acteurs de la cité, des hommes «que l'on pouvait toucher et rencontrer au coin de la rue». Il le raconte aujourd'hui avec ses yeux d'adulte, mais une âme d'enfant, symbolisée dès cette toute première image où on le voit avec son frère, aujourd'hui disparu et auquel le film est dédié, tenir un drapeau confectionné spécialement pour l'occasion: leur tout premier match du Servette FC.

«J'avais écrit FC Servette sur mon drapeau, comme vous pouvez le voir, je m'excuse envers tous les puristes», a souri le cinéaste après la première projection de son film, laquelle s'est effectuée en présence de plusieurs joueurs emblématiques de cette époque, dont Joko Pfister, Didi Andrey et Valer Nemeth notamment, tous invités au stade un peu plus tard pour recevoir une ovation du public avant le derby lémanique face au Lausanne-Sport.

Le tout premier match du Servette FC (ou FC Servette...) des frères Matthey, au terrain de la Charrière à La Chaux-de-Fonds.
Photo: DR

Ce film est vraiment épatant, car il mêle des souvenirs plein de tendresse, comme le moment où un supporter nommé Massimo Lorenzi détaille, la voix un peu tremblante, le moment précis où sa main d'enfant rejoignait celle de son père en «montant au stade», la tenue qu'il se devait d'avoir durant ce temps, où son paternel veillait à ce que jamais un joueur ne soit sifflé ou l'arbitre insulté, mais aussi des anecdotes franchement hilarantes, pimentées par la gouaille d'Erich Burgener (l'oeil encore narquois lorsqu'il raconte le jour où il a joué avant-centre dans un derby face à Lausanne, marquant le 1-0...) et de Joko Pfister, aussi forts pour capter l'attention du spectateur qu'ils l'étaient pour faire le spectacle sur le terrain.

Et que dire des images si impressionnantes de Jacky Fatton, dont l'adresse face au but et la simplicité humaine crèvent l'écran encore aujourd'hui, soixante ans plus tard?

Pierre Dutoit, l'anticonformiste

Les supporters du Servette FC ne peuvent pas ne pas être touchés par ce film, eux qui sont invités à replonger en enfance, et l'amateur de football neutre ne pourra quant à lui tout simplement pas rester indifférent à toutes ces petites histoires dans la grande, découvrant par exemple un Pierre Dutoit très touchant lorsqu'il se définit lui-même comme «anticonformiste», mais aussi lorsqu'il évoque son après-carrière et sa volonté de couper avec le monde du football. Il raconte même être allé jusqu'à refuser de se retourner dans la rue lorsque quelqu'un l'appelait par son surnom et se révèle d'une ironie acide lorsqu'il lui est proposé de revenir sur sa ressemblance physique avec George Best évoquée par un journal anglais. «On avait des points communs, dont l'alcoolisme...»

«Et ils se sont même trompés sur mon prénom...», sourit Pierre Dutoit en parlant de cette improbable coupure de presse.
Photo: DR

Autre moment hautement émouvant, celui où Jacky Barlie parle de son enfance à l'hospice et de la manière dont le Servette FC lui a permis de se construire une destinée, lui qui n'avait aucune idée de ce à quoi pouvait bien ressembler le monde du football avant de comprendre qu'il pourrait en être un acteur majeur à grands coups de sorties la tête en avant dans les pieds des attaquants, mais aussi d'envolées en lucarne.

Un peu fou, le grand Jacky Barlie, sans doute, mais aussi terriblement attachant dans ce film-documentaire, où l'on sourit aussi en écoutant Georges Haldas défendre férocement son amour du football envers ses collègues écrivains, lesquels méprisaient sa passion pour le ballon rond. Autre grand personnage interviewé, l'immense acteur Jean-Luc Bideau, supporter du Servette FC, ce qui rajoute encore un peu de profondeur au film.

Jacky Barlie se livre sans retenue dans ce film à voir absolument.
Photo: keystone-sda.ch

Yves Matthey a ainsi réussi le tour de force d'inviter plusieurs grandes figures à venir devant sa caméra, faisant parler l'emblématique et regretté journaliste Jacques Ducret, mais aussi Gilbert Guyot et les frères Gilbert et Gérard Castella, lesquels font revivre les parties de foot inter-quartiers à la lumière des phares des vélomoteurs, sous le regard désapprobateur de leur père, pour lequel le football était un sport de voyous. Leur carrière fera changer le paternel d'avis, lui qui se promenait ensuite fièrement avec dans son portemonnaie une photo de chacun de ses fils en maillot grenat!

Bernd Dörfel, le cador venu d'Allemagne

Le film d'Yves Matthey raconte ainsi les aventures personnelles qui ont formé la grande oeuvre collective qu'était ce Servette FC des années 60 et 70, capable de proposer un contrat à Bernd Dörfel, attaquant de l'équipe d'Allemagne, dont les images d'archives et la pureté de la frappe font sensation sur la pellicule, même cinquante ans plus tard.

Là aussi, ce film réussira, on l'espère, le tour de force de réunir les générations de supporters grenat: les plus anciens se rappelleront avec émotion de la classe de l'attaquant allemand et les plus jeunes doivent absolument se rendre devant le grand écran ces prochains jours pour découvrir qui il était et pourquoi Servette lui doit beaucoup, ainsi qu'aux autres, mais aussi pourquoi eux-mêmes doivent beaucoup au club grenat.

Joko Pfister, le football et les filles

Comment ne pas rire, en écoutant Joko Pfister parler de son arrivée à Genève et de ce surnom, justement. «Ma mère n'aimait pas du tout qu'on m'appelle Joko. Elle voulait qu’on m’appelle Hans-Jörg, rien d’autre», sourit l’ailier, lequel a inscrit 72 buts en 159 matches lors de son passage dans ce qui restera pour l’éternité comme l’une des meilleures équipes suisses de l’histoire, ce Servette FC de la fin des années 70.

Joko Pfister avoue d’ailleurs ne jamais avoir retrouvé le même sentiment de plénitude par la suite, même si sa carrière l’a mené à Grasshopper, autre force de l’époque. «Pourtant, en tant qu’Alémanique, j’aurais dû me sentir mieux à Zurich qu’à Servette mais ce n’était pas le cas. Genève est à part dans mon coeur et, encore aujourd’hui, chaque fois que je m’y rends, je me sens heureux comme un gamin», explique le Biennois, lequel n’est pas avare en anecdotes sur son passé de rock-star aux Charmilles.

Photo: DR

«Parfois, j’avais donné rendez-vous à trois filles après le match, mais elles pensaient toutes être la seule. Je les voyais les trois m’attendre, alors je demandais si je pouvais passer par une autre sortie. Ca s’arrangeait toujours, je les rappelais ensuite séparément», se marre-t-il franchement.

Le trio hongrois amené par les chars soviétiques

Ce «Servette mon enfance» convoque aussi la grande histoire, celle de l'insurrection hongroise de 1956 face aux chars soviétiques. Plusieurs milliers de personnes fuient le pays et trois joueurs d'exception débarquent ainsi au Servette FC: Peter Pazmandy, Valer Nemeth et Deszo Makay. Là aussi, le film d'Yves Matthey fait parler les acteurs de cette époque, dont Valer Nemeth, devenu «plus Genevois que les Genevois» et qui se souvient de son arrivée au bout du lac avec son délicieux accent magyar.

Peter Pazmandy, arrivé de Hongrie après l'invasion des chars soviétiques, et devenu par la suite entraîneur du Servette FC.
Photo: DR

Il y aurait tellement à dire sur ce film, finement monté et plein d'humour, lequel est bien plus qu'une addition de simples souvenirs d'enfance du réalisateur, mais qui raconte une épopée, laquelle s'arrête au soir du quart de finale des Coupe des Coupes face au Fortuna Düsseldorf en 1979.

Mais évidemment, l'histoire du SFC, elle, n'est pas terminée et les héritiers de ces figures du passé s'appellent Miroslav Stevanovic, Alexis Antunes et Jérémy Frick. A eux d’écrire une page tout aussi brillante de cette riche histoire, ce jeudi soir à Plzen, en 8es de Conference League, après le 0-0 de l'aller. Avant, pourquoi pas, de se rendre à Cinélux, en plein coeur de Genève, un de ces prochains jours pour voir à quoi ressemblait le quotidien de leurs prédécesseurs. Même si leur calendrier est très chargé ces jours, on ne peut que leur conseiller de trouver 90 minutes pour s'asseoir confortablement dans un fauteuil de ce cinéma historique du quartier de la Jonction. Ils ne perdront pas leur temps, c'est une certitude, et il y a même de fortes chances qu'ils en ressortent émus, touchés, et encore un peu plus fiers de porter le maillot grenat après la projection qu'avant.

Servette mon enfance, à Cinélux dès le 14 mars, toutes les informations ici.  

Photo: DR
Credit Suisse Super League 24/25
Équipe
J.
DB.
PT.
1
FC Zurich
FC Zurich
14
7
26
2
FC Bâle
FC Bâle
14
20
25
3
FC Lugano
FC Lugano
14
6
25
4
Servette FC
Servette FC
14
2
25
5
FC Lucerne
FC Lucerne
14
4
22
6
FC St-Gall
FC St-Gall
14
6
20
7
FC Lausanne-Sport
FC Lausanne-Sport
14
2
20
8
FC Sion
FC Sion
14
0
17
9
Young Boys
Young Boys
14
-5
16
10
Yverdon Sport FC
Yverdon Sport FC
14
-10
15
11
FC Winterthour
FC Winterthour
14
-21
11
12
Grasshopper Club Zurich
Grasshopper Club Zurich
14
-11
9
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