L’introduction de la VAR? Les amoureux du football l’ont acceptée malgré quelques grincements de dents. L’invention de la Ligue des Nations? Encore une fois, acceptée (même si tout le monde n’a pas encore compris exactement son fonctionnement). La Coupe du monde en hiver au Qatar? Le monde du football s’est mis d’accord pour qu’elle ait quand même lieu, même si beaucoup vont sans doute la boycotter.
Pourquoi les fans acceptent-ils tout cela sans broncher? Parce que dans cette marée de désagréments, une lumière se trouvait toujours au bout du tunnel: celle des images Panini. Les acheter, les échanger, les collectionner, les coller religieusement dans son cahier dédié à chaque compétition. Un rite auquel s’adonnent les amoureux du ballon rond depuis des dizaines d’années.
La revanche des stickers américains
Ce tableau idyllique risque pourtant bien d’appartenir au passé. La semaine dernière, l’Union européenne de football (UEFA) a décidé de vendre les droits des tournois européens non plus à Panini, mais à l’entreprise américaine d'autocollants Topps. Lors des deux prochains championnats d’Europe, du championnat d’Europe féminin 2025 et de la Ligue des Nations 2022-2023, il n’y aura donc plus de petites images Panini à collectionner.
Les profanes du rituel Panini rétorqueront sans doute que le marque ne fait aucune différence, surtout si c'est pour coller les images dans des albums à la mise en page et à la charte graphique douteuses. Le tout à un prix jugé exorbitant. Mais comme leur nom l’indique, les profanes sont étrangers au bonheur que procure ce rituel. Panini, c’est un culte, une tradition, un élément du patrimoine culturel mondial! Les fans de foot veulent des images Panini, des vraies, et pas de vulgaires stickers!
Genèse d’une création mythique
Un peu d’histoire. L’homme à qui le monde du football doit la création des images cultes s’appelle Giuseppe Panini. L’Italien a fondé l’entreprise en 1961 avec son frère Benito. Deux ans plus tard, leurs frères Umberto et Franco les ont également rejoints. La première image imprimée fut celle de Bruno Bolchi, le défenseur et capitaine de l’Inter de Milan. Le premier album de la Coupe du monde a été commercialisé à l’occasion du tournoi de 1970 au Mexique. À l’époque, un paquet coûtait encore cinq centimes et contenait deux images.
Pour éviter qu’une image se retrouve à double dans les paquets commercialisés, les créateurs avaient recours à un baril de beurre attaché à une bicyclette. La roue était reliée au baril (rempli d’images) avec le cadre du vélo et un jeune pédalait pour faire tourner les roues, le tonneau et ainsi mélanger les cartes. Peu de temps après, les frères Panini ont eu l’idée de lancer les images en l’air avant de les mélanger vigoureusement avec une pelle.
1000 francs pour remplir un album
Pour l’entreprise de Modène, c’était le coup d’envoi d’un avenir glorieux. N’en déplaise aux idéalistes, Panini était avant tout une entreprise en quête de profit. Lors de la dernière Coupe du monde, l’album contenait un nombre incroyable de 678 images, avec un paquet vendu à 1,10 franc.
En 2018, Paul Harper, professeur de mathématiques de l’université de Cardiff, a calculé le coût du remplissage intégral d’un album Panini. Selon le scientifique, si un fan n’échange pas ses images, il doit acheter 967 paquets, représentant une coquette somme de plus de 1000 francs, pour remplir son album. Pour les férus de l’échange et du troc, la dépense serait plus de trois fois moins importante, puisqu’elle descend à 300 francs.
Et puisque nous parlons de science, Verena Hüttl-Maack, professeure d’économie d’entreprise à l’université de Hohenheim en Allemagne, a tenté d’expliquer au journal «Bild» ce qui faisait la fascination des fans pour la collecte de ces images. Elle estime que l’une des principales raisons serait ce que l’on appelle l’«effet Ikea».
«Les gens considèrent qu’une table qu’ils ont montée eux-mêmes a plus de valeur que si elle leur est présentée toute assemblée. Le fait d’avoir réalisé soi-même la chose la fait paraître plus précieuse.» Ce même principe serait la clé du succès des images Panini, puisque les fans collectent et disposent eux-mêmes les images dans leur album.
Un bonheur voué à disparaître
Collectionner et échanger des images Panini procure du plaisir et un album plein déclenche chez nous un sentiment de bonheur. Malheureusement, ce dernier pourrait appartenir au passé.
Une bonne nouvelle pour la fin: cet hiver au Qatar, tout sera encore comme avant. La VAR sera encore de la partie et les fans pourront encore échanger des images Panini. Surtout, l'accord de l'entreprise italienne avec la FIFA pour la Coupe du monde, signé en 1970, reste pour l'instant en vigueur.
(Adaptation par Louise Maksimovic)