À deux jours du premier match officiel des Servettiens, Philippe Senderos s’est projeté sur cette nouvelle saison. La deuxième pour lui dans ce rôle de directeur sportif. Il a reçu Blick dans une petite salle de réunion au siège du club genevois, n’évitant aucun sujet. Le ton est posé. L’ancien défenseur dégage la même sérénité que dans les duels aériens, lorsqu’il était encore joueur.
Servette va lancer sa saison ce jeudi en Norvège, à 2500 kilomètres de Genève. Est-ce que ce deuxième tour qualificatif de la Conference League n’est pas un cadeau empoisonné?
Philippe Senderos: Non, jouer l’Europe, c’est toujours quelque chose de positif. On ne peut pas s’en plaindre. On fait partie des équipes privilégiées qui ont mérité leur place dans cette compétition. Affronter Molde, une des têtes de série et des plus grosses équipes à ce stade, ça ne va pas être simple. Ils ont fait un beau parcours en Europa League la saison dernière (ndlr: éliminé en 8e de finale et 2e de leur groupe derrière Arsenal). Le championnat de Norvège a déjà repris. Molde est en tête après 14 matches. Ils sont donc déjà dans le rythme. Nous avons justement affronté des adversaires de taille en match amical pour nous préparer au mieux.
Quelle valeur a cette Conference League pour vous?
Nous allons la prendre très au sérieux. Pour Servette, c’est l’occasion de continuer à placer Genève sur la carte européenne. Un tel voyage et une telle affiche, c’est une expérience extraordinaire. Certains de nos joueurs n’ont encore jamais vécu cela auparavant.
Le SFC était lanterne rouge en décembre 2020. Vous aviez alors avancé que l’Europa League était une partie de l’explication. Est-ce que ce long voyage en Norvège vous inquiète pour la nouvelle saison?
L’année passée, il y a eu plusieurs éléments qui nous ont perturbés. Entre la fin de saison retardée et le début des qualifications européennes, c’était comme si l’équipe avait enchaîné sans la moindre pause. Cela nous a mis un coup derrière la tête à l’automne, surtout avec ces deux quarantaines qui ont touché le groupe. Le club était toujours à la limite, avec la crainte de nouveaux cas. Nous avons testé les joueurs tous les trois jours pour se protéger jusqu’à la fin du championnat. Alors que ce n’était demandé ni par la ligue, ni par le Canton.
Kriens est déjà en quarantaine cette semaine, avec un premier match reporté en Challenge League. Avez-vous peur de revivre les mêmes scénarios?
C’est le risque et tout le monde le craint. On voit que les infections repartent à la hausse dans pas mal de pays. Sans réel protocole de la ligue ou des autorités, Servette fait au mieux pour éviter les cas et créer son propre protocole.
Est-ce que les joueurs ont été obligés de se faire vacciner?
Non, tout le monde est libre, comme dans la société. Le ratio est positif et la majorité du groupe est encline à se faire vacciner. On peut recommander le vaccin, notamment parce qu’il réduit le risque d’être malade. Cela a été le cas pour certains joueurs la saison dernière et on veut l’éviter à l’avenir. Cela ne résout pas tout pour autant. J’ai reçu ma deuxième dose en début de semaine et je vais quand même devoir me faire tester pour voyager.
Le vaccin suscite un débat dans la société. Est-ce qu’il y a eu des échanges dans le vestiaire, notamment avec le staff médical?
Il y a eu des discussions mais ce n’est pas de mon ressort. Je ne veux pas rentrer dans ces points précis sur le plan médical. Notre but est d’assurer la bonne santé de tous et de tout mettre en œuvre pour être en mesure de jouer.
Dimanche, début de la saison en Super League avec un derby du Rhône d’entrée à Sion.
Cela fait plaisir de commencer directement avec ce derby. C’est intéressant d’avoir un tel match, de montrer ce dont on est capable.
Est-ce que Servette a un objectif ciblé en termes de résultats?
Non, nous voulons pérenniser le club en Super League. Ces deux dernières saisons, nous avons fait mieux qu’espéré avec deux qualifications européennes. Le but est de continuer dans cette voie. On sent qu’il y a vraiment une énergie et un engouement, dans l’équipe mais aussi dans le club en général.
YB a un budget qui est près de trois fois supérieur. Comment lutter dans ces conditions?
En plus des moyens financiers, il y a aussi le travail fourni par le club et une part de réussite. Cela dit, il peut y avoir des surprises mais sur la durée, le budget joue en effet un grand rôle dans le classement final de la saison.
Avec le Covid, le budget de Servette est passé de 15 à 12 millions. C’est une difficulté supplémentaire pour vous?
Oui, cela a été le cas pour tous les clubs. Néanmoins, le fait d’avoir pu anticiper cette situation en amont, nous a permis de tenir nos engagements autant vers nos joueurs que vers nos prestataires. L’incroyable soutien de nos supporters et de nos partenaires nous a grandement aidés. C’est très important que nous ayons pu assurer nos promesses. Nous voulons nous développer avec nos moyens, en investissant aussi dans notre Académie qui est vraiment le trésor du club.
Le but, c’est de réduire l’écart financier qui vous sépare de grosses écuries comme Berne?
Le but est de se rapprocher d’année en année. Mais tant que ces grandes équipes suisses jouent la Ligue des champions ou vont loin en Europa Ligue, elles vont continuer à générer plus d’argent. Nous devons continuer à regarder vers le haut, à nous inspirer de modèles comme YB qui est désormais devenu une référence.
La dernière fois que Servette a été champion, c’était en 1999. Vous aviez alors 14 ans. Depuis, plus aucun club romand n’a remporté le titre. Ça commence à faire long.
Oui, bien sûr. On connaît aussi les difficultés financières et de gestion ces 20 dernières années en Suisse romande. Les clubs ont vécu beaucoup de hauts et de bas. Le but, c’est donc de se pérenniser, de consolider nos bases saines. Le SFC travaille dans la bonne direction depuis plusieurs années.
Fin mai, dans les colonnes de la Tribune de Genève, le président Pascal Besnard avait annoncé que le titre de champion était «un objectif à moyen terme».
A moyen, long terme oui.
Le mot n’est donc pas tabou à Genève?
Avoir de l’ambition, ça ne doit pas être tabou. Il faut être ambitieux. Par contre, il faut aussi savoir être humble, savoir où on se situe et travailler. Servette est l’un des grands clubs historiques en Suisse. On se doit de vouloir remporter des titres, mais aussi de proposer du beau jeu.
À titre personnel, cela fait presque une année que vous occupez ce rôle de directeur sportif. Quel premier bilan pouvez-vous tirer?
C’est un nouveau rôle pour moi aussi. Il a fallu un temps d’adaptation. J’ai beaucoup appris et je continue à apprendre. L’important, c’est que je me trouve dans un environnement dynamique, ouvert aux changements. Nous travaillons aussi en équipe pour l’avenir du club. Cette mission me plaît parce que je suis à la maison à Servette.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en passant dans les coulisses?
C’est surtout ma femme qui a été surprise. Elle pensait que je serais plus à la maison en ayant pris ma retraite de footballeur mais les journées sont encore plus longues en tant que dirigeant (rires). Cela dit, c’est passionnant de voir l’envers du décor.
On apprend sur le tas, mais est-ce que vous continuez aussi à suivre des formations?
Oui, j’avais déjà effectué une première formation auprès de la fédération espagnole avant mon entrée en fonction à Servette. J’ai suivi des cours à l’UEFA. Désormais, je suis lancé dans un autre programme auprès de la FIFA sur le «club management». J’apprends donc en cours d’emploi.
Le départ du recruteur Gérard Bonneau cet été est un changement majeur. Il a été l’un des éléments clés du club depuis trois ans. Comment faire sans lui?
La transition s’est faite de manière agréable en ce début d’année. Gérard a beaucoup apporté. C’est aussi grâce à lui que le club en est là aujourd’hui. Ce recrutement estival est encore un travail en commun avec toute la commission technique.
Est-ce que le mercato de Servette est terminé?
Tant que le marché sera encore ouvert en Suisse, nous resterons à l’affût. Nous avons quelques postes que nous aimerions encore renforcer. Je ne préciserai pas lesquels mais nous ne sommes pas fermés à d’autres arrivées.
Gaël Ondoua a annoncé son départ au 1er juillet. Depuis, il n’a pas officialisé sa signature dans une autre équipe. Est-ce qu’il pourrait finalement revenir à Servette?
Nous avons trouvé un accord avec lui, suite à son refus de prolonger à Genève. Ce n’est plus notre joueur donc je n’en sais pas plus mais Gaël ne reviendra pas. Il a fait son temps au Servette et il a voulu continuer sa carrière ailleurs.
Vous avez évoqué l’importance de l’Académie et des jeunes joueurs genevois. Cela fait plusieurs saisons que c’est un élément beaucoup mis en avant dans le discours du club. Mais si on regarde les chiffres, ces talents n’ont pas encore un temps de jeu important en première équipe. Comment expliquer cette différence entre la philosophie et les faits?
La formation prend du temps. Nous cherchons à avoir une cohérence entre notre discours et nos décisions, notamment dans le recrutement. Nous construisons pour l’avenir avec un vivier de talents très intéressant. Quatre nouveaux joueurs, nés entre 2001 et 2005, (ndlr: Monteiro, Nyakossi, Pédat et Sawadogo) ont intégré le groupe pro cet été. Ils ont beaucoup de potentiel et on espère les voir sur le terrain ces prochains mois. Il faut être patient.
Les jeunes sont parfois impatients, surtout s’ils sont sollicités par d’autres clubs. Est-ce qu’il n’y a pas un risque que ces talents fuient comme ce fut déjà le cas par le passé?
Bien sûr qu’il y a un risque mais on ne maîtrise pas tous les éléments. Les joueurs doivent adhérer à notre projet. Nous essayons d’être le plus transparent et inclusif lors de nos discussions et des signatures de contrat. Cela dit, jouer en première équipe n’est pas un dû pour ces jeunes. C’est aussi à eux de travailler et de se donner les moyens pour se faire une place pour gratter du temps de jeu en Super League.
Dans cette optique de développement, un centre d’entraînement pour l’Académie est essentiel. Le projet était de construire aux Evaux. Où en est ce dossier?
Nous devons partir de Balexert. À mes yeux, le développement des installations est l’un de nos principaux axes de travail. Nous collaborons avec la Ville et le Canton pour trouver une solution pour la formation et la première équipe. C’est un thème qui est délicat sur Genève. Nous avançons mais je ne peux pas dire quand ou comment l’affaire sera résolue.
Le site des Evaux reste la priorité?
Il y a les Evaux mais aussi plusieurs autres sites. Au final, ce ne sera pas uniquement le club qui tranchera. Le club, fait un travail immense pour convaincre, présenter notre projet et nos besoins.
C’est frustrant de faire face à ces oppositions et ces démarches administratives?
Bien sûr, on aimerait que cela bouge vite mais il faut respecter le cadre en vigueur. Nous ne restons pas les bras croisés pour autant. Les choses sont en train de se mettre en place. On espère trouver une solution finale le plus rapidement possible.