«Oui, Guy Roux». L’intonation de la voix est reconnaissable entre mille. Au bout du fil, le vieil entraîneur n’a rien perdu de sa verve. On l’a appelé mercredi en fin d’après-midi pour prendre un peu d’avance. «Est-ce qu’on peut parler du huitième de finale qui se dessine entre la France et la Suisse?» La réponse avait fusé. «Ouh là mais vous êtes optimiste vous. Il faut encore que la France fasse quelque chose contre les Portugais. C’est loin d’être assuré et je n’ai pas envie de leur porter la poisse.»
Le lendemain, et malgré le match nul poussif des Bleus (2-2), Guy Roux ose enfin se projeter sur ce match capital entre voisins. «Merci d’avoir pensé à moi. Cela me fait plaisir qu’on s’intéresse encore à moi en Suisse. J’adore votre pays.»
La légende auxerroise bougonne, râle quand on lui demande son avis sur les Bleus de Didier Deschamps. Le technicien à la retraite, âge de 82 ans aujourd’hui, est nettement plus positif lorsqu’il évoque la Nati. Même s’il se sent obligé d’ajouter, par honnêteté intellectuelle, qu’il n’a vu que les reflets filmés et un bout du match contre l’Italie à cet Euro.
Guy, est-ce que vous pensez que les Français peuvent trembler contre la Suisse?
Je ne poserais pas la question de cette façon. Je m’attends à un match très ouvert, comme celui de la France contre le Portugal. La Nati m’a laissé une bonne impression. Elle aura sa chance. À mes yeux, en fonction de leur état de forme et des joueurs présents, la Suisse est une équipe qui oscille entre la 5e et la 10e place européenne. C’est une sélection bien équilibrée, avec des jeunes talentueux et une vraie volonté de faire du jeu. Ce n’est pas le Pays de Galles quoi. Honnêtement, vous n’êtes pas si loin des Français dans la jouerie.
A vous entendre, vous ne semblez pas emballé par ces Bleus?
On nous rabâche sans cesse que les Français sont champions du monde en titre. Les meilleurs, par-ci et par-là. Mais, au final, on vante de manière infondée les mérites de ce groupe dans toute la presse du pays. Il y a de grands noms, ils jouent tous dans les meilleurs clubs d’Europe, donc tout le monde s’enthousiasme. L’équipe est surtout menée avec méthode et sérieux par Didier Deschamps. Depuis la Russie, certains joueurs ont vieilli, d’autres talents ont aussi éclos chez nos adversaires. Contre le Portugal, on marque sur deux miracles. Face à la Hongrie, on prend un but sur une action digne d’une défense du District de l’Yonne.
Qu’est-ce qu’il manque à cette équipe?
Un virtuose. Kopa, Platini, Zidane, chaque génération en a eu un. C’est ce qui a toujours fait le bonheur des grandes équipes de France.
Mais quand même, vous avez gagné la Coupe du monde.
Si on a gagné, c’est parce qu’on a l’un des meilleurs entraîneurs du monde lorsqu’il s’agit d’optimiser les ressources, de faire avec ce qu’il a sous la main. Si la France a refusé le jeu pour marquer en contre en 2018, c’est parce qu’on n’avait pas les ressources pour faire autrement.
Quand même avec Mbappé, Griezmann, Benzema, Pogba, Kanté et d’autres encore, la France est impressionnante sur le papier.
Oui, Benzema a amélioré le niveau général du groupe. On joue mieux au ballon mais cela a aussi bridé un peu un joueur comme Mbappé qui ne peut plus partir dans ses chevauchées comme avant. Disons qu’on n’a pas gagné en rentabilité. L’équipe est mal construite. Ce ne m’étonne pas que ça ne tourne pas rond. On se marche dessus au milieu. J’espère qu’on sera meilleur contre la Suisse et qu’on va quand même gagner. Mais je ne suis pas convaincu que ce sera le cas contre cette Nati.
Cet été, vous êtes revenu avec un nouveau livre intitulé «Confidences». A 82 ans, vous aviez encore des choses à dire?
Honnêtement, je n’avais pas l’intention de faire ce cinquième bouquin. J’avais justement l’impression d’avoir dit beaucoup de choses déjà (rires). Mais le journaliste et écrivain Alexandre Alain, qui est originaire de la région d’Auxerre, avait suivi l’AJA durant son enfance et son adolescence. Il connaissait mieux ma carrière que moi (rires). Au final, c’est bien tombé avec ce confinement. On ne pouvait pas vraiment sortir de chez nous donc on avait du temps.
Comment s’est déroulée l’écriture?
Tous les mardis matin, on s’appelait à l’aide d’une tablette. C’était idéal et on a pris le temps, pour aller loin dans la réflexion. Je ne me considère pas encore comme un «has been». A mes yeux, je suis encore dans la deuxième mi-temps de ma vie. Je ne suis pas encore arrivé aux arrêts de jeu ou aux prolongations.