La première interview de Petkovic en tant qu'entraîneur de Bordeaux
«Voilà pourquoi je quitte l'équipe de Suisse»

«Les choses étaient claire pour moi»: le désormais ancien coach de notre équipe nationale explique dans un entretien exclusif avec Blick pourquoi il a décidé d'accepter ce nouveau challenge en Gironde.
Publié: 01.08.2021 à 08:41 heures
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Dernière mise à jour: 03.08.2021 à 15:20 heures
Vladimir Petkovic à Bordeaux.
Andreas Böni, Bordeaux / Adaptation: Adrien Schnarrenberger

Vendredi soir, 20h27. Vladimir Petkovic prend la pose devant l'opéra de Bordeaux. «Ça fait sept ans que tu me stresse!», s'exclame-t-il tout sourire en direction du photographe de SonntagsBlick Toto Marti. Le Tessinois est fatigué, lui qui a fait le trajet le matin même depuis le sud des Alpes jusqu'en Gironde. C'est un marathon qui a commencé: signature du contrat, présentation aux médias français et, à 20h30, repas en tête-à-tête avec le président de Bordeaux. «Fais vite, c'est dans trois minutes!»

Samedi matin, 9h28. Le désormais ancien coach de l'équipe de Suisse est installé à l'hôtel Intercontinental. L'ambiance est au prestige: fauteuils nobles, hauts murs, vieilles colonnes et bouteilles de Grand Cru derrière des vitres fumées. «Petko» refuse de prendre la pose devant les millésimes des meilleurs Bordeaux. «Revenez quand nous aurons gagné quelque chose. Peut-être qu'alors...», se marre «Vlado» avant de s'installer pour l'entretien exclusif qu'il a accepté d'accorder à Blick.

Quand est-ce qu'il a été clair pour vous, que l'aventure avec la Nati s'arrêterait là?

Vladimir Petkovic: Il y a neuf jours. Quelques jours auparavant, Bordeaux s'était manifesté alors que j'étais en vacances à Formentera (dans les Baléares, ndlr.).

Oui, nous avons vu les photos des paparazzis.

Je n'ai même pas remarqué que j'avais été photographié! Mais oui, durant cette période, l'intérêt de Bordeaux m'a été communiqué et j'ai tout de suite senti que cela pouvait m'intéresser.

Vous avez dit lors de votre conférence de presse que vous n'aviez à ce moment-là pas reçu d'offre concrète et que vous auriez sinon tout de suite accepté. Vous vouliez à ce point fuir la Nati?

Non. Mais c'était le timing parfait. Un nouveau challenge pour moi, mais aussi de nouvelles idées pour les joueurs et pour l'entourage de l'équipe. Après sept ans, on a une certaine routine...

Y avait-il des signes d'usure?

Non, j'étais toujours animé d'une folle énergie positive. Je serais évidemment volontiers resté l'entraîneur de l'équipe de Suisse. Mais il ne faut pas attendre d'être complètement au bout pour prendre ce type de décisions.

Il y avait aussi des rumeurs d'intérêt du Zénit St-Pétersbourg, de l'équipe nationale de Russie, de Fenerbahçe...

Je n'ai pas eu de discussion concrète. Aucune, avec personne.

S'il n'y avait pas eu d'offre de Bordeaux, vous seriez toujours le sélectionneur de l'équipe de Suisse?

Évidemment. Je suis parti en vacances dans la peau du coach de l'équipe de Suisse. Si l'on réfléchit, tous les clubs avaient commencé leur préparation et disposaient donc déjà d'un entraîneur.

Est-ce que les négociations de départ avec la fédération ont été compliquées?

Je préfère le dire ainsi: elles ont été passionnantes.

Dans quel sens?

Il y a eu des moments moins agréables, mais à la fin nous avons trouvé un terrain d'entente. J'ai pu partir la tête haute, et la plupart des gens m'ont félicité.

La fédération a d'abord exigé une prime de départ à hauteur de millions. Puis il y a eu un accord que Bordeaux devra payer des primes en cas de parcours européen. Est-ce que votre relation avec le directeur de l'équipe nationale Pierluigi Tami en a pâti?

Je lui ai dit dès le départ que tout cela n'avait rien de personnel. Il faut séparer le privé des affaires courantes, du business. Nous n'avons fermé aucune porte — je ne le fais jamais. Car dans la vie, il y a toujours des rebondissements.

Qu'en a pensé votre épouse? En tant que sélectionneur de notre équipe nationale, vous passiez beaucoup de temps chez vous au Tessin. Désormais, votre nouveau chez vous sera en Gironde.

Ma femme me soutient quoi que je fasse. Elle m'a toujours laissé l'initiative. Lorsque j'entraînais en Italie, elle était chaque semaine à mes côtés. En Turquie, elle m'a rendu visite une vingtaine de fois. Elle viendra une première fois à Bordeaux mardi avec mes deux filles et restera jusqu'au premier match de mon nouveau club (dimanche contre Clermont, ndlr.).

Quand avez-vous informé les joueurs de la Nati?

Lorsque j'ai eu le feu vert, j'ai essayé d'appeler la plupart de mes ex-joueurs. Quelques-uns avaient déjà essayé de me joindre. J'ai aussi eu beaucoup de messages d'anciens internationaux. Certains écrits m'ont très touché en tant qu'homme.

Se qualifier directement pour la Coupe du monde va être une gageure, dans un groupe qui compte avec l'Italie le champion d'Europe en titre. Est-ce que cela a joué un rôle dans vos réflexions?

Non. L'Italie était déjà favorite, et c'est encore davantage le cas après cet Euro. Mais ils doivent venir jouer en Suisse pour leur premier match après ce titre. En 2016, nous avions battu le champion d'Europe, le Portugal, 2-0 à la maison. Peut-être que ce scénario va se répéter? Dans tous les cas, cela ne devrait pas poser de problème pour au moins atteindre la deuxième place qualificative pour les barrages.



Vous avez été sélectionneur national durant sept ans. À l'heure du bilan, peut-on dire que vous n'avez pendant longtemps pas obtenu le respect que vous méritiez?

Je suis habitué à recevoir des éloges une fois que je suis parti. Et honnêtement, j'ai senti beaucoup de respect dans la rue durant les deux ou trois dernières années. Au prix de certains moments presque gênants: comme dans ce restaurant d'Ascona où lorsque je suis entré avec ma famille, tous les clients se sont levés et ont commencé à applaudir...

L'exploit contre la France a bouleversé pas mal de choses dans les sentiments des Suisses envers leur équipe nationale.

Oui, ça a changé beaucoup de choses. Mais au-delà de ce résultat précis, je suis fier de ces sept années: nous avons changé la mentalité de cette équipe et intronisé toute une nouvelle génération de joueurs.

Comment avez-vous vécu la fameuse séance de penalties?

J'avais un bon pressentiment. J'ai senti que ça allait bien se passer. Contre l'Espagne, j'étais plus réservé. Nous avions grillé beaucoup de cartouches durant 120 minutes pour tenir ce 1-1. C'était une question de préparation physique et mentale: il nous a peut-être manqué cinq minutes de concentration. Mais lorsque les Espagnols ont raté le premier tir... Je pense encore aujourd'hui que nous aurions pu faire mieux.

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Bordeaux a utilisé les images du succès contre la France pour votre présentation. Ce qui a provoqué quelques tensions dans les fans tricolores...

C'était de la provocation, mais il y avait aussi une stratégie là-derrière. Bordeaux est très moderne dans son approche des médias et des réseaux sociaux.

Nous ne vous avions jamais vu célébrer comme vous l'avez fait avec Granit Xhaka.

Cela m'a tellement touché, parce que nous nous sommes mutuellement beaucoup soutenus pendant tant d'années. Il faut avouer que nous avons été tous submergés par les émotions, tant l'équipe que le staff.

Votre lien avec Granit Xhaka est tout de même particulier. Vous étiez très proche de lui, alors que cela semblait plus difficile avec Xherdan Shaqiri.

Non, je ne crois pas. J'ai eu un long entretien téléphonique avec Xherdan après l'annonce de mon départ. J'ai toujours essayé d'avoir une ligne et de respecter au maximum chaque joueur. Mais tout le monde n'est pas toujours pareil dans une équipe.

Un petit coup d'oeil dans le rétroviseur et ces sept années. Quelle a été la situation la plus extrême? La fameuse polémique de l'aigle contre la Serbie?

Sans doute. Cela nous a coûté tant d'énergie mentale... Et depuis la Russie, nous ne nous sommes pas forcément rendu compte de l'ampleur de la polémique en Suisse. Ce n'est que lorsque la FIFA nous a infligé une amende que nous avons compris. Mais bon, nous retiendrons que la Suisse a gagné.

Certains ont plusieurs fois répété que la Nati ou vous-mêmes étaient traités négativement à cause de préjugés racistes. Est-ce que vous l'avez aussi senti ainsi?

Non. Ce ne sont que des interprétations qui n'ont rien à voir avec le racisme. Nous sommes tous des êtres humains ouverts d'esprit. Surtout lorsque l'on joue au football, un sport avec tellement de nationalités et d'horizons différents.

Qu'est-ce qui vous a convaincu de tenter l'aventure Bordeaux?

Le projet. Il y a un nouveau propriétaire (l'homme d'affaires hispano-luxembourgeois Gérard Lopez, ndlr.) qui veut changer beaucoup de choses. L'objectif est de devenir européen dans les trois ans. Il y a quelque chose à construire, mais il faudra aussi de bons résultats.

Le budget devrait bondir à 112 millions d'euros cette saison, contre 60-70 les championnats précédents.

Je ne le sais pas. Mais comme le spectre de la faillite planait au-dessus du club avant que le nouveau propriétaire arrive, nous ne pouvons engager des joueurs que si nous en vendons d'autre.

Amenez-vous des joueurs de l'équipe de Suisse dans vos bagages?

Pas pour le moment. Mais de toute manière, je discute de profils avec le directeur sportif, pas vraiment de noms précis.

Comment se porte votre français?

Il suffit pour le foot: les entraînements et les matches. Mais pas pour les conférence de presse ou pour les vraies discussions. Je vais prendre des cours.

Et le vin, vous maîtrisez?

J'ai des connaissances et quelques bouteilles de Bordeaux dans ma cave à côté des vins espagnols et italiens. J'aurai assez de temps ici pour faire mes expériences.

Avez-vous quelques mots à adresser aux fans de l'équipe de Suisse, en guise de conclusion?

J'aimerais remercier non seulement les fans, mais toute la population suisse. Vous avez été derrière nous et m'avez aussi, à titre personnel, donné beaucoup de force. J'aimerais aussi adresser un grand merci à toutes les personnes qui gravitent autour de l'équipe, aux fonctionnaires et aussi aux joueurs. Être sélectionneur de la Suisse a été un immense honneur pour moi.

C'est l'heure de partir: Vladimir Petkovic doit prendre place dans le bus de Bordeaux pour un déplacement de quatre heures à Troyes, où les Girondins doivent disputer leur dernier match amical (la partie s'est soldée sur un nul 1-1, ndlr.). «Petko» a davantage d'énergie et de pep que la veille. Il prend congé de Blick non sans émotion et sans une brève analyse. «Avec vous aussi, j'ai eu des problèmes. Déjà lorsque j'étais entraîneur de Young Boys il y a dix ans, et puis plusieurs fois durant mon mandat avec la Suisse. Mais c'est beau de voir comment nous avons pu trouver un terrain d'entente et comment nous nous quittons. C'est tout ce qui compte.»

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