La magie de la Coupe de Suisse
Schoenberg-YB ou la revanche du «quartier»

Le FC Schoenberg, petit club d’un quartier populaire de Fribourg, affronte Young Boys, dimanche en Coupe de Suisse. Une reconnaissance importante pour une «ville dans la ville» qui a longtemps traîné une image sulfureuse.
Publié: 18.08.2022 à 21:16 heures
|
Dernière mise à jour: 21.08.2022 à 12:29 heures
Un terrain de foot et des barres d'immeubles: le FC Schoenberg en une image.
Photo: DR
8 - Adrien Schnarrenberger - Journaliste Blick.jpeg
Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

En publiant sur Twitter l’annonce du 32e de finale de la Coupe de Suisse, le préposé aux réseaux sociaux de Young Boys ne pensait pas créer un trophée virtuel. Pourtant, la capture d’écran des 147 caractères s’est répandue en quelques minutes sur Instagram. «YB qui tweete le quartier! Ces mecs jouaient contre Cristiano Ronaldo il y a quelques mois», jubile un ado du Schoenberg.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

L’espace d’une fin d’après-midi à Saint-Léonard, ce ne seront pas les hockeyeurs de Gottéron ni les basketteurs d’Olympic qui tiendront la vedette, pas plus que les rescapés du FC Fribourg, club exsangue depuis plusieurs années. Les projecteurs seront braqués sur les maillots vert et blanc du petit frère, le FC Schoenberg.

Cette fois, le «Bershow», comme l’appellent identitairement — en verlan amélioré — ses habitants, a tiré le gros lot. En 2019, alors en 3e ligue régionale, le club avait déjà remporté la Coupe fribourgeoise, mais le sort lui avait réservé le pire cocktail: Olympique Genève, une formation trop forte sportivement mais pas du tout attrayante pour susciter l’engouement.

Avec la venue de Young Boys, c’est la crème footballistique du pays qui est attendue en clôture des 32es de finale, dimanche à 17h. Et la foule, espère le comité d'organisation créé pour l'occasion. «Certains voulaient jouer à Berne pour des motifs financiers, mais on a voté et il a été vite clair qu’on allait jouer chez nous», explique à Blick l’entraîneur Shqiprim Sefa, qui sera content «à partir de 4000 spectateurs».

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

«Ce mal-aimé fribourgeois»

S’il ne s’attend pas à une surprise sportive (lire ci-dessous), le nouveau coach du FCS savoure une douce revanche pour son club et son quartier tout entier. Car le Schoenberg, à Fribourg, a très longtemps traîné une réputation sulfureuse dont les porteurs du tricot n’étaient que les meilleurs, plutôt les pires, ambassadeurs.

«Le Schoenberg, ce mal-aimé fribourgeois», titrait «Le Temps» en 2012. Quelques années auparavant, au détour du millénaire, le constat n’était guère meilleur. Un meurtre et un incendie de garage, en 1999, avaient suffi pour forger une réputation de ghetto au «Bershow», suscitant l’intérêt des médias très loin à la ronde: comment la paisible Fribourg pouvait accueillir la «pire» cité du pays?

«L'îlot de bâtiments locatifs se dressant près du centre commercial est surnommé le Bronx. Et les habitants de la colline se heurtent souvent au regard étonné de leurs interlocuteurs qui leur demandent comment se déroule la vie au ghetto», poursuivait «Le Temps». La construction de HLM «à la française» avait-elle suffi à transformer une butte agricole avec une vue imprenable sur la ville en endroit «craignos qui fait jaser jusqu’à Genève»?

Un arbitre tabassé en 2007

Longtemps, la réputation du club de football local n’a fait qu’alimenter la croyance populaire, qui a peut-être atteint son paroxysme en mai 2007. Ce jour-là, dans l’anonymat de la 4e ligue régionale, un penalty sifflé dans les arrêts de jeu face au FC Wünnewil fait disjoncter les joueurs du club de quartier. «J’aurais pu y rester», témoignera quelques jours plus tard dans la presse romande l’arbitre de la rencontre, un jeune homme de 22 ans agent de sécurité au civil.

L’épisode est d’autant plus douloureux que le chef des arbitres n’était autre que… le président du FC Schoenberg, Yoland Miere. Il a provoqué une grève des directeurs de jeu, une première en Suisse, mais aussi — et surtout — entraîné une refonte totale du club de quartier. Sous la houlette du nouveau président Claude Barras, le club s'est réinventé avec le fair-play comme valeur cardinale.

Mais la vindicte populaire est difficile à gommer, et, quinze ans plus tard, l’incident continue de coller aux crampons du club et de revenir dans les interviews, déplore un certain Valon Sefa. À 34 ans, cet immigré kosovar devenu enseignant respecté personnifie le virage à 180° entrepris, et réussi malgré l'une ou l'autre rechute, par le club de foot du quartier.

«Un spectacle coloré, sur et autour du terrain»

Ces dernières années, le FC Schoenberg a écrit les plus belles pages de son histoire: une promotion en 2e ligue assortie de deux victoires en Coupe fribourgeoise. De quoi laver l’affront et offrir une nouvelle réputation au club. Car tous ces succès sportifs ont été acquis avec la manière. «Le ‘Bershow’ n’est pas que le surnom en verlan du Schoenberg, c’est aussi un spectacle coloré, sur et autour du terrain», écrivait «La Liberté» au lendemain du trophée conquis face à Ursy (4-1), en mai dernier.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Ce trophée a permis à Valon d’aller tenter sa chance à l’échelon supérieur, sur le banc de La Tour/Le Pâquier. S’il a cédé aux sirènes de la 2e ligue inter, c’est à une seule condition: laisser le club entre les mains de son frère cadet Shqiprim. «Il ne fallait pas que tout le travail effectué ait été fait pour rien», explique celui qui fera face à Raphaël Wicky, ce dimanche.

L’affirmation du trentenaire ne se limite pas à une (éphémère) réussite sportive. À l’ère Sefa, dont les quatre membres de la fratrie étaient sur le terrain face à Ursy, le FC Schoenberg est devenu un catalyseur de la réussite sociale. «Le quartier vit et respire football: du matin au soir, il y a des enfants qui tapent dans le ballon à Mon-Repos», sourit ce fils d’un manœuvre mis sur la touche très tôt en raison d’un accident de circulation.

En 2016, les frères Sefa étaient partagés à l'occasion de Suisse-Albanie, à l'Euro.
Photo: DR / «La Liberté»

«Nous avons aussi fait des bêtises»

Jadis logés par la Croix-Rouge, les quatre frères Sefa ont tous fondé une famille, construit une maison et fondé une entreprise pour deux d’entre eux. «Sans la Suisse, nous n’aurions jamais pu faire tout cela, sourit Shqiprim, dont le visage s’éclaire davantage qu’en évoquant Young Boys. Trouver les fonds propres n’est pas facile quand on part de 0, mais quand on a vécu la guerre, on a une volonté de fer.»

Le coach de Schoenberg préfère rigoler lorsque l’on évoque la réputation sulfureuse du quartier qui a «forgé son identité». «Nous avons aussi fait des bêtises, il faut le reconnaître, se souvient Shqiprim Sefa. À l’époque, lorsqu’on jouait jusqu’à minuit dehors et que des vieux du quartier nous invectivaient, on les traitait de racistes. Mais aujourd’hui, si quelqu’un joue sous mes fenêtres à 22h, c’est moi qui sors. Je suis devenu plus Suisse qu’eux!»

Malgré le succès sportif, les Sefa resteront des Kosovars en Suisse, constate le coach du FCS, non sans une certaine philosophie. «Lorsqu’on jouait en Gruyère, on me pointait du doigt en disant ‘Regarde celui-ci, la tête de voyou!’ Maintenant, on me montre en disant ‘Celui-là il a une tête de voyou, mais qu’est-ce qu’il est fort!’»

Felix Mambimbi, la star du quartier

Le trentenaire n’y voit pas de méchanceté mal placée et préfère en vouloir «à certains compatriotes qui, avec leurs délits, ont provoqué cette réputation en Suisse». Il reste fier de ses origines, et se réjouit que les jeunes du quartier aient pour héros les Aimery Pinga, Joaquim Adao et surtout Felix Mambimbi, les gamins du Schoenberg ayant «percé» dans le monde du football. Fait cocasse, le dernier nommé, «star du Schoenberg» est désormais attaquant de… Young Boys et pourrait affronter ses anciens compères dimanche.

La «belle colline» ne manque pas d’ambassadeurs pour tordre le cou aux clichés qui la poursuivent. C’est dans l’une des «barres» du Schoenberg qu’a grandi Duong Huynh, devenu le meilleur joueur francophone d’e-sport sous le pseudo de Kinstaar. Parmi les générations plus âgées, les noms de «Corpaato», boucher devenu artiste, et surtout Michel Simonet, seront plus évocateurs.

Un exil forcé à Saint-Léonard

C’est au Schoenberg que le balayeur devenu écrivain a élevé ses sept enfants. «Cela fait 37 ans que j’habite dans le quartier, et j’ai toujours trouvé sa réputation un peu surfaite, explique l’auteur de ‘Une rose et un balai’, inattendu best-seller. C’est vrai qu’il y a pu y avoir certains faits divers impliquant le Schoenberg, mais ni mon épouse et moi ni nos enfants n’ont jamais eu aucun problème, bien au contraire.»

Le Fribourgeois, qui s’est amusé de l’étonnement des amis campagnards de ses enfants qui empruntaient des bus «multiculturels» pour venir jouer chez les Simonet, a toujours vu ce mélange d’un oeil «très bienveillant». Le seul crève-coeur de l’employé de la Ville de Fribourg, c’est qu’il ait fallu attendre Felix Mambimbi pour qu’un gosse du Schoenberg perce au plus haut niveau, alors que le club local a toujours été une «pépinière de talents». «Le quartier a très souvent gagné le tournoi Sekulic, l’institution qu’est ce tournoi pour juniors, mais cela ne s’est jamais concrétisé. Peut-être parce que le club est moins achalandé que d’autres sur le plan des infrastructures…»

Ce que l’homme de lettres esquisse avec doigté se retrouve de manière plus directe dans la bouche des politiciens habitant le quartier. Car si le FC Schoenberg a décidé de ne pas jouer au Wankdorf, il n’évoluera pas vraiment à domicile, dimanche. Le terrain du quartier, Mon-Repos, n’est pas homologué pour les «vrais» matches de football. Voilà plusieurs années que les Vert et Blanc ont pris l’habitude de traverser le pont de la Poya pour fouler la pelouse synthétique de Saint-Léonard, théâtre de leurs exploits récents.

Le balayeur devenu écrivain est fier de son quartier «multiculturel»: «Sans embellir, cela a toujours été une richesse!»
Photo: L'illustré

Des «projos» d'occasion

Pendant ce temps, le légendaire rectangle de gazon niché entre les immeubles du quartier est laissé à l’abandon, se désolent certaines voix politiques. «Cela fait des années que l’on se bat pour que des infrastructures soient développées pour le quartier, mais on ne fait que de nous rabâcher que cela va prendre du temps», explique un fin connaisseur du dossier.

Le terrain de Mon-Repos ne peut pas accueillir de football des adultes.
Photo: DR

Et de citer un exemple récent pour étayer le propos: des projecteurs dernier cri ont été installés au terrain du Guintzet, dans un quartier plus huppé de la ville — où ont atterri les spots devenus obsolètes? Bingo: au Schoenberg. Comme un symbole vis-à-vis de cette «ville dans la ville» (en habitants, elle serait la 4e du canton), située du «faux côté» de la Sarine et séparée du reste de la capitale cantonale depuis la fermeture au trafic du pont de Zähringen, en 2019. «Et la fine fleur de la politique fribourgeoise sera au complet au stade dimanche pour serrer des mains…»

Alors, dimanche à Saint-Léonard, ce sera davantage qu’un 32e de finale de Coupe de Suisse: faire venir des milliers de personnes pour voir les gosses du quartier défendre les couleurs fribourgeoises sera la plus belle des reconnaissances. Le «Bershow» fera le show, et peu importe si les projecteurs sont d’occasion.

Dimanche 21 août, 17h. Stade St-Léonard, Fribourg.
Coupe de Suisse, 32es de finale: FC Schoenberg - Young Boys

«On est des boulangers»

C’est au début juillet que le Schoenberg a appris qu’il pourrait défier Young Boys. «J’étais en séance pour le travail durant le tirage, raconte Shqiprim Sefa. J’ai vu notre nom, mais après quelqu’un m’a adressé la parole et j’ai été distrait. Lorsque mon téléphone a croulé sous les messages, j’ai tout de suite compris!»

Le Petit Poucet rêve-t-il de faire tomber l’ogre? «Je ne me fais pas d’illusions, coupe le coach. En face, il y a des sportifs d’élite, nous on est des boulangers (sic)!» Le jeune entraîneur de 33 ans a le sens de la formule et un sourire jusqu’aux oreilles, mais il ne cache pas une certaine amertume. Les exploits de son club, retransmis à la télévision locale, ont attiré l’attention de formations plus huppées et le FCS a dû céder plusieurs de ses talents. «Les joueurs peuvent gagner beaucoup d’argent ailleurs. Nous, tout ce qu’on peut leur offrir, c’est des trainings…»

Jusqu'ici, ces talents AOP avaient fait le choix du cœur plutôt que du porte-monnaie et permis de faire monter le club jusqu’aux cîmes de la 2e ligue. Mais c’est un plafond de verre. «J’ai dû annuler certains entraînements, et on a été huit parfois cet été... Malgré ce gros match contre YB, comment puis-je interdire à des gens dont le foot est un hobby de partir en vacances avec leur famille?»

À défaut d’un exploit sportif, le comité d’organisation qui s’est formé en vue de l’événement espère réunir le public pour une belle fête. Le club visiteur a fait sa part en commandant plusieurs centaines de billets pour ses fans, attendus nombreux à ce «derby des Zähringen» insolite.

DR

C’est au début juillet que le Schoenberg a appris qu’il pourrait défier Young Boys. «J’étais en séance pour le travail durant le tirage, raconte Shqiprim Sefa. J’ai vu notre nom, mais après quelqu’un m’a adressé la parole et j’ai été distrait. Lorsque mon téléphone a croulé sous les messages, j’ai tout de suite compris!»

Le Petit Poucet rêve-t-il de faire tomber l’ogre? «Je ne me fais pas d’illusions, coupe le coach. En face, il y a des sportifs d’élite, nous on est des boulangers (sic)!» Le jeune entraîneur de 33 ans a le sens de la formule et un sourire jusqu’aux oreilles, mais il ne cache pas une certaine amertume. Les exploits de son club, retransmis à la télévision locale, ont attiré l’attention de formations plus huppées et le FCS a dû céder plusieurs de ses talents. «Les joueurs peuvent gagner beaucoup d’argent ailleurs. Nous, tout ce qu’on peut leur offrir, c’est des trainings…»

Jusqu'ici, ces talents AOP avaient fait le choix du cœur plutôt que du porte-monnaie et permis de faire monter le club jusqu’aux cîmes de la 2e ligue. Mais c’est un plafond de verre. «J’ai dû annuler certains entraînements, et on a été huit parfois cet été... Malgré ce gros match contre YB, comment puis-je interdire à des gens dont le foot est un hobby de partir en vacances avec leur famille?»

À défaut d’un exploit sportif, le comité d’organisation qui s’est formé en vue de l’événement espère réunir le public pour une belle fête. Le club visiteur a fait sa part en commandant plusieurs centaines de billets pour ses fans, attendus nombreux à ce «derby des Zähringen» insolite.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la