Johan, à quel moment avez-vous décidé qu’il était temps d’arrêter?
La réflexion a été longue. C’était intense, compliqué parce que je devais prendre une décision difficile. J’ai été footballeur durant la majeure partie de ma vie! J’avais peur de l’après, j’ai douté. Je me suis posé plein de questions. Et puis il y a eu un déclic. J'ai senti dans mes tripes que le moment était venu.
Vous aviez peur de ne plus avoir de valeur en quittant le monde du football?
Non, parce que le public a apprécié le joueur mais aussi ma personnalité. Dans la rue, des gens qui ne connaissaient rien au foot m'arrêtaient pour me saluer. Ils aimaient ce que je reflétais. Dans une sphère plus privée, ma base est la même depuis toujours, au-delà de ma carrière. Mes proches me connaissent depuis que je suis gamin, que je rêvais d'être footballeur mais aussi rappeur, astronaute ou basketteur. Ce petit garçon est toujours là en moi.
Quelle image les Suisses vont-ils garder de votre carrière, selon vous? Qu'est-ce qui va rester de Johan Djourou?
Je crois que c’est cette notion de courage, de volonté, qui va rester. Il faut oser partir à l'âge de 16 ans à Londres, sans sa famille. A l'époque, combien d'experts m'avaient critiqué? Après, il y a aussi cette absence de titre dans mon palmarès. Bien sûr, les trophées sont importants mais je suis surtout fier d'avoir toujours progressé, en tant que joueur et en tant qu'homme. Soulever une Coupe ou non, ça se joue parfois à rien, comme notre finale en Champions League contre Barcelone en 2006 à Paris. Cette saison, on peut aussi regarder l'exemple de Chelsea. Frank Lampard n'a rien gagné mais il a aussi joué un rôle dans la victoire des Blues.
Si vous croisiez le Johan Djourou de 16 ans, celui qui est en train de préparer ses valises pour Londres, que lui diriez-vous?
Je lui dirais: «Bonne chance». Parce qu'on a trop souvent tendance à oublier qu'une carrière, et la vie d'une manière générale aussi, nous surprendra toujours. La réalité dépasse la fiction. Je lui dirais aussi de s'accrocher à son rêve, de ne rien lâcher. A 16 ans, je n'avais pas conscience de tout ce qui allait m'arriver.
Quel conseil auriez-vous aimé qu'on vous donne à l'époque?
(Il réfléchit) Que l'erreur est humaine. Les miennes comme celles des autres. Se tromper permet de progresser. Dans un sport collectif, dans un environnement aussi compétitif, ce n'est pas facile d'accepter les failles. On a plutôt tendance à pointer du doigt, à l'intérieur d'une équipe comme à l'extérieur.
Johan Djourou, 34 ans
Né le 18 janvier 1987 à Abidjan (Côte d'Ivoire).
Défenseur central, droitier, 1 mètre 92.
En équipe nationale:
76 sélections avec la Suisse entre 2006 et 2018 (2 buts).
En clubs:
- Arsenal (2004-2014, 144 matches)
--> 2007: prêt à Birmingham (13)
--> 2013: prêt à Hanovre (16)
--> 2013-2014: prêt à Hambourg (24)
- Hambourg (2014-2017, 78 matches)
- Antalyaspor (2017-2018, 18 matches)
- SPAL Ferrara (2018-2019, 6 matches)
- FC Sion (2020, 2 matches)
- Neuchâtel Xamax (2020, 5 matches)
- FC Nordsjælland (2020-2021, 12 matches)
Johan Djourou, 34 ans
Né le 18 janvier 1987 à Abidjan (Côte d'Ivoire).
Défenseur central, droitier, 1 mètre 92.
En équipe nationale:
76 sélections avec la Suisse entre 2006 et 2018 (2 buts).
En clubs:
- Arsenal (2004-2014, 144 matches)
--> 2007: prêt à Birmingham (13)
--> 2013: prêt à Hanovre (16)
--> 2013-2014: prêt à Hambourg (24)
- Hambourg (2014-2017, 78 matches)
- Antalyaspor (2017-2018, 18 matches)
- SPAL Ferrara (2018-2019, 6 matches)
- FC Sion (2020, 2 matches)
- Neuchâtel Xamax (2020, 5 matches)
- FC Nordsjælland (2020-2021, 12 matches)
On oublie l’humain, donc?
Ah, mais trop souvent, oui! C'est un problème de société. Les sportifs sont des cibles faciles. Nous avons des revenus colossaux et donc on se doit d'être bon dans notre job. Point final. Mais derrière le joueur, il y a un être humain qui a une vie aussi à côté, avec des joies, des soucis personnels, des émotions, une famille, etc.
On l'a encore vu récemment avec Naomi Osaka. De plus en plus, on parle de la santé mentale des athlètes. Vous avez senti ce changement entre le début et la fin de votre carrière?
Totalement. J'ai toujours été proche de mes émotions. Mais, à l'époque, quand tu parlais de tes émotions, que tu t'ouvrais, c'était perçu comme de la faiblesse. C'était compliqué de dire qu'on avait peur ou qu'on était stressé avant un match par exemple. Pourtant, cette anxiété est tout à fait normale, elle est humaine. On y revient. Heureusement, les mentalités évoluent et les gens, la société, les médias commencent à comprendre.
Dans un vestiaire, c'est encore compliqué de montrer cet aspect? Est-ce qu'il y a une injonction à la virilité?
Dans le monde du sport en général, hommes et femmes confondus, il y a ce besoin de se montrer sans faille, de garder la face. Quoiqu'il arrive. Les réseaux sociaux ont offert une plateforme à certains et certaines pour justement s'ouvrir et prendre la parole.
On accepte aussi de plus en plus que les athlètes pensent par eux-mêmes et soient engagés au niveau social.
Trop longtemps, les sportifs ont été considérés comme des gens bêtes, limités à leurs capacités physiques. En dehors, on devait se taire sur des sujets de société, sur la politique, sur des aspects de santé. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous sommes le reflet de la société, comme par exemple récemment sur les discussions et la prise de conscience autour du racisme.
C’est important pour vous?
J'ai toujours été moi-même, entier. J'ai beaucoup posé de questions, voulu comprendre. Quand j'étais dans une situation que je trouvais injuste, je ne me taisais pas. Malheureusement, cela m'a parfois coûté. Notamment quand j'ai perdu mon capitanat à Hambourg (ndlr: fin 2016). J'ai toujours fait preuve de franchise et cela n'a pas été réciproque de la part de l'entraîneur (ndlr: Markus Gisdol). On a cherché à me faire passer pour le méchant dans l’histoire. Le coach n'a pas apprécié que j'aie du répondant, que je cherche à comprendre le pourquoi du comment. Tout aurait pu être évité.
Dans votre dernier club, à Nordsjælland au Danemark, chacun pouvait voter de manière démocratique sur tout ce qui touche à l'équipe. Ailleurs, l’avis des joueurs n’est-il pas assez pris en compte?
Cette expérience danoise a été fantastique. Cela m'a redonné foi dans le football. Après Sion et Xamax, je me suis dit qu'il était peut-être temps d'arrêter. Je suis quand même parti à Nordsjælland pour voir ce que ça donnait. Après trois jours, j'avais retrouvé le feu sacré. Le partage, la démocratie où chacun a la place de donner son avis, d'argumenter, de discuter. C'est fantastique. Dans ce cadre, la «critique» n'est que constructive. Je n'avais jamais vu ça avant.
Dans ce modèle, à quoi sert l'entraîneur alors?
A tout, parce que c'est lui qui a inculqué ce système. C’est une philosophie qui va au-delà des résultats et qui s'applique de l'école de foot aux pros, chez les hommes et les femmes. C'est novateur. Tout est plus transparent, sain. Le coach a donné une partie de son pouvoir au groupe et on le lui rend. On pourrait se battre pour une telle personne.
Cette vision démocratique, c'est l'avenir du foot?
J'en suis persuadé. C'est le meilleur moyen pour unir un groupe au-delà des égos, des générations, des différences de salaires, de la hiérarchie, des cultures, etc. Un jeune de 16 ans, qui n'a encore jamais joué, doit pouvoir s'exprimer autant que la star internationale de l'équipe. Sa voix a la même valeur. Tout le monde s'engage pour un but commun. Le collectif passe avant tout.
Faire comprendre que le bien commun est au-dessus de tout, c'est presque une vision communiste, non?
C'est un peu ça. Trop souvent dans le football, on pense que la personne qui a le plus de pouvoir, comme l'entraîneur ou le directeur sportif, en sait plus que les autres. Mais ce n'est pas toujours le cas. C'est dangereux quand une seule personne prend des décisions unanimes pour tout le monde.
Comme dans une dictature?
Dans un vestiaire, la dictature peut marcher une saison ou deux. Mais sur la durée, pour la vie de groupe, ce n'est pas viable. Si certains commencent à se sentir mal, à discuter, la rébellion va grandir et le vestiaire se scinder.
Vous qui avez longtemps côtoyé Arsène Wenger: avait-il déjà cette vision égalitaire?
Tout était moins ouvert et discuté qu'à Nordsjælland, mais il a montré la voie dans cette volonté d'intégrer tout le monde, de donner sa chance aux joueurs peu importe leur vécu ou leur salaire. En ce sens, il était communiste parce que tout le monde était logé à la même enseigne.
Ces visions «de gauche» ont-elles leur place dans ce milieu très capitaliste du football?
La soif du résultat instantané pousse à des dépenses démesurées. Sans aucune garantie de retour sur investissement. Il n'y a qu'à voir le nombre de clubs qui se sont endettés pour viser des titres ou des qualifications européennes. La pandémie n'a rien arrangé. Le seul modèle viable, c'est de former des joueurs, d'avoir une identité de jeu forte et faire de la plus-value sur les transferts. Il n'y a qu'à regarder l'Atalanta Bergame par exemple.
Bergame, c'est justement l'exception qui confirme la règle, non?
Oui. Il faut que les dirigeants européens en prennent conscience et mettent en place des systèmes plus durables.
L'échec de la Super League en est un bon exemple?
C'est un sujet compliqué. C'était beau de voir cette mobilisation populaire. Les fans ont un réel pouvoir. Le football, c'est et ça doit rester le sport du peuple. Mais si la Super League n'est pas allée de l'avant, c'est surtout pour des critères purement économiques. Avec les droits TV, les sponsorings, les supporters ne sont malheureusement pas déterminants. Au final, ce n'est qu'un business avec des retombées internationales. J'ai de la peine à croire que les stades auraient été vides si la Super League avait vu le jour. Sans parler des audiences.