«Oui, on peut parler français.» les couloirs de l'antre du Legia Varsovie, Kreshnik Hajrizi ne s'attend pas à être arrêté en zone mixte. Et il s'attend encore moins à parler dans sa langue maternelle avec un journaliste. Il n'a pas foulé la pelouse du Stade du maréchal Józef Piłsudski lors de la défaite de son équipe du Widzew Lodz. Depuis le début de saison, il n'a d'ailleurs eu que peu d'occasions de prouver ses qualités, lui qui n'a eu droit qu'à une titularisation en championnat.
Cette semaine, il a pourtant joué 120 minutes en Coupe de Pologne. De quoi lui promettre des jours meilleurs? «Je travaille fort pour que l'on me donne ma chance, démarre-t-il. J'ai eu une blessure durant la préparation et dès mon retour j'ai dû me remettre rapidement dans le bain. Mais malgré cela, je me sens bien. Le football, ici, est différent de celui que je connais en Suisse. C'est plus physique, plus dur. Je pense que cela correspond à mon style de jeu. Il ne me manque finalement que les minutes de jeu pour que tout soit parfait.»
En fin de saison dernière, le Valaisan évoluait au FC Lugano, club avec lequel il s'est établi comme un joueur fiable de la Super League. Mais il le savait: le temps était venu de voir autre chose. Se fixer de nouveaux objectifs. «Lorsque l'offre de Lodz est arrivée, tout était parfait, sourit-il. C'était une belle occasion de découvrir un nouvel environnement. J'avais l'impression que le club avait un joli projet et comptait sur moi. Et je le crois toujours. Je respecte les choix du coach et je bosse comme je l'ai toujours fait.»
Ces premiers mois à faire banquette ne l'ont pas refroidi. «Si tu n'as pas un bon mental, tu peux vite abandonner et te retrouver à la cave, image-t-il. Ce n'est pas mon cas. Il y a deux ou trois ans, j'aurais peut-être réagi différemment. Mais, je sais que c'est à moi de montrer au coach que je suis irréprochable en tout temps et de ne pas commettre d'erreur lorsqu'il me donnera ma chance. Mais en attendant, tu dois manger de la... enfin, je ne vais pas le dire en interview, mais tu dois passer par des moments plus difficiles.» Chose qui ne lui fait pas peur, lui qui a gravi patiemment les échelons des M21 de Young Boys à Lugano en passant par Chiasso.
Cours de polonais le mardi
S'il ne vit pas les moments les plus épanouissants de sa carrière sportive par manque de temps de jeu, il compense autrement. «Je ne regrette pas ce choix, mais j'ai aussi la chance d'être bien entouré, admet-il. Ma femme est présente avec moi et cela m'aide beaucoup.» D'un naturel ouvert, il profite également d'interagir au maximum avec ses nouveaux coéquipiers et tente de casser la barrière de la langue. «Le mardi, nous avons des cours de polonais, détaille-t-il. Mais ça part des fois à la rigolade, car on est 10 joueurs à parfois ne rien comprendre (rires).»
Mais c'est surtout sur le terrain qu'il essaie de se faire le mieux comprendre. «Dans la vie de tous les jours, ce n'est pas tout le temps simple, car tout le monde ne parle pas anglais. Mais être capable de dire à un coéquipier 'tu as le temps' ou 'joue plus bas ou plus haut', c'est important et je pense que j'en suis déjà capable. C'est comme ça que j'ai appris les bases de beaucoup de langues tout au long de ma carrière.»
Loquace à l'interview, le jeune défenseur de 23 ans l'est aussi avec son équipe. Lorsque l'un des jeunes joueurs de l'équipe passe avec des caisses de matériel et des ballons, il propose spontanément son aide. «C'est important de montrer que tu fais partie de l'équipe même si tu n'es pas sur le terrain, ça aide à se sentir investi. Je connaissais déjà un autre joueur que j'avais rencontré équipe nationale du Kosovo. Cela m'a aidé à m'intégrer même si je suis un gars de vestiaire et j'aime cette ambiance, donc cet aspect ne me faisait pas peur.»
«Le football en Pologne? Une religion!»
Depuis son arrivée en Pologne, il est rentré une fois en Suisse, lors de la dernière pause dédiée aux équipes nationales. «À l'inverse, ma famille est venue me trouver ici. Ils sont venus en voiture, c'était génial de les voir. Cela m'a fait beaucoup de bien.» Kreshnik Hajrizi n'a peut-être pas encore autant joué qu'il l'aurait souhaité, mais il est convaincu que son choix était bon. «Je ne regrette pas. Physiquement, j'ai déjà l'impression d'être un autre joueur. En Super League, il y a bien sûr des contacts. Mais ici, les jeunes de 17 ou 18 ans, ce sont déjà des armoires. Ici, si tu ne travailles pas physiquement, tu n'es pas bien. Et je vois que j'ai progressé, car j'étais un peu en difficulté au tout début et que je ne le suis plus. Cette semaine, j'ai joué 120 minutes en Coupe et j'aurais pu être sur le terrain deux jours plus tard contre Legia.»
Culturellement, Kreshnik Hajrizi a également découvert un pays qui vibre pour le ballon rond. L'atmosphère hallucinante du match sur le terrain du Legia en est la preuve. «Et encore, nos fans ont été interdits de voyage, regrette-t-il. «Ici, ils n'aiment pas seulement le foot. Ils vivent le foot. Quand je suis en ville de Lodz, les gens m'arrêtent pour faire des photos. Tout le monde te reconnaît. Je n'avais jamais vu ça en Suisse. C'est une expérience dingue. Et puis les stades sont pleins, c'est fou. Tous les week-ends, tu joues devant 25'000 spectateurs. En tant que footballeur, tu vis pour ça.» S'il pouvait, en plus, grappiller un peu de temps de jeu d'ici à la trêve internationale, ce ne serait pas pour lui déplaire. En tout cas, il est prêt. Mentalement et physiquement.