Ivan Rakitic se confie
«Je me considère complètement comme suisse»

Ivan Rakitic vient de remporter pour la 2e fois l'Europa League avec Séville. Il est donc le footballeur suisse le plus titré en Europe, avec aussi une C1 avec Barcelone. Car bien qu'il ait joué pour la Croatie, le milieu possède le passeport helvétique. Interview.
Publié: 09.06.2023 à 17:28 heures
Ivan Rakitic montre fièrement sa médaille après sa deuxième victoire en Europa League avec Séville.
Photo: IMAGO/Sebastian Frej
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Alain Kunz

Ancien joueur du FC Bâle, Ivan Rakitic vient de remporter sa deuxième Europa League avec le FC Séville. Pour Blick, le Croato-Suisse revient sur cette finale mais aussi sur sa carrière. Un retour en Suisse est-il envisageable? Pourquoi ne pas avoir fait un tour d'honneur avec un drapeau à croix blanche? Se considère-t-il plus comme croate, suisse, ou même andalou? Interview.

Ivan Rakitic, il se murmure qu'à Séville, les fêtes après le triomphe en Europa League ont été épiques. Vous vous en êtes bien sortis?
(rires) Je dois avouer qu'à la fin, ça m'a fait un peu mal. Ces trois jours ont été longs, mais incroyables. Je ne me souvenais pas que c'était aussi dur…

C'est peut-être à ce moment-là qu'on constate qu'on n'a plus 20 ans…
C'est en faisant ce constat que se sont déroulées ces célébrations pour moi, oui…

Quand réalise-t-on que l'on a écrit l'histoire?
Ça vient après les fêtes. Quand tu es à la maison, avec ta femme et tes enfants, et que tu as du temps. En tant que père de famille, tu peux ressentir ce que tu as accompli en regardant tes enfants. Quand une fille demande si elle peut emporter le trophée de l'Europa League à l'école et l'autre le ballon de la finale, tu sens alors ce que nous avons accompli. Une fois de plus, Séville a défié les lois du football. Personne n'aurait parié sur nous. Et pourtant, nous sommes à nouveau champions.

Vous avez suggéré que le trophée soit rebaptisé Coupe du FC Séville. Le président de l'UEFA, Aleksandar Ceferin, a-t-il fait des démarches dans ce sens?
Les responsables de l'UEFA ont d'abord été effrayés par tout ce que nous avons fait avec le trophée. Je pense que tout le monde à l'UEFA, y compris le président, sait que Séville a un lien très spécial avec l'Europa League. C'est pour ça qu'ils devraient en parler lors de la prochaine réunion.

Comment est-il possible de faire une saison aussi terrible en Liga, de n'être que 11e, et d'éliminer des équipes comme Manchester United et la Juventus en Europa League?
Il y a des lois complètement différentes. Nous sommes arrivés en finale – avec le troisième entraîneur de la saison, qui n'avait aucune expérience en Coupe d'Europe. Et nous n'avons pas seulement éliminé ces deux poids lourds. Nous avons été meilleurs dans les deux matches. À domicile, nous avions de toute façon l'impression d'être plus rapides et plus forts que nos adversaires. En revanche, notre saison en championnat doit être oubliée.

C'est donc un phénomène.
Oui, il y a quelque chose. Les dieux du football ont créé ce lien entre Séville et l'Europa League. Et les adversaires qui nous rencontrent disent: «Pourquoi Séville? C'est incroyable!»

Comment avez-vous perçu la prestation du coach de l'AS Rome, José Mourinho, en finale?
Ces dernières années, l'Europa League a fait un pas de géant et s'est rapprochée de la Ligue des champions. Séville contre Manchester United ou la Juve pourraient aussi être des quarts de finale de la Champions League. C'est là qu'on voit que même un géant comme Mourinho – pour moi l'un des meilleurs de l'histoire du football, qui a tout gagné – voulait absolument ce titre. C'était de la pure faim et cela a quelque chose à voir avec l'honneur, le fait de ne pas aimer quitter le terrain en perdant.

Mais il est toujours à la limite.
Bien sûr. Mais cela ne nous surprend pas vraiment. Nous le connaissons depuis plus de vingt ans. C'était du Mourinho à 100%. Je l'ai rencontré à la conférence de presse la veille du match et j'ai senti qu'il était prêt! À chaque déclaration, il sait exactement ce qu'il veut faire.

Les filles de Rakitic étaient également présentes à Budapest.
Photo: Getty Images

Ce qui nous a impressionnés, c'est votre geste avec le maillot de Sergio Rico lors du tour d'honneur.
Sergio est un enfant de Séville. Il a grandi ici. J'ai joué avec lui. Il a aussi gagné l'Europa League. Son état est critique après son grave accident de cheval. Mais d'après ce que j'ai entendu, il va un peu mieux. Je voulais montrer que nous sommes tous avec lui.

Un mot sur vous. Au bout d'une heure, on pensait que vous alliez sortir du terrain. Au plus tard lors des prolongations. Vous avez 35 ans et pourtant, vous avez joué presque 150 minutes, dans une partie incroyablement intense. Et vous avez encore eu la force de tirer un penalty. D'où viennent ces ressources physiques?
Novak Djokovic a dit il y a quelques mois que 35 ans étaient les nouveaux 25 ans… Je vais reprendre cette phrase (rires). Ce sont les moments où j'apprécie le plus le football. J'étais convaincu que mes coéquipiers avaient besoin de moi. Je voulais prendre cette responsabilité. Et je savais que j'aurais ensuite un mois pour me régénérer et reprendre des forces.

Vous n'êtes donc pas du tout fatigué par le football?
Je me rends chaque matin au centre d'entraînement avec un énorme sourire aux lèvres et j'essaie d'aider mes coéquipiers. Je sais que je suis important pour eux et pour le FC Séville en raison de mon lien avec le club et les supporters.

Votre contrat court encore pendant un an. Vous allez l'honorer?
Absolument. Tant que je sens que je peux suivre et être important pour l'équipe, je continuerai. J'espère encore quelques années. Mais toujours sans stress ni rien.

Zlatan Ibrahimovic vient de prendre sa retraite, à 41 ans. Il y a donc encore de la place pour que vous prolongiez votre carrière…
(rires) Ouf, c'est encore loin. Tant que j'apporterai quelque chose, je continuerai. D'autant plus quand je vois que ces derniers mois, j'ai pu apporter ce qu'il y a de meilleur dans ma carrière.

Un retour en Suisse est sans doute moins à l'ordre du jour, à cause de vos enfants et parce que votre femme, qui vient de Séville, veut y rester.
Il ne faut jamais dire jamais! Nous sommes chez nous à Séville et tout nous convient ici. Je n'ai pratiquement aucun contact avec les gens qui sont aux commandes à Bâle. Beaucoup de choses ont changé là-bas. De temps en temps encore avec Bernhard Heusler (ndlr: l'ex-président du FCB), mais il n'est plus là.

En 2007, Ivan Rakitic jouait encore au FC Bâle
Photo: SVEN THOMANN

Si on reste sur le FC Bâle… Votre ancien club a été tout près d'écrire l'histoire du football suisse et d'atteindre pour la première fois une finale de Coupe d'Europe. Avez-vous tremblé avec eux?
Absolument! J'ai regardé comment ça s'est passé, juste après notre match à nous. C'est incroyable! Ce but à la 129e minute… C'était dommage et triste. Le FC Bâle a fait beaucoup de choses correctement, il était si près du but, il a fait la meilleure publicité pour le football suisse et peut être fier. On a vu qu'il était possible d'atteindre une finale. J'espère que cela se produira une fois dans les années à venir. En tout cas, félicitations aux joueurs et aux fans!

Étiez-vous au courant de la relégation du FC Sion?
Bien sûr. Cela m'a surpris et m'a un peu attristé. Sion est un grand club dans une ville magnifique. Chaque année, le président met sur pied un grand projet et cette relégation, c'est dommage. Pas seulement pour Sion, mais aussi pour tout le football suisse. J'espère qu'ils en tireront les leçons en Valais, qu'il y aura un nouveau départ et qu'ils remonteront bientôt.

Une visite en Suisse est-elle au programme de vos vacances?
En ce moment, nous sommes à Ibiza. Il s'agit de se déconnecter complètement, loin de tout. Ensuite, j'essaierai de passer encore quelques jours en Suisse.

La plupart de votre famille est toujours à Möhlin, dans le canton d'Argovie.
Ma sœur vit près de Zurich, tout comme de nombreux amis. Mais ma famille est toujours à Möhlin, oui.

Que représente la Suisse pour vous? Vous avez fait le tour d'honneur avec le drapeau croate…
Un Suisse a aussi gagné l'Europa League. C'est évident! En Espagne, je suis croato-suisso-andalou. Et non pas croato-andalou. Avec Ivan, la Suisse est toujours de la partie. Je suis fier de représenter la Suisse dans le football et le sport en général. Si je me suis déplacé avec le drapeau croate, c'est parce qu'un supporter croate me l'a mis dans la main. Si cela avait été un Suisse, j'aurais porté le drapeau à croix blanche. Je suis fier de l'endroit où je suis né et où tout a commencé.

Vous avez toujours le passeport suisse et le passeport croate?
Exactement. J'ai certes demandé le passeport espagnol. On m'a dit que je devais en rendre un, donc soit le suisse, soit le croate. J'ai dit: «Alors, je ne suis pas espagnol…» (rires)

Il y a quand même beaucoup de gens en Suisse qui vous perçoivent comme un pur Croate parce que vous avez joué l'autre équipe nationale. Si je vous dis qu'Ivan Rakitic est le meilleur footballeur suisse de tous les temps, comment le voyez-vous?
Je vois les choses exactement de la même manière et je suis heureux que vous le voyiez aussi comme ça. Je peux comprendre qu'il y ait des perceptions différentes. Je me considère complètement comme suisse. Quand il y a du sport avec un Suisse à la télévision, je le regarde et je vibre avec lui. J'étais par exemple un grand fan de Roger Federer. Bien sûr, j'ai pris la décision de jouer pour la Croatie, après avoir porté les couleurs de la Suisse des moins de 21 ans. Mais j'aime toujours montrer et expliquer aux Espagnols d'où je viens.

Vous n'êtes pas seulement le meilleur suisse sur le terrain, mais aussi sur Instagram, avec 17,3 millions d'abonnés. Cela représente plus de quatre fois la population croate et plus du double de la Suisse… Comment faites-vous?
J'essaie toujours d'être proche des gens et j'espère qu'ils le ressentent aussi. Je suis heureux et fier que tant de gens me suivent. Et ce qui est fou, c'est que la plupart de mes suiveurs ne viennent pas d'Europe. J'espère même pouvoir encore progresser.

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