Flash-back: nous sommes le 27 octobre 2019 et Arsenal rencontre Crystal Palace lors de la 10e journée du championnat anglais. Les Gunners mènent 2-0 mais se font remonter par leur adversaire londonien, concédant le nul (2-2). Capitaine de l'équipe locale, Granit Xhaka est remplacé à la 61e sous une bronca de ses propres supporters. Le début d'une période très compliquée pour le capitaine de l'équipe de Suisse, un match qui le hantera pour le reste de sa carrière.
C'est le point de départ de l'interview de l'international helvétique pour «The Players Tribune», un média à la première personne qui donne la parole aux sportifs. Si vous n'avez pas le temps de visionner la version intégrale ci-dessous, retrouvez notre sélection des meilleurs passages.
Granit Xhaka sur...
... le clash avec les supporters d'Arsenal
«Je n'étais pas encore sorti du terrain qu'ils me huaient déjà. Il ne s'agissait pas de quelques personnes, c'était toute une tribune. J'étais sous le choc. Je n'avais jamais vu ça auparavant. Quand j'ai couru vers le tunnel, mon regard a croisé celui de supporters — je m'en souviendrai toute ma vie. Quand je ferme les yeux, je peux encore voir leurs visages. Je peux voir leur colère. Ce n'était pas seulement qu'ils ne m'appréciaient pas, c'était de la haine. De la haine pure et simple.
Je n'ai jamais de problème avec la critique. Xhaka était nul à crever aujourd'hui? Pas de problème. Mais me faire huer par mes propres fans? En tant que capitaine? C'est autre chose. Ce jour-là, je ne me suis pas senti respecté. Les commentaires qui ont suivi ont dépassé les limites. Je ne souhaiterais pas ce niveau d'irrespect et de haine à mon pire ennemi. Désormais, je déteste sortir du tunnel, parce que je vois leurs visages. Je ne fais que baisser les yeux. J'ai abandonné l'idée que nous soyons un jour les meilleurs amis du monde. J'espère juste que nous pourrons nous traiter avec honnêteté et respect.»
... sa décision de quitter Arsenal
«Juste après le match, mon père m'a dit: «Il est temps de partir». Deux mois plus tard, mes valises étaient faites, les passeports prêts. Le chapitre Arsenal était terminé pour de bon. Un contrat avec un autre club (ndlr: le Hertha Berlin) était sur la table, je n'avais plus qu'à le signer. J'avais déjà discuté avec ma femme Leonita et nous avions décidé de partir. Je voulais juste dire au revoir à mon coach, Mikel Arteta, avant de prendre l'avion.»
... sa volte-face
«Vous le savez: j'ai été écarté de l'équipe et j'ai perdu le brassard de capitaine. Mikel Arteta est devenu entraîneur en décembre, et je lui ai fait savoir que je voulais partir. Il a totalement compris ma décision. Mais quelques jours plus tard, nous avons eu une autre discussion. Nos valises étaient déjà prêtes, comme je l'ai dit. Me faire changer d'avis semblait bien difficile. Mais Mikel a commencé à parler de l'importance du rôle qu'il voulait me confier. J'ai aimé son enthousiasme. Il était honnête et direct, il avait des plans clairs. J'ai compris que je pouvais lui faire confiance. Il m'a juste demandé six mois. Et si je voulais toujours partir après, il n'y aurait pas de problème. Normalement, je consulte mes proches avant de prendre une telle décision. Mais là, j'ai enfreint ma propre règle. J'ai répondu à Mikel: «OK». J'ai appelé ma femme et mes parents pour leur dire que je restais à Londres. Ma tête a quitté Arsenal, mais pas mon cœur. J'aime toujours ce club.»
... son statut de célébrité
«Je sais bien que nous, les footballeurs, sommes des privilégiés. Mais vous devez comprendre que nos vies peuvent aussi être difficiles parfois. Très difficiles. Nous ne sommes pas, comme vous pouvez le croire, des joueurs qui courent dans tous les sens durant une heure et demi et se disent «À bientôt» à la fin. Les gens me disent que c'est notre travail et que nous sommes payés pour ça? Oui, c'est vrai. Mais lorsqu'un membre de ta famille meurt, comment fais-tu sur le terrain? Et quand ta femme vient d'accoucher et que tu dois prendre l'avion pour Bakou pour jouer une finale (ndlr: Arsenal-Chelsea en Europa League en 2019)? Pour moi, ce n'est pas facile.
Oui, pendant 90 minutes, je suis Granit Xhaka, milieu de terrain à Arsenal. Mais le reste de la semaine, je ne suis qu'un Suisse qui vit à Londres avec sa femme et ses enfants. Si ma famille veut aller au restaurant, nous y allons. Si mes enfants ont faim, je vais faire des courses à Sainsbury, la Migros locale. C'est ainsi que j'aimerais vivre. Mais si mes enfants veulent aller au McDonald's, c'est impossible. Parce que si quelqu'un me filme et le met en story Instagram, je suis partout dans les médias le lendemain. Bien sûr, je ne crache pas dans la soupe: je suis heureux d'être joueur professionnel. Mais en-dehors du terrain, je peux vous dire que je regrette ma vie d'avant.»
... ses débuts difficiles
«Quand j'avais 14 ans, j'étais tout maigre et petit. Les entraîneurs ne faisaient que de parler de mon frère aîné, Taulant, du fait qu'il était talentueux... Il l'était! Mais à moi, ils m'ont dit: «Écoute Granit, tu ne seras jamais footballeur professionnel.» L'année suivante, je me suis déchiré les ligaments croisés. Huit mois de pause forcée. Puis je suis revenu et... c'était un désastre. «Ton niveau est honteux! Pourquoi tu t'entêtes?» Chaque fois que j'avais des problèmes de la sorte, je voulais abandonner. Mais mon père me répétait toujours la même chose: «N'abandonne jamais. Jamais.»
... sa relation avec son père
«Deux ans plus tard, en 2009, nous avons remporté le Mondial des moins de 17 ans. C'est ce qui m'a ouvert les portes du Borussia Mönchengladbach, en 2012. La gloire? Pas du tout. Les six premiers mois, j'étais scotché sur le banc des remplaçants. Dix matches. En janvier de l'année suivante, j'ai dit à mon père que je voulais partir. Il m'a répondu: «Ferme ta gueule. La porte est là. Tout le monde peut partir. C'est facile. Mais être fort et travailler plus que les autres, c'est ça qui est vraiment difficile.» Il est comme ça, mon père. Nous analysons ensemble tous mes matches et il ne m'a jamais dit:«Bien joué Granit». C'est mon grand défi, qu'il le dise un jour. J'ai beau marquer deux buts, il me dira que mon placement n'était pas bon. Dans 90% des cas, il a raison. Voilà notre relation.»