À force de le voir porter le maillot grenat, on aurait presque tendance à oublier que Gaël Clichy a le plus beau palmarès des joueurs de la Super League. Le latéral de 36 ans approche de la fin de son contrat avec Servette. Son arrivée en Suisse avait été actée en décembre 2020.
Dans les travées du Stade de Genève, Gaël Clichy a pris le temps – plus que prévu – pour revenir sur cette expérience helvétique, son rôle dans le vestiaire genevois, sa riche carrière et la suite, à court mais aussi à moyen terme.
Gaël Clichy, votre première entente avec Servette touche à sa fin. On évoque des discussions pour une prolongation. Comment voyez-vous l’avenir?
Bien entendu, on ne perçoit pas l’avenir de la même façon si on a 20 ans ou 36 ans. A priori, Manchester City ne va pas venir me proposer un contrat de cinq ans (rires). Aujourd’hui, je me sens bien à Servette. On s’est bien trouvés, le club et moi, et il y a encore de belles choses à faire. J’ai discuté avec le président (ndlr: Pascal Besnard) et le directeur sportif Philippe Senderos. Ils savent ce que je souhaite. Depuis que je suis là, j'ai fait les efforts, montré que j’ai envie de m’investir. Je suis confiant.
Quel est votre rapport à Genève?
Ma famille y est heureuse. La ville est belle, même s’il fait froid. C’était le bon choix à faire pour nous. Quand j’ai signé ici, pas mal de gens m’ont demandé ce que je faisais. J’avais à cœur de donner la priorité à ma famille. Pendant 20 ans, cela n’a pas été le cas avec des déménagements à Londres, Manchester et Istanbul. Notre vie était dirigée par mes choix sportifs. Je voulais trouver une solution qui me permette de mieux allier les deux. Nous sommes aussi plus proches des grands-parents de nos enfants, qui vivent à Toulouse.
Servette vous offrait l’équilibre que vous cherchiez?
Bien sûr. Avant de signer à Servette, j’ai reçu d’autres propositions. J’avais la possibilité de jouer à haut niveau, ou alors d’entrer immédiatement dans un staff et d’arrêter de jouer. C’était alléchant, mais rien n’était suffisamment stable. Quand j’ai signé à Genève, nous avions évoqué la possibilité d’une reconversion. Sans manquer de respect à Servette, j’aimais cette idée de signer dans un club en reconstruction, dans une situation sportive plus modeste, pour avoir une plus grande implication. Mon but, c’est de devenir entraîneur. Le club m’a dit que c’était une possibilité à Genève. Voilà où nous en sommes. Je me projette à moyen, voire long terme ici et, pour l’instant, cela se passe bien.
Votre reconversion, vous l’imaginez donc sur un banc, si possible à Genève?
Oui, ça serait l’idéal. Cela dit, il y a des personnes et un staff qui sont en place. Je ne suis pas ici pour mettre quelqu'un à la porte. Je veux apprendre. Malgré ma carrière sportive, je pars de zéro dans le coaching. J’en suis conscient et même l’entraîneur des M15 peut m’apporter quelque chose. Ma chance, c’est que j’ai joué avec des grands footballeurs qui sont devenus des techniciens de premier plan, comme Patrick Vieira, Vincent Kompany, Kolo Touré ou Thierry Henry. J’échange avec eux et je me nourris de leur expérience. Je ne sais pas si je serai aussi compétent, mais je mets les chances de mon côté pour y parvenir. Quand je suis arrivé à Arsenal, Ashley Cole était titulaire. C’était le meilleur latéral au monde à l’époque. Je savais qu’il était intouchable mais j’avais à cœur de progresser. Cinq ans plus tard, j’ai pris sa place.
Vous avez joué sous les ordres des plus grands entraîneurs au monde. Lequel serait votre plus grande inspiration?
Il y en a plein. Au final, mon premier éducateur, c’était mon père. C’est lui qui m’a donné la passion et l’amour du football. C’est un peu tiré par les cheveux mais sans lui, je ne serais pas là. Ensuite, chaque grand entraîneur m’a façonné avec sa vision du football. Idéalement, j’aimerais être un mélange des paramètres que j’ai préférés chez chacun d’entre eux. Arsène Wenger m’a fait découvrir le haut niveau. Sans ces huit années avec lui à Arsenal, je n’aurais pas le même palmarès. Pareil pour Roberto Mancini, qui est celui qui a m’a débauché dans le meilleur club du monde (ndlr: l'Italien était alors le coach de Manchester City). Son style transalpin m’a aussi influencé. Je peux encore citer Laurent Blanc et Didier Deschamps. Mais, je dois forcément nommer Pep. Avec Guardiola, en seulement dix mois, ma façon de voir le foot a changé.
Comment est-ce possible, alors que vous aviez déjà un grand palmarès et un beau vécu lorsque Guardiola a signé à City en 2016?
Il prend votre façon de penser et renverse tout. Je ne suis pas le premier à le dire. Il faut le vivre pour le comprendre. C’est quelqu’un de très intense. Je me suis rendu compte que ce que j'avais appris au fil de ma carrière pouvait encore être poussé plus loin. On entend souvent qu’un match bascule sur des détails. Cette phrase est devenue anodine aujourd’hui mais Pep l’incarne. Il est méticuleux à l’extrême. Il se focalise sur ces détails sept jours sur sept. Il ne laisse rien au hasard et permet à son équipe, à chaque joueur de s’améliorer. Aujourd’hui, il a remporté des dizaines de trophées. Son Barça était impressionnant. Ce qu’il fait avec City, c’est du jamais-vu. Il a réussi à rendre presque banale la Premier League alors que c’est le championnat le plus compétitif au monde.
Arsène Wenger est-il vraiment venu toquer à votre porte pour vous convaincre de signer à Arsenal en 2003?
Oui, j’étais à Cannes à cette époque-là. J’avais 16 ans. Il s’est déplacé pour me voir, avec le chef de sa cellule de recrutement. Bien entendu, la Côte d'Azur reste une destination plutôt sympathique. J’imagine qu’il en a profité pour passer quelques jours sur la Croisette (rires). Mais cette anecdote démontre surtout à quel point l’humain était important pour lui et pour Arsenal. Il aurait pu se contenter d’envoyer quelqu’un de son staff. Je me souviens très bien de notre discussion. Arsène m’a dit qu’il voyait un avenir prometteur pour moi dans son équipe. Je lui ai demandé ce que j’avais à gagner face à une telle concurrence. Il m’avait promis qu’il prêterait Giovanni van Bronckhorst si je signais. Je n’avais aucune garantie qu’il tienne sa promesse mais j’ai accepté. Dix jours après le début de la préparation estivale, le Néerlandais est parti à Barcelone. Arsène Wenger est un homme de parole.
Vous avez évoqué l’importance de l’humain, montrer aux gens qu’ils comptent. Cet aspect est-il encore valorisé dans le football?
Le football, c’est bien plus qu’un sport. Quand j’amène mes enfants à l’école tous les matins, on écoute la radio dans la voiture. Il y a, à chaque fois, une info liée au football. On entend très rarement parler du tennis de table par exemple. Même ceux qui n’aiment pas le foot regardent la Coupe du monde entre amis, connaissent Neymar ou Mbappé. C’est universel. Le foot, c’est un business mais c’est aussi le moyen de réunir des peuples. Dans certains pays, les résultats des équipes ont une forte influence sociale. J’ai vécu ça en Angleterre où les matches conditionnent la semaine de certains foyers. Nos résultats ont une vraie importance sur la ville. Le footballeur n’est pas plus important que le chirurgien, loin de là. Mais le football fait rêver, comme l’art ou la musique. Nous avons de la chance, ce talent qui nous permet de faire partie de cette industrie. C’est un milieu où on n’a pas peur d’écraser l’autre pour arriver à ses fins. C’est aussi vrai dans la société en général malheureusement, mais c’est peut-être exacerbé dans le football.
D’autres vous ont tendu la main durant votre carrière?
Je pense à Patrick Vieira. C’était quelqu’un qui avait les dents longues. Il savait aussi taper du poing sur la table quand il fallait. Mais c’est une personne généreuse. J’avais 17 ans quand je suis arrivé à Arsenal. Je passais mon premier Noël avec ma sœur et ma cousine à Londres. Il m’a invité dans sa famille, nous a accueillis tous les trois alors qu’on était un peu esseulés. Il n’avait pas à le faire, mais cette invitation reste gravée dans mon cœur. J’ai toujours essayé de reproduire ce genre de gestes. On m’a souvent dit que je pouvais être candide, que j’ai été trop gentil. J’aurais peut-être pu faire une meilleure carrière en étant plus méchant. Certains l’ont perçu comme un manque d’ambition. Mais qu’importe. Au-delà d’être vu pour un plus ou moins bon joueur, je suis un père de famille aimant, qui est aussi aimé par ma famille. Ce que l’homme représente est plus important que ce que le footballeur a pu accomplir.
Quel est le coéquipier qui vous a le plus marqué?
C’est dur d’en choisir un. Mais quand j’ai rencontré Thierry Henry pour la première fois dans le vestiaire à Arsenal, cela m’a fait quelque chose. Il vient de la Martinique, comme moi. C’était mon idole, mais aussi celle de toute une génération de Français. C’était fou de le côtoyer comme un coéquipier. Il est devenu un ami par la suite.
Vous avez évoqué cette culture footballistique que vous avez ressentie en Angleterre ou en Turquie par exemple. En Suisse, c’est quand même très différent. Comment le vivez-vous?
C’est dommage. J’ai un exemple en tête: la Ville de Genève va investir 14 millions de francs pour construire un centre sportif dédié au tennis de table et au judo. C’est génial que tous les sports et les passions soient traités à valeur égale. C’est aussi pour cela que j’ai décidé de m’installer en famille en Suisse, pour la vie et le futur de mes enfants. Mais en tant que footballeur, j’ai de la peine à comprendre que les autorités ne saisissent pas le potentiel du football. Il n’y a qu’à se rappeler l’engouement après la victoire de la Suisse à l’Euro. J’ai rarement vu une telle ambiance. Comment peut-on freiner des décisions et des investissements dans un sport qui fait autant rêver le peuple?
Et quel regard portez-vous sur la Super League?
Je ne vais pas dire que le championnat suisse est meilleur que la Premier League ou la Liga! Mais en Super League, il y a une vraie place pour les jeunes, les stars de demain. Là aussi, il y a une opportunité économique. C’est triste que les investissements ne suivent pas. Sur le plan du jeu, ce qui est intéressant, c’est ce mélange entre trois influences, avec la Ligue 1 pour la Romandie, la Bundesliga pour les clubs alémaniques et la Serie A avec Lugano. Les joueurs en Suisse ont une bonne culture européenne du football. C’est un grand avantage quand ils partent ensuite dans de grands championnats voisins. Par exemple, j’adore Becir Omeragic du FC Zurich. Grâce à son potentiel et son vécu, il sait s’adapter à tous les systèmes et les adversaires.
Désolé de revenir sur ce fameux 8e de finale entre la Suisse et la France et de vous rappeler un mauvais souvenir à l'Euro. Mais comment avez-vous vécu ce match?
En fait, j’ai suivi une bonne partie du match dans le taxi. Nous avions le début de la pré-saison à Crans-Montana. J’ai rejoint l’équipe juste à temps pour les prolongations. On a regardé la fin du match tous ensemble. C’était un moment sympa de vivre cette rivalité franco-suisse.
On vous a chambré après les penalties?
Non, parce qu’au final, il nous suffit de pointer les deux étoiles au-dessus du coq français pour mettre fin à la discussion (rires). Mais c’est vrai que la soirée a été assez piquante, c’était drôle.
Vous avez 20 sélections avec l’équipe de France au compteur. Quel est votre bilan de cette carrière en Bleus?
Cela reste une très grande fierté. Mais j’y ai été aussi heureux que malheureux. Pendant plus de dix ans, Bixente Lizarazu – qui est un excellent latéral – était incontesté en équipe de France. Par la suite, la compétition à gauche n’a jamais été aussi forte que lorsque j’étais avec les Bleus. Nous étions trois pour un poste avec Éric Abidal, qui était titulaire dans l’un des meilleurs Barça de l’histoire, et Patrice Evra, qui jouait dans l’une des meilleures équipes au monde avec Alex Ferguson et Cristiano Ronaldo à Manchester United. C’était une chance de les côtoyer, mais cela n’a pas été facile d’ouvrir la porte, de jouer.
Vous avez des regrets?
Non, parce que j’ai tout fait pour jouer et la concurrence en a simplement décidé autrement. Les regrets, c’est quand on fait de mauvais choix. Je suis parti à Manchester City en 2011 aussi pour passer un palier en équipe de France, en faisant partie d’un club qui gagnait des titres. Le «problème», c’est qu’Abidal et Evra le faisaient déjà depuis plusieurs années. J’ai quand même pu jouer l’Euro 2012 en Ukraine (ndlr: la France a été éliminée par l’Espagne, future championne). Je ne m'étais donc pas trompé.
Votre génération est aussi liée à la Coupe du monde 2010 et la grève de Knysna. C’est un événement qui a marqué les esprits en France.
On nous a surnommés les grévistes alors qu’il n’y a pas une semaine sans grève en France (rires)... Mais c’est assez fou de voir qu’on en parle encore aujourd’hui. Je pense que si on réunit tout le groupe dans une salle et qu'on nous demande si c’était une erreur de ne pas sortir du bus, tout le monde répondra «oui». Bien entendu. C’est quelque chose qui restera avec nous, au même titre que les victoires de la génération Zidane et Henry en 1998 ou celle de l’équipe dorée de 2018 en Russie. Nous, on fait partie de cette génération qui est passée au travers.
Que s’est-il passé?
Il y a plein d’explications, cela a déjà été beaucoup discuté. Notre action n’a jamais été décidée contre l’institution de l’équipe de France ou la Fédération. C’était plutôt en soutien à un coéquipier (ndlr: Nicolas Anelka). À titre personnel, c’était ma première compétition internationale. C’était une fierté d’être présent. Si je pouvais faire les choses différemment, je le ferai sûrement, mais je n’ai pas de regrets pour autant. Cela a été une expérience unique de pouvoir représenter la France à une Coupe du monde. Je le souhaite à tous les jeunes joueurs de Servette.
Ces jeunes coéquipiers justement, vous avez eu des mots durs à leur encontre dans la «Tribune de Genève» en septembre, remettant en question l’implication de certains d’entre eux. Vous avez parfois un rôle difficile à jouer à l’interne?
Oui, bien sûr. En tenant compte de mon parcours et de mon idée de reconversion, je suis obligé de prendre la parole. Ce qui se passe dans le vestiaire, reste dans le vestiaire. Mais je parle beaucoup parce que j’ai aussi appris d’autres coéquipiers comme Vieira, Henry, Bergkamp et j’en passe. Ça serait égoïste de ma part de rester dans mon coin.
Que leur dites-vous?
Je leur rappelle surtout qu’ils ont la chance de faire quelque chose de beau. Notre métier, c’est de jouer au football. Tous ne pourront pas percer à Servette, jouer à Young Boys, dans des grands clubs européens ou en sélection. Mais tous ont l’opportunité de faire quelque chose dans le milieu du football suisse. Si vous voulez réussir, faites les choses pleinement, donnez-vous les moyens. Mais ne vous comportez pas comme des grands joueurs si vous n’en êtes pas un dans votre manière de travailler. Cela ne suffit pas de faire des performances brillantes pendant une ou deux semaines. C’est le travail au quotidien qui parle.
De manière générale, pourquoi les footballeurs ont-ils une mauvaise cote?
C’est peut-être mal vu d'être un jeune de 18 ans et de rouler en Bentley, mais c’est le football. Comme un rappeur qui a des dents en or et une grosse voiture: c’est mal perçu mais c’est le milieu qui veut ça. Dele Alli a été critiqué pour sa tenue vestimentaire lorsqu’il signe à Everton. Je peux comprendre, mais allez voir en NBA. Les joueurs peuvent débarquer habillés en Superman ou avec une montre à 20 millions de dollars, on ne va pas débattre là-dessus. C’est leurs performances qui comptent. Si un joueur a les moyens de s’acheter une Bentley, pourquoi pas?
Vous avez quoi comme voiture?
Je roule avec la voiture de ma femme ou celle du club. Mais, bien sûr, j’ai bien gagné ma vie: quand j’étais à Manchester City, j’ai eu de belles voitures. C’est surtout une question de statut et de respect. À Arsenal, il y avait un jeune joueur qui venait d’arriver en première équipe. C’était un prometteur milieu anglais. Il avait marqué un super but en Coupe de la ligue. Le lendemain, il débarque à l’entraînement avec une BMW M3 couleur or. Il était à peine arrivé en salle de force que Patrick Vieira est venu le chercher. Il lui a dit: «Tu prends tes clés, tu vas garer ta voiture dans le parking des jeunes et je ne veux plus jamais la voir ici.» Ce joueur avait tendance à être flashy, à en faire trop et prendre la grosse tête. Sa BMW, on ne l’a plus jamais vue!
À quoi a ressemblé votre enfance?
J’ai été bercé par le football. Ma mère était infirmière de nuit et mon père était horticulteur. C’était un amoureux du ballon rond. Il a joué, sans jamais passer professionnel. Mais, c’était un passionné. Je le suivais partout autour des terrains et il m’entraînait aussi. Il n’y avait que le foot en famille. Quand je repense à notre enfance, avec du recul et en étant devenu papa moi-même, je me rends compte que cela s’est aussi fait au détriment de ma petite sœur, qui voulait faire d’autres choses.
À 15 ans, vous êtes parti au centre de formation à Cannes. Vous avez toujours su que vous seriez footballeur professionnel?
Oui, je ne vivais que pour ça. Mais pour cela, il faut du travail et pas mal de réussite. J’ai aussi eu la chance aussi que mes parents m’aient permis de poursuivre ce rêve. Ils ne m'ont jamais mis de bâton dans les roues ou demandé de faire des choix de vie plus prudents. Même si je n’avais fini par jouer qu’en National (ndlr: la 3e division française), j’aurais été heureux. C’est la plus belle des choses de pouvoir vivre de sa passion. C’est important de vibrer pour ce qu’on fait. Je n’aurais jamais pu travailler derrière un ordinateur, même en gagnant beaucoup d’argent!