Ce lundi, l'Albanie affrontera l'Espagne et espère arracher une place en huitièmes de finale. Une performance qui serait historique pour ce pays qui participe à son deuxième Euro, après celui de 2016. En Allemagne comme dans les fan-zones de Suisse, la mobilisation du peuple albanais est impressionnante. Et bien souvent, deux drapeaux se côtoient: le drapeau rouge et noir de l'Albanie et le drapeau bleu du Kosovo.
Blick a discuté de cette question de double (parfois triple) identité avec Migjen Basha, qui a disputé l'Euro 2016 sous les couleurs de l'Albanie. Ancien international albanais, il est aussi originaire du Kosovo et né en Suisse, à Lausanne. Vous suivez?
Le passeport serbe
En Suisse, quand on parle d'Albanais, on parle en fait plutôt d'Albanophones, puisque la plupart de ceux que l'on qualifie comme tels sont originaires du Kosovo. Ce sont des «Albanais du Kosovo». Mais ça veut dire quoi, au juste?
«C'est super simple. Ça veut dire que mes deux parents sont nés et ont grandi dans l'actuel Kosovo», nous renseigne Migjen Basha, qui fait partie de ces «Albanais du Kosovo». Car jusqu'en 1999, et la fin de la guerre du Kosovo, les Kosovars vivaient sous le régime serbe. «Le passeport du Kosovo n'existait pas. On avait le passeport serbe», raconte celui qui est retourné vivre au pays pendant son enfance, avant de devoir le fuir au début de la guerre.
À l'époque, malgré le passeport, Migjen Basha et sa famille s'identifiaient à tout sauf à la Serbie. «Notre langue, c'était l'albanais. On a toujours été derrière le drapeau rouge et noir. Même si on n'avait jamais vécu, concrètement, en Albanie, explique-t-il. Mais on s'identifiait à l'Albanie, pas à la Serbie.»
Une union logique derrière le drapeau à l'aigle bicéphale, puisque jusqu'en 2008, le Kosovo – et son drapeau – n'existait pas. Aujourd'hui encore, de nombreux pays ne reconnaissent pas l'indépendance du Kosovo. L'Albanie n'en fait, évidemment, pas partie.
La recherche des origines
Aussi, pendant longtemps, la sélection nationale du Kosovo n'a pas été reconnue par les différentes instances du football mondial. Ce n'est qu'en mai 2016 que l'UEFA et la FIFA ont ouvert leurs portes au pays d'origine de Migjen Basha.
Pourtant, juste après l'indépendance de 2008, le Kosovo avait déjà essayé d'attirer le Lausannois dans ses rangs. «La soi-disant fédération de foot du Kosovo avait organisé un camp de détection en Suisse, pour trouver des joueurs kosovars», détaille-t-il. Migjen Basha y était, avec un certain Xherdan Shaqiri, alors âgé de 16 ans.
Une détection qui ne débouche finalement sur rien. Après avoir connu les sélections juniors de la Suisse, Migjen Basha veut représenter l'Albanie, son pays de cœur. Pas chose aisée dans ce contexte historico-politique. «On est Albanais, on parle la langue, mais on n'avait pas les papiers. J'avais le passeport serbe, ça m'a un peu bloqué», raconte-t-il. Après «des années de recherche», il trouve finalement des origines albanaises à sa famille et se naturalise.
Le même amour
Avec l'équipe nationale albanaise, il se qualifie pour le premier Euro de l'histoire de sa sélection, en 2016 en France. À l'époque, une majorité de l'effectif albanais est composée «d'Albanais du Kosovo», à l'instar de Migjen Basha. «La majorité de mes coéquipiers avaient des parents qui avaient immigré pendant la guerre, vers la Suisse, l'Allemagne, la France, l'Angleterre», détaille le désormais Talent Manager au Lausanne-Sport.
Une équipe cosmopolite, mais très attachée à l'Albanie et sa sélection. «Ça a toujours été un rêve de jouer pour l'Albanie. Moi qui ai vécu le premier Euro avec la sélection, le lien avec l'Albanie est très fort», tonne Migjen Basha.
Maintenant que la sélection kosovare existe aussi, cela change-t-il quelque chose? «L'amour est le même. Je ne fais pas de différence entre le Kosovo et l'Albanie, déclare-t-il. Je regarde les deux, je les suis de la même manière.»
Tous en Allemagne
La mobilisation albanaise (et donc kosovare) autour de cet Euro 2024 impressionne de la Suisse à l'Allemagne. Migjen Basha, comme bon nombre d'Albanophones, est allé encourager les siens à Dortmund, lors du premier match de l'Albanie à l'Euro, contre l'Italie. Il n'a pu que constater la forte présence des siens, dès le matin dans la ville. «L'Albanie n'est pas qualifiée tous les quatre ans. Dès qu'il y a un événement comme ça, c'est quelque chose que tout le monde attend», expose celui qui a passé une grande partie de sa carrière en Italie.
«Ça m'a rappelé des souvenirs de 2016, sauf que cette fois, c'était depuis les tribunes», rigole Migjen Basha. Les Albanophones de toute l'Europe sont allés soutenir leur sélection en Allemagne, parfois sans billet, «juste pour l'ambiance, être fier de son pays». Nul doute qu'il en sera de même lundi à Düsseldorf, pour le match face à l'Espagne.
Et qui sait? Peut-être qu'un jour, les «Albanais du Kosovo» pourront même être fiers de leurs deux pays, dans une même compétition.