La grande interview du 8 mars
Pia Sundhage: «Les joueuses m'ont regardée comme si je venais de la lune»

L'Euro approche et une femme en particulier va jouer un rôle fondamental dans la succès de la Suisse: la sélectionneure Pia Sundhage, une pionnière du football féminin. La Suédoise accorde une grande interview à Blick dans le cadre du 8 mars.
Publié: 08.03.2025 à 14:23 heures
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Pia Sundhage est l'entraîneure de l'équipe nationale suisse depuis janvier 2024.
Photo: BENJAMIN SOLAND
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Emanuel Gisi, Lucas Werder et Benjamin Soland

Pia Sundhage (65 ans) n'a pluss beaucoup de temps: dans quatre mois à peine débutera le championnat d'Europe de football féminin! Cette grande voyageuse, qui a entraîné et mené au titre des équipes de premier plan comme les Etats-Unis, le Brésil, la Suède et la Chine, n'a pas le choix: l'Euro doit être un succès pour la Suisse. Malgré son emploi du temps serré, la Suédoise a pris le temps, pour Blick, de parler du football féminin et de son évolution. Il s'est passé beaucoup de choses depuis qu'elle a dû se faire appeler «Pelle» dans les années 1960 en Suède et se faire passer pour un garçon afin de pouvoir jouer au football.

Pia Sundhage, n'en avez-vous pas marre de raconter l'histoire de Pelle?
Pia Sundhage: Je ne me lasse jamais de raconter des histoires. Je profite de chaque occasion. Voulez-vous l'entendre à nouveau?

Ce qui nous intéresse surtout, c'est de savoir si vous la trouvez toujours importante.
Elle me rappelle d'où je viens et d'être reconnaissante envers le monde du football. Quand je rêvais de devenir professionnelle, il n'y avait pas de football féminin. Les filles ne jouaient pas au foot. Mais les enfants ne se soucient pas de ces questions, ils veulent jouer et c'est tout. J'avais un rêve, je voulais jouer au foot. Et vous savez, ce qui était fou, c'est que ce n'était pas ma maman ou mon papa qui avaient eu l'idée de m'appeler «Pelle» pour que je puisse jouer avec les garçons.

Qui, alors?
L'entraîneur de l'équipe des garçons! Cela montre l'importance de l'environnement social. Tu as besoin de gens autour de toi pour t'aider.

Les joueuses de la Nati connaissent-elles cette histoire?
Je ne sais pas. Nous parlons de football, pas du passé. Elles ne m'en ont pas parlé en tout cqs.

Parlons de football, alors! La Suisse est-elle prête pour vivre un bel Euro cet été?
Je pense que oui.

Et la Nati? Est-elle prête?
Nous faisons tout pour! Je suis extrêmement fière de mes joueuses. Lorsque je suis arrivée il y a un an, elles m'ont très bien accueilli et ont accepté le fait que nous devions essayer beaucoup de choses. Maintenant, il faut obtenir des résultats, le temps des essais est terminé. Peu importe si une fille est titulaire, sort du banc ou ne joue pas pendant le tournoi. Tout le monde doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour que nous ayons du succès. Ce que j'ai vu jusqu'à présent me rend extrêmement positive.

Vous êtes en Suisse depuis un an. Qu'avez-vous déjà appris sur notre pays?
C'est un petit pays et c'est un énorme avantage quand il s'agit des transports publics (Elle rit fort.) Chez nous, en Suède, les trains sont un désastre. Ici, tu achètes un billet, tu montes à bord et si le train a deux minutes de retard, tu sens que les gens sont impatients (rires). C'est remarquable. Quand je me promène dans Berne, je m'étonne de la beauté époustouflante de la ville. On peut nager dans la rivière au milieu de la ville, vous imaginez? Je ne l'ai encore pas fait, je précise (rires)! C'est plutôt cool.

Photo: BENJAMIN SOLAND

Et le football féminin?
La ligue suisse n'est pas aussi bonne que la ligue suédoise ou que certaines autres en Europe. L'écart entre les dix équipes est assez important. Il serait bon d'avoir de la concurrence. Ce n'est pas le cas de tous les matches de la Women's Super League en ce moment. Mais il y a de très bons matches. Bien sûr, on peut encore faire mieux, mais des améliorations sont aussi possibles ailleurs.

Où par exemple?
Au niveau des entraîneurs. Combien de professionnels y a-t-il dans le football féminin suisse? En Suède, nous avons déjà abordé ce sujet. Cela a commencé avec des postes à 50%, puis un entraîneur a eu un mandat à 100% puis de plus en plus. C'est comme ça que ça doit se passer. 2025 est l'année où le football féminin reçoit de l'attention en Suisse. Il doit en profiter!

Comment voyez-vous les footballeuses suisses?
J'ai déjà entraîné à de nombreux endroits. Au Brésil, on voit bien quel est l'ADN du footbal : le plaisir de jouer, la créativité, l'offensive, la passion. Aux États-Unis, on est courageux, combatif. Et en Suisse? On est un peu au milieu... Les joueuses ne veulent pas faire d'erreurs, être disciplinées, s'en tenir aux consignes de l'entraîneur.

C'est peut-être logique dans un pays où les trains sont toujours à l'heure. Cela laisse peu de place à l'improvisation.
Vous avez raison, je trouve votre remarque pertinente. Mais les filles montrent dans leurs clubs, que ce soit à Arsenal, Tottenham, à Francfort, Dijon, Barcelone ou aux États-Unis, où qu'elles jouent, qu'elles sont capables de jouer à un excellent niveau. Lorsque nous nous retrouvons, les joueuses s'intègrent trop souvent dans cette culture suisse. C'est mon travail de les en sortir: être courageuses, oser faire quelque chose et aussi pardonner à une collègue si elle fait une erreur.

Comment faites-vous?
Je leur demande constamment: qu'est-ce que tu sais faire de mieux? Comment tes qualités sont-elles le mieux mises en valeur? Quels risques peuvent en valoir la peine? Si tu vas dans un duel 1 contre 1, il y a un risque de perdre le ballon, mais nous pouvons aussi désorganiser les adversaires parce que nous faisons quelque chose d'inattendu. Il faut parfois tenter quelque chose, dans la vie comme sur le terrain de football. C'est ce que j'essaie de faire comprendre à mes joueuses.

Quelle est l'influence de la richesse suisse sur cette retenue que vous décrivez?
J'ai beaucoup entendu parler d'examens l'année dernière. Une joueuse n'a pas pu venir à un stage de la Nati parce qu'elle avait un examen final. Cela ne serait jamais arrivé au Brésil (rires)!

Vous êtes connue pour chanter pour vos joueuses lorsque vous arrivez à la tête d'une nouvelle équipe. Pourquoi?
J'aime chanter. Et en même temps, j'aime bien secouer un peu mon équipe. Sortir de la zone de confort!

Que chantez-vous?
Lors d'un rassemblement de la Nati, j'ai chanté en allemand. Je ne me souviens pas du nom de la chanson, mais j'ai lu les paroles, ça devait être affreux à entendre (rires). Les joueuses m'ont regardée comme si je venais de la lune!

Pourquoi avez-vous fait ça?
Mon message est le suivant: Je montre l'exemple. Je ne suis pas une chanteuse, mais je peux montrer par ces actions qu'il est acceptable d'être un peu différente. Même si certaines choses ne sont pas parfaites.

Quelle est la chose la plus importante que vous voulez transmettre à vos joueuses?
La passion les emmène partout. Et sans passion, elles n'iront nulle part. Mais le plus important, c'est la voix. Dans le football comme dans la vie, il faut communiquer, il faut se faire entendre. On le fait par la voix, par le langage corporel. Et cela implique d'être bruyantes à l'entraînement. Je dois le rappeler à nos joueuses encore et encore.

Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Un exemple: Si tu es Géraldine Reuteler et que tu joues à Francfort, je sais que tu y es bruyante et audible. Mais quand Géri arrive en équipe nationale, elle est moins bruyante. Il s'agit donc d'utiliser sa voix en termes de combativité, d'organisation, de passion.

A Francfort, Géraldine Reuteler est l'une des nombreuses joueuses de haut niveau. En équipe nationale, elle a encore plus d'importance. Ne devrait-elle pas être encore plus forte ici?
J'en ai parlé avec elle. A Francfort, elle est devenue l'une des meilleures joueuses. Quand elle arrive en équipe nationale, elle est ici aussi l'une des meilleures, mais elle est quand même différente. Cette présence sur le terrain est quelque chose que nous allons travailler avec tout le monde jusqu'à l'Euro. Je dis toujours: «Essayez de vous sentir bien même quand c'est moins bien organisé».

Comment pouvez-vous ancrer cela chez vos joueuses? En tant qu'entraîneure de l'équipe nationale, vous ne voyez votre équipe que quelques jours.
En fait, ce serait mieux si l'Euro n'avait lieu que l'année prochaine (rires). Cela laisse peu de temps pour changer ce genre de choses. C'est pourquoi j'essaie de profiter de moments isolés. Cela peut être un tacle ou une perte de balle stupide à l'entraînement.

A propos de communication: Il y a quelques mois, les conseillères nationales PS Tamara Funiciello et Anna Rosenwasser ont provoqué un tollé en réduisant les footballeuses à leur sexualité. Qu'en avez-vous pensé?
J'ai entendu cela et je me suis demandé: qu'est-ce que cela dit d'une société si nous continuons à parler de ces vieux clichés en ce qui concerne le football féminin? Ce n'est pas possible. Je n'ai pas pu m'empêcher de rire, car je me suis moi-même retrouvée dans cette situation en Suède. Mais c'était en 1980!

Votre joueuse Meriame Terchoun s'est ensuite exprimée de manière très critique sur ces déclarations dans le «Tages-Anzeiger».
Je trouve que Meriame a très bien fait. J'étais vraiment fière d'elle, qu'elle ait élevé la voix à ce moment-là. Cela m'énerve aussi que dans le football féminin, nous devions toujours discuter de thèmes comme l'homosexualité. Dans le football masculin, on n'en parle jamais, alors qu'à 100%, il y a aussi des relations entre les joueurs.

Vous dites que la dernière fois que vous avez dû discuter de ce sujet, c'était en Suède, en 1980. Comment pouvons-nous accélérer les choses en Suisse?
En Suède ou en Angleterre aussi, il y a de belles histoires, des relations entres des joueuses au sein d'une équipe. Mais ce ne sont pas les histoires qui sont les plus mises en avant. Ce qui compte, c'est toujours la performance sur le terrain. Et je pense que nous le méritons. Cela a longtemps été un débat en Suède, peut-être en faut-il un en Suisse aussi. Cela pourrait être une manière de rattraper le retard.

Photo : Benjamin Soland, 11.02.2025, Muri près de Berne : football. Portrait de la sélectionneuse suisse Pia Sundhage.
Photo: BENJAMIN SOLAND

En Suisse, nous avons également eu la discussion sur le financement de l'Euro.
J'ai essayé de rester en dehors de cela. Mais en fait, c'est clair: l'Euro est une grande chance pour un petit pays prospère comme la Suisse de faire un pas en avant en matière d'égalité des droits et de soutien au sport féminin. Cela portera ses fruits, l'Euro 2022 en Angleterre l'a montré, avec un effet durable.

Comment essayez-vous de vous impliquer dans ce processus?
Depuis que j'ai commencé à travailler ici, j'ai essayé d'apporter mon expérience d'autres pays. Au début, on m'a dit que j'allais avoir droit à un adjoint J'ai ensuite dit que d'autres pays avaient deux ou trois entraîneurs assistants. Aujourd'hui, j'ai deux entraîneurs assistants qui travaillent à temps partiel. C'est un début.

En tant qu'entraîneure, vous dirigez des équipes depuis plus de 30 ans. Quelle a été votre plus grande erreur?
J'ai fait une erreur en 2004, dont j'ai beaucoup appris. Après avoir travaillé à Boston avec les meilleures joueuses de la ligue américaine, j'ai reçu une offre d'un club norvégien. J'ai accepté sans me préoccuper de savoir avec qui j'allais travailler là-bas. Ainsi, l'ensemble du staff n'était composé que d'un entraîneur adjoint et d'un entraîneur des gardiens à temps partiel. J'aurais eu besoin de beaucoup plus d'aide et je n'ai donc pas fait du bon travail.

Votre engagement a pris fin après six mois seulement.
Mon départ a été terrible. Bien que le football féminin ne soit pas encore très populaire à l'époque, deux caméras étaient braquées sur moi lorsque j'ai quitté mon appartement après mon licenciement. J'ai ensuite conduit neuf heures en voiture pour rentrer en Suède et je me suis dit: «Plus jamais ça!»

Dans quelle mesure cet échec vous a-t-il aidé à avancer?
Il est facile de dire qu'il faut apprendre de ses erreurs. Dans mon cas, cela a pris du temps. Mais au final, ce travail en Norvège a été une erreur dont je suis reconnaissante. J'ai réalisé que toute seuel, j'étais inutile. Mais avec des gens autour de moi, c'est différent. J'ai de bonnes idées pour tirer le meilleur d'eux. En même temps, ils me mettent au défi et je les écoute pour que je puisse moi aussi apporter le meilleur de moi-même. Lorsque j'ai repris une équipe en Suède quelques mois plus tard, j'ai eu beaucoup de monde autour de moi dès le début.

Quelle est la plus grande joueuse que vous ayez entraînée pendant toutes ces années?
Il y en a tellement. Des joueuses suédoises comme Caroline Seger, une joueuse incroyablement intelligente. Les milieux de terrain ont souvent tendance à être des personnes intelligentes. Ou Lotta Schelin, qui est toujours la meilleure buteure de Suède. Aux États-Unis, j'ai travaillé avec des joueuses aussi performantes et intéressantes que Carli Lloyd, Abby Wambach ou Hope Solo. Et bien sûr, avec Marta, j'ai entraîné la meilleure footballeuse du monde.

Vous mentionnez Hope Solo. Une joueuse dont la vie privée a régulièrement fait la une des journaux. A quel point était-elle difficile?
En dehors du terrain, Hope n'a pas toujours été le meilleur modèle. Mais elle était l'une des meilleures gardiennes de but que j'ai jamais vues et elle a fait une carrière fantastique.

Était-elle la joueuse à laquelle vous deviez accorder le plus d'attention en tant qu'entraîneure?
Pas du tout. Sur le terrain, elle a toujours été une joueuse d'équipe parfaite. Cela vaut pour toutes les grandes stars que j'ai entraînées. Elles comprennent que l'équipe est la chose la plus importante. Cela n'a pas été différent pour Hope. J'ai connu la situation la plus difficile avec elle lors de mon entrée en fonction en 2008. En raison de choses qui s'étaient passées auparavant, elle n'était pas sûre de vouloir continuer à jouer pour l'équipe nationale. Et il y avait d'autres joueuses qui s'opposaient à son retour.

Qu'avez-vous fait?
Je n'ai pas vécu moi-même les événements précédents. Si j'ai interrogé cinq personnes différentes à ce sujet, j'ai entendu cinq versions différentes de ces histoires. J'ai donc demandé aux joueuses: «Voulez-vous gagner?» Toutes ont répondu oui. «Alors nous avons besoin de la meilleure gardienne de but», ai-je répondu. Toutes les joueuses en étaient conscientes. C'est ainsi qu'elle est revenue.

Avez-vous également parlé à Hope Solo ?
Je lui ai dit que je n'attendais pas d'elle qu'elle oublie ce qui s'était passé. Mais que j'espérais qu'elle pourraut pardonner. C'était une conversation merveilleuse. Après cela, elle a joué sous mes ordres pendant cinq ans. Avec des hauts et des bas dans sa vie privée, mais des performances constantes et fortes sur le terrain.

Vous avez eu 65 ans cette année. Combien de temps aimeriez-vous continuer à travailler?
Certainement jusqu'à l'Euro (rires). Je n'ai aucune idée de ce qui se passera ensuite. Je profite de mon parcours, du voyage, de l'expérience globale. Je suis une experte en la matière!

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