Le Genevois raconte la finale 1971 face à Lugano
Michel Desbiolles: «Je savais que j’allais marquer»

Michel Desbiolles, 82 ans, est l'une des légendes vivantes du Servette FC avec deux titres de champion et une Coupe au palmarès. Le Genevois a d’ailleurs marqué face à Lugano en finale en 1971, l’adversaire que les Grenat vont affronter ce dimanche au Wankdorf.
Publié: 31.05.2024 à 15:12 heures
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Michel Desbiolles (gauche) a inscrit le 1-0 lors de la finale de Coupe 1971 entre Servette et Lugano.
Photo: Keystone
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Bastien FellerJournaliste Blick

Michel Desbiolles a la rage au ventre, ce lundi 12 avril 1971. Lui, l’ancien junior de l’Union sportive des Campagnes, à Meinier, dispute ce jour-là sa toute première finale de Coupe de Suisse, lui qui n’avait pas été invité à participer à celles de 1965 et 1966, toutes deux perdues par son club de coeur, le Servette FC, face à Sion et Zurich. «La première, c’était pour une brouille avec mon entraîneur. La deuxième pour une histoire présumée de filles invitées à l’hôtel de l’équipe, mais c’était injuste!», s’agace-t-il encore, près de 60 ans après les faits. En cette année 1971, l’ailier va sur ses 30 ans et, face à Lugano, il entend bien briller. Parfois, le destin vous choisit. Et parfois, c’est vous qui le bousculez un peu.

Il était prêt à payer le champagne à tout le monde

«Je savais que j'allais marquer un but. J'en marquais un par match, deux dans les bons jours. J'ai dit aux autres joueurs que je ne jouais pas une finale pour la perdre et que si on la perdait, je leur paierais le champagne après le match», rigole-t-il, 63 ans plus tard, dans son appartement genevois. Michel Desbiolles s’est donc mis la pression tout seul, lui qui a porté dans sa carrière les couleurs de Servette, Sion, Chênois et Carouge. Et le voilà sur la pelouse du Wankdorf, titulaire cette fois, numéro 9 dans le dos.

Entouré de «l'incroyable» Bernd Dörfel, du «formidable» André Bosson et du «très bon» Valér Németh, Michel Desbiolles pouvait cependant jouer l'esprit tranquille. Et à la 55e minute, alors que le score était toujours nul et vierge entre les deux formations, sa prophétie, celle de faire trembler les filets luganais, s'est réalisée. «Dörfel avait une sacrée frappe du droit et sur une action, je l'ai vu tirer d'environ 20 mètres», se remémore-t-il, sourire en coin, en tenant entre ses mains les photos immortalisant la séquence, en noir et blanc. «J'ai tout de suite pensé que ça allait finir au fond. Mais la balle a tapé sur le poteau, puis sur le dos du gardien. Heureusement, j'ai suivi et pris de vitesse Remo qui me suivait partout et qui me tirait le maillot, chose dont j'avais horreur. J'ai ensuite un peu bousculé le gardien Mario Prosperi et j'ai pu la mettre au fond.»

«Nous bouffions le gazon»

Un but de renard des surfaces qui, à lui seul, illustre bien la mentalité de cette équipe genevoise d'un autre temps. «Nous bouffions le gazon», explique Michel Desbiolles, double champion de Suisse avec Servette en 1961 et 1962, pour imager ses propos. «Jean Snella, notre entraîneur de l'époque, nous répétait sans cesse que ce n'était que comme cela que nous pouvions gagner des matches. C'était un Polonais d'origine, un dur.»

Il ne faut cependant pas imaginer les Grenat de l'époque se comportant comme des brutes sur le terrain, taclant et agressant leurs adversaires à tout va. Loin de là. Cette équipe avait en effet à cœur de proposer du spectacle aux plus de 15'000 supporters grenat qui se rendaient régulièrement aux Charmilles. «Nous sentions le football, nous n'étions pas des bagarreurs, affirme l'ancien international avec passion. Ces joueurs-là n'avaient d'ailleurs pas leur place dans notre équipe et nous leur disions qu'ils devaient changer pour jouer à Servette. Personne ne portait le ballon sur 10 mètres, nous le faisions circuler, toujours vers le but adverse.» Mission également accomplie ce jour d'avril 1971 au Wankdorf.

Servette remporte la huitième Coupe de son histoire

Franco Marchi, milieu italien du Servette FC, a pu inscrire le deuxième but grenat peu avant la 80e minute pour sceller la victoire et le sacre genevois. «Nous avons étouffé Lugano, ils étaient inexistants durant cette finale, explique Michel Desbiolles, pas peu fier. Ils avaient pourtant de bons joueurs: Mario Prosperi au but, Otto Luttrop, Vincenzo Brenna et Rolf Blättler devant. C'était une très belle équipe, mais nous, nous allions à 100 à l'heure.»

Ce titre venait ainsi récompenser les efforts de tout un groupe, travailleur et acharné. «C'était très dur, nous nous entraînions deux fois par semaine dans des conditions compliquées, raconte-t-il. Souvent, pour améliorer notre technique, nous n'enfilions une chaussure qu'à notre pied faible et nous passions tout l'entraînement comme ça, sans utiliser notre bon pied, à shooter du gauche, chacun avec son ballon.»

Paris sur les petits ponts réalisés en match

Autre preuve d'un récit d'une autre époque, les Servettiens, fraîchement auréolés du titre de vainqueurs de la Coupe, n'ont pas eu droit à une parade à travers Genève ou à un voyage à Ibiza pour fêter leur victoire. «Il n'y a pas eu de festivité particulière après le match», explique Michel Desbiolles qui, à l'image des footballeurs brésiliens qu'il admire, préférait largement s'éclater sur la pelouse. «Pour moi, la fête, c'était sur le terrain. Si je pouvais faire dix petits ponts, je les faisais et j'étais content. D'ailleurs, nous faisions des paris à hauteur de cinq francs par petit pont réussi durant la rencontre. Mais attention, il fallait récupérer le ballon derrière!»

C'est donc un statut de joueur au fort tempérament et quelque peu chambreur que le Genevois s'est forgé au fil des saisons. «Je demandais en début de match à mes adversaires s'ils avaient pris leur tablier de forgeron avec eux», rigole-t-il tout en expliquant toujours avoir eu envie de faire plaisir aux spectateurs lorsqu'il jouait. «Mais cela énervait les défenseurs qui venaient ensuite nous chatouiller les chevilles quand on leur tournait autour. Chose qui arrivait très souvent», explique celui qui n’a pas pu rejoindre le Servette FC lorsqu’il était gamin. Le club avait repéré son talent, mais sa mère l’a forcé à attendre sa majorité.

L’héritier s’appelle Timothé Cognat

Cette saison, c'est l'équipe de René Weiler qui donne le sourire à Michel Desbiolles. «J'apprécie ce qu'ils proposent, ils sont compacts, bloquent bien l'adversaire et jouent bien les contre-attaques.» Et c'est d'ailleurs le maître de cérémonie du jeu servettien qui plaît particulièrement au Genevois de 82 ans. «J'aime beaucoup Timothé Cognat, c'est un bon joueur. Il sait ce qu'il faut faire avec le ballon, sent bien le goal et a une bonne frappe. Il faut voir tout le travail qu'il effectue pour l'équipe. Pour moi, c'est le meilleur», confie-t-il tout en assurant également être charmé par Miroslav Stevanovic, avec lequel il pense qu’il se serait bien entendu à l’époque sur le terrain.

Comme le football fait bien les choses, Genevois et Luganais se retrouveront ce dimanche 2 juin, encore au Wankdorf, pour se disputer à nouveau la victoire en Coupe de Suisse. Seule différence avec la première confrontation: le gazon sera cette fois-ci synthétique. «Ce n’est pas digne d’une finale, c’est une honte pour le football. Si je faisais 20 kilos de moins, je pourrais encore jouer, tout est uniforme et aseptisé sur ces terrains, il n’y a plus de faux rebond», rigole celui qui s'est tourné vers le golf une fois sa carrière de footballeur terminée au milieu des années 70.

«Servette va gagner 2-1»

Que pense la légende servettiene à propos de la finale à venir? «Cela sera un match serré, estime Michel Desbiolles qui ne sait pas encore s'il sera présent en personne ou non à Berne. Tactiquement, Lugano est très bien organisé, ils ont de très bons joueurs, comme Bottani, Steffen et Sabbatini. Les deux stoppeurs sont très intéressants également.» L'ancien milieu offensif reconnaît toutefois un avantage pour les Grenat. Le genre de détail qui fait gagner des titres à une équipe. «La défense tessinoise est moins bonne que celle de Servette.»

Et forcément, son pronostic va vers une victoire de son ancien club pour un huitième sacre dans la compétition. «Je dirais 2-1, lance-t-il, espérant être entendu par le Dieu du football. Mais il faudra qu'ils aient envie de bouffer le gazon et qu'ils ne laissent pas l'opportunité à l'adversaire de jouer.» Comme son Servette FC de 1971!

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