Yakin fait face aux critiques
«Si c'était à refaire, je changerais deux joueurs contre le Portugal»

Dans une interview fleuve, Murat Yakin revient sur la claque 6-1 à la Coupe du monde. Le sélectionneur de la Nati en est aussi persuadé: Granit Xhaka est le bon capitaine, malgré toutes les critiques.
Publié: 11.02.2023 à 06:08 heures
1/7
Blick a rencontré Murat Yakin dans le cadre d'une réunion d'entraîneurs à Francfort.
Photo: TOTO MARTI
Blick_Portrait_2285.JPG
Blick_Portrait_582.JPG
Michael Wegmann et Toto Marti

Dans le cadre d’un stage pour entraîneurs, Murat Yakin a rencontré ses homologues allemand Hansi Flick et autrichien Ralf Rangnick. C’était ce mardi au centre d’entraînement national à Francfort. Juste avant, Blick a pris un café avec le sélectionneur de la Nati.

L’occasion de parler avec lui, entre autres, des critiques qui ont suivi la claque 6-1 contre le Portugal à la Coupe du monde, des appels à sa démission, du Röstigraben, du débat sur le capitaine, Granit Xhaka, de la qualification pour l’Euro à venir et de l’avenir de Xherdan Shaqiri sous le maillot national.

Murat, est-ce que les gens vous parlent encore de la Coupe du monde dans la rue?
Oui, très souvent.

Qu’est-ce qui ressort le plus, les succès en phase de groupe ou l’élimination 6-1 contre le Portugal?
95% des gens s’expriment de manière positive. Ils sont heureux de ce que nous avons accompli l’année dernière. Mais il y a aussi des réactions critiques ou des remarques stupides. Récemment, chez le coiffeur, un homme a voulu m’expliquer le football. Il ne voulait plus s’arrêter de critiquer.

Comment réagissez-vous à ce genre de choses?
J’ai dit à mon coiffeur que je paierais volontiers à ce monsieur sa prochaine coupe de cheveux. Il n’a qu’à lui raser la tête (rires). Je prends tout cela sportivement.

Après la défaite en huitièmes de finale, de nombreux experts et journalistes ont émis des critiques. En Suisse romande, certains ont même exigé votre éviction. Comment est-ce que vous gérez cela?
Qu’est-ce que je peux dire? La critique fait partie de notre métier et je n’y peux rien.

On vous a reproché d’avoir préféré partir au Qatar sans deuxième arrière droit plutôt que d’emmener le Vaudois Jordan Lotomba ou le Genevois Kevin Mbabu.
Premièrement, Jordan et Kevin n’ont pas joué avant la Coupe du monde ou, de mon point de vue, pas assez bien. Deuxièmement, il n’est pas non plus vrai que nous n’avions pas de remplaçant pour Silvan Widmer. Edimilson Fernandes a joué plusieurs fois à ce poste à Mayence – et de manière convaincante. Eray Cömert peut lui aussi jouer à droite.

Il y a aussi le fait que lors du premier match contre le Cameroun, vous ayez fait entrer le Bâlois Fabian Frei au lieu du Genevois Denis Zakaria, qui évolue à Chelsea.
Je peux comprendre cette critique dans une certaine mesure. Mais on oublie que «Zak» n’avait pas joué pendant des semaines, jusqu’à la veille de la Coupe du monde. Il était loin d’être dans la forme de sa vie.

Est-ce que pour vous, un Röstigraben est en train de se consturire autour de la Nati?
Je n’ai pas l’impression de fournir des arguments en ce sens, à part le fait que je ne parle pas très bien le français. Je fais appel aux meilleurs, quels que soient leur nom ou leur origine. Ce qui compte pour moi, c’est la forme du moment, le temps de jeu et l’esprit d’équipe. J’ai toujours été comme ça.

Après le 6-1, certains joueurs ont même critiqué votre changement tactique à trois défenseurs. Haris Seferovic par exemple.
Trois ou quatre jours après l’élimination, Haris Seferovic m’a envoyé un message. Il a écrit qu’il ne comprenait pas la polémique qu’il avait déclenchée et que ce n’est pas ce qu’il voulait. Il s’est probablement mal exprimé.

Xherdan Shaqiri a aussi dit qu’il n’était pas au courant du changement de système en amont, bien qu’il fasse partie du conseil des joueurs. Est-ce qu’il faisait la sieste pendant la réunion?
J’ai d’abord discuté avec Manuel Akanji et les joueurs défensifs, puis avec Remo Freuler et Djibril Sow. Ce n’est qu’ensuite que j’ai impliqué le reste de l’équipe. Les joueurs offensifs, comme «Shaq», n’ont pas été impliqués dans la première interaction. Dans l’avion du retour, j’ai longuement discuté avec lui.

Est-ce que vous en voulez aux joueurs d’avoir été critiques?
Non, pas du tout. J’aurais pu rassembler tous les joueurs sur le terrain après la défaite et leur demander de rester positifs vis-à-vis de l’extérieur. Mais est-ce que j’aurais vraiment dû le faire? Juste après une défaite 6-1, les sportifs sont bouleversés, en colère, dans l’émotion. On leur pose des questions critiques et ils cherchent des explications. C’est normal. Pour moi, c’est ok. Je préfère être éliminé sur une gifle que lors d’une séance de tirs au but. Certes, les critiques sont plus nombreuses, mais il y a aussi plus de choses à analyser de près.

Quelle a été la conclusion pour vous?
Qu’avec ces joueurs, nous ne pouvions pas gagner ce jour-là contre un Portugal très fort. Quel que soit le système utilisé. Nous n’avons pas été en mesure de fournir l’intensité et les performances nécessaires. Cela se voit aussi dans les statistiques de course du match. Nous avons couru dix kilomètres de moins que les Portugais. C’est une différence énorme. C’est comme si le Portugal avait joué avec un homme de plus. Nous ne sommes pas entrés dans les duels.

Les joueurs ont-ils manqué d’énergie pour les huitièmes de finale, comme c’était déjà le cas il y a quatre ans après le match houleux contre la Serbie?
Non, je ne peux rien reprocher aux joueurs. Bien sûr, les matches contre le Cameroun et le Brésil ont coûté beaucoup d’énergie, et contre la Serbie, il y a eu tout ce qui s’est passé autour. Cela a de nouveau coûté beaucoup. Jusqu’à ce match, tout s’est déroulé comme prévu et à la perfection. Les jours suivants, ce n’était plus pareil. Après, il y a eu un petit essoufflement. Mais les raisons sont ailleurs.

Où?
Nous avions une dizaine de joueurs qui ont souffert de la grippe au Qatar. Yann Sommer, Fabian Schär, Nico Elvedi et Silvan Widmer ont eu des symptômes très forts par moments. Je me reproche de ne pas avoir été assez conséquent. J’aurais dû les protéger tous.

Si vous pouviez revenir en arrière, Sommer et Schär n’auraient pas joué contre le Portugal?
Oui. Schär était à plat après 20 minutes. Sommer avait souffert de la grippe pendant quatre jours. C’est normal qu’ils aient voulu jouer et qu’ils aient donc donné leur feu vert. Quel footballeur ne veut pas être sur le terrain lors d’un huitième de finale de Coupe du monde? Je n’en veux pas aux joueurs.

Alors à qui?
Au bout du compte, à moi-même. C’est moi qui ai fait la composition. Mais dans ce cas, la communication entre nous n’a pas été optimale non plus. Je n’avais pas assez de données, d’informations détaillées et de temps. Tout était très agité ce jour-là. Silvan Widmer a dû déclarer forfait le matin et trop de choses se sont concentrées autour de lui.

Nico Elvedi, qui n’a pas joué, a déclaré à la fin du match qu’il était en forme.
Je ne lui en veux pas. C’était sa perception des choses, mais il n’était pas en forme. La veille, il était encore fatigué. Lui et Schär n’ont participé qu’à un quart du dernier entraînement. J’ai alors opté pour Fabian parce qu’il avait été absent moins longtemps. Schär s’est quasiment effondré sur la table de massage pendant la pause, il avait du mal à respirer. Il était donc évident que nous ne pouvions pas faire appel à Nico non plus.

Après la Coupe du monde, des discussions ont également éclaté sur le brassard. Granit Xhaka va-t-il rester le capitaine de l’équipe nationale après sa provocation contre la Serbie?
Je tiens à préciser ici que Granit est, et sera, notre capitaine. Il n’y en a pas d’autre. C’est le leader de cette équipe. Ses coéquipiers lui font confiance et le protègent. C’est tout à fait justifié. Il n’y a pas de discussion à avoir.

Il y en a pourtant eu une. Nombreux sont ceux qui estiment que le rôle de Granit Xhaka en tant que capitaine de la Nati est devenu discutable. Le commentateur de la SRF, Sascha Ruefer, en particulier, s’est exprimé à plusieurs reprises de manière acerbe à ce sujet.
La critique de Sascha Ruefer va trop loin pour moi. Je la considère aussi comme une attaque contre moi, car c’est moi qui décide qui est notre capitaine. C’est bien que ce ne soit pas lui, en tant que commentateur, qui puisse décider qui est le capitaine de la Nati. Et c’est aussi une bonne chose que ce ne soit pas moi, en tant qu’entraîneur de la Nati, qui puisse décider qui doit commenter nos matches à la télévision suisse.

Revenons sur Granit Xhaka. Pendant six mois, tout le monde a été sensibilisé à ce match contre la Serbie. Il ne fallait pas perdre le contrôle. Et pourtant, il n’a pas pu s’en empêcher.
L’attention du public est focalisée sur ces actions. Nous avons vécu avec Granit tous les jours pendant quatre semaines et nous avons vu comment il dirige l’équipe, comment il montre le chemin en tant que leader. C’est un fort caractère. J’accorde plus d’importance à cela qu’au fait qu’il agisse de manière émotionnelle dans certaines situations. C’est pour des joueurs comme Xhaka que l’on va au stade. C’est à cause de tels joueurs que vous, les journalistes, avez tant de choses à écrire et raconter. C’est aussi pour ce genre de joueurs que j’aime être entraîneur. Même s’ils me mettent constamment au défi, de tels joueurs m’attirent. Je sais de quoi je parle. Ça fait 44 ans qu’Hakan Yakin est mon frère.

Les qualifications pour l’Euro 2024 commencent en mars déjà. Est-ce que Xherdan Shaqiri sera présent contre la Biélorussie et Israël?
«Shaq» a été impliqué sur tous nos buts de la Coupe du monde. Quand je l’ai remplacé contre la Serbie, il était vraiment en colère. C’est exactement comme ça que ça doit se passer. Il a montré qu’il n’avait pas besoin de jouer en club pour être performant. Il est prêt pour les grands matches. Nous n’avons pas à discuter de lui. S’il est en bonne santé, il est très précieux pour nous.

Qu’en est-il de Fabian Frei?
Fabian a apporté de la fraîcheur dans le groupe, avec son attitude positive, son entrain. Il était très important pour nous. Maintenant, son rôle au FC Bâle a de nouveau changé. Il est en meilleure forme, il joue de nouveau régulièrement. D’une manière générale, ce sera une nouvelle campagne, il peut se passer beaucoup de choses d’ici mars. La porte de l’équipe nationale est ouverte. Les joueurs doivent s’imposer. C’est un peu à eux de décider s’ils en feront partie. Comme je l’ai déjà dit: chez moi, la forme et le temps du jeu comptent.

Dans ces qualifications, la Suisse est la grande favorite de son groupe.
C’est vrai. Dans ce groupe, nous serons l’équipe à battre. Jusqu’à présent, nous avions toujours un adversaire plus coté pour une seule place qualificative. Dans ces qualifications, les deux premiers rangs permettent d’aller directement à l’Euro. Nous avons certainement la qualité nécessaire pour en être.

Une qualification pour l’Euro est même obligatoire. En fait, vous avez beaucoup à perdre et rien à gagner lors de la prochaine année et demie.
C’est pour cela que nous devons aussi renforcer la concurrence. Avoir 50 ou 100 matches internationaux au compteur ne doit pas garantir qu’on va être sélectionnés. Les jeunes doivent mettre la pression. C’est aussi pour cela que nous avons déjà emmené des joueurs comme Fabian Rieder ou Ardon Jashari à la Coupe du monde. Moi aussi, je dois continuer à me développer. Je peux travailler de manière encore plus détaillée avec les joueurs dans le domaine tactique. Le temps du tâtonnement et de la découverte est maintenant terminé.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la