C'est dans le restaurant «Storia», dans la banlieue londonienne de Radlett, à seulement quinze minutes du centre d’entraînement d’Arsenal, que Granit Xhaka a accepté de rencontrer Blick. Le capitaine de la Nati y a ses habitudes. Le Suisse y débarque en trombe dans le survêtement noir du club, juste après le derby remporté contre Chelsea le week-end dernier.
Son apparition ne passe pas inaperçue dans l’établissement. Plusieurs clients lui lancent: «Good job, Gunners!» Granit Xhaka, la nouvelle coqueluche du public, rayonne.
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Granit, votre histoire commune avec Arsenal est incroyable. Vous avez failli faire vos valises, mais aujourd’hui les supporters vous aiment plus que jamais.
Oui, cette histoire est vraiment folle. C’était il y a trois ans, quand les fans m’ont sifflé. J’étais profondément touché et je me suis dit: si on ne veut plus de moi, alors mon avenir n’est pas ici.
Vous étiez en froid avec le public.
Je ne jouais pas si mal que ça. Mais ce n’était jamais assez bien. Cela me démoralisait. Imagine que tu fasses un bon match, que tu marques un but. Tu espères que tout va bien se passer, que les fans dehors sont contents. Et puis tu te fais à nouveau insulter. Ils te disent simplement de dégager, qu’ils ne veulent plus de toi. Ça fait mal.
Ils vous l’ont dit en face?
Sur les réseaux sociaux.
Vous lisez ce qu’on vous envoie?
Oui, plus ou moins. C’est difficile de faire autrement. Je suis toujours au courant.
Le célèbre présentateur britannique Piers Morgan vous a, lui aussi, vivement critiqué à l’époque. Il s’est moqué de vous.
Je dois respecter les critiques, c’est tout. J’essaie de prouver le contraire aux gens qui m’insultent sans me connaître. C’est la réaction la plus forte que je puisse avoir. Mais est-ce que je vais aller boire un café avec Piers Morgan? Non!
Votre départ d’Arsenal semblait proche… et puis l’entraîneur Mikel Arteta est arrivé.
Il venait d’arriver à Arsenal. Lors de notre première conversation, je lui ai annoncé que je partais. Il m’a simplement dit: «Reste, je vais faire en sorte que tu sois au top. S’il te plaît, donne-moi six mois.» Il m’a ensuite fait part de ses idées de jeu et de sa philosophie.
Comment vous a-t-il convaincu exactement?
Je savais tout simplement qu’avec lui, ça allait marcher. Pour la première fois de ma vie, j’ai pris une décision tout seule. Sans consulter ma famille ou mon agent. J’ai appelé José (Noguera, le conseiller de Xhaka, ndlr) et je lui ai dit: «Je viens de parler à Arteta et je lui ai annoncé que je restais.» Point final.
Expliquez-nous comment Mikel Arteta travaille. Qu’est-ce qui vous impressionne?
Vous savez quoi? J’ai dû attendre d’avoir 27 ans pour bien comprendre le football. C’est grâce à lui. Mikel m’a fait redécouvrir le football. Il t’explique le jeu, la tactique, l’adversaire, de telle manière que tu ne peux que sortir sur le terrain pour gagner. C’est un type incroyable.
C’est une impressionnante prise de conscience. On sait que le monde du football évolue très vite. Ne craignez-vous pas qu’un jour Mikel Arteta ne soit plus l’entraîneur d’Arsenal?
Oui, le football est un domaine qui évolue très vite, mais à mes yeux, il n’y a actuellement aucun risque que Mikel quitte le club.
Le chef du Ristorante Storia s’approche de la table avec les entrées. Des calamars pour Granit. Il lui adresse quelques phrases en albanais. Il nous salue d’un «Grüeziwohl!» chaleureux. Le patron a vécu et travaillé à Frauenfeld dans les années 1990. «Une période formidable. La Suisse est un endroit merveilleux.» Dans quelques jours, Granit Xhaka conduira le pays à la Coupe du monde en tant que capitaine.
Vous avez vraiment dit à Murat Yakin que cette équipe était prête pour devenir championne du monde?
(Rires) C’était lors de notre première conversation après sa nomination en tant que sélectionneur de la Nati, lorsqu’il m’a demandé si l’équipe était rassasiée après son parcours à l’Euro et comment je voyais son potentiel. Mais, c’est ce que je pense: nous avons énormément progressé depuis que j’ai joué pour la première fois avec l’équipe nationale A il y a onze ans.
Déjà en 2009, vous aviez déclaré que vous visiez le titre de champion du monde des moins de 17 ans avant le début de la compétition.
J’emporte toujours assez d’habits pour tenir jusqu’à la finale. Nous devons avoir une vision et voir grand.
Vous emporterez suffisamment de vêtements jusqu’à la finale. Qu’est-ce que vous n’oubliez jamais dans votre valise?
Mes affaires pour la récupération. Je n’ai plus 20 ans. Je dois prendre soin de mon corps.
Quoi comme affaires?
Un pyjama qui favorise la régénération musculaire. Des lunettes que l’on peut mettre pour se calmer. Des choses du genre que j’utilise depuis que je suis à Arsenal.
Revenons au tournoi du Qatar: verrons-nous la meilleure équipe de Suisse de tous les temps?
Je l’espère, même si les comparaisons entre générations sont très difficiles. Nous avons des joueurs qui jouent un rôle important dans des équipes importantes des meilleures ligues.
Parlez-nous de votre relation avec Murat Yakin. Elle a d’abord semblé explosive.
Vous trouvez?
Oui. Vous aviez fait une remarque sur le rôle dans lequel Yakin vous a fait jouer. Et vous n’aviez pas non plus apprécié votre remplacement lors du match au Kosovo.
C’est vrai. J’aurais aimé jouer mon 100e match en entier. Mis à part ça, j’ai beaucoup de respect pour le travail de Murat. J’étais ramasseur de balles quand il jouait encore. Il me fascinait déjà à l’époque. Par sa présence, par son charisme. Nous sommes tous les deux des personnes très directes et nous avons des opinions bien tranchées. Mais nous n’avons aucun problème.
En fait, vous avez fait la une des journaux à chaque tournoi majeur. En 2014, vous aviez joué à la mauvaise position lors de la Coupe du monde au Brésil. En 2016, à l’Euro en France, vous avez manqué la tentative décisive lors de la séance de tirs au but contre la Pologne. En 2018, il y a eu le match contre la Serbie, puis l’élimination contre la Suède en huitièmes de finale en Russie…
Oui, je vous ai toujours fourni de bonnes histoires à écrire (rires). Lors du match contre la Serbie, tout s’est en réalité bien passé… sauf l’aigle bicéphale. Je n’aurais pas dû faire ce geste.
Avez-vous été envahi par l’ambiance électrique?
Vous savez, j’ai eu deux passages à vide dans ma carrière. L’un lors du match avec Arsenal à Crystal Palace, justement lorsque j’ai été sifflé, et puis ce match contre la Serbie, lorsque j’ai mimé l’aigle.
Votre émotion était pourtant justifiable. Votre père a été fait prisonnier par la Serbie pendant trois ans.
Ce que mon père a vécu, on ne le souhaite à personne. Aujourd’hui encore, je ne connais que la moitié de cette terrible histoire. Quand j’avais 20 ans, je voulais connaître tous les détails. J’ai demandé et demandé encore, jusqu’à ce que mon père parte parce qu’il n’en pouvait plus de mes questions. Aujourd’hui, je sais que je dois y aller doucement. C’était une période difficile pour lui.
Vous allez à nouveau jouer contre la Serbie lors de la Coupe du monde. Votre père Ragip sera-t-il présent au stade?
Non, il restera à la maison. Toute ma famille ne sera pas là.
Comment avez-vous réagi lors du tirage au sort?
En toute honnêteté, c’était l’adversaire que je souhaitais le moins affronter. Mais, j’espère qu’au moment du match contre les Serbes, nous aurons déjà obtenu deux victoires contre le Cameroun et le Brésil. Nous pourrions donc aborder le match sans pression.
Ce groupe G s’annonce compliqué. On ne sait pas grand-chose du Cameroun et le Brésil est extrêmement fort sur le plan individuel.
Oh oui! Gabriel Jesus, qui joue avec moi à Arsenal, est un mec super. Je me réjouis d’évoluer avec lui en club. Il joue incroyablement bien ces temps, je le vois tous les jours à l’entraînement. Le Brésil a suffisamment de grands joueurs pour aligner trois équipes différentes de haut niveau.
Lors du dernier tournoi de la Suisse, à l’Euro 2021, vous aviez fait parler en allant chez le tatoueur sans masque juste avant le rassemblement, puis en vous teignant les cheveux entre deux matches…
Nous étions sous le feu des critiques. Tous les médias ont dit du mal de nous, alors Manuel Akanji et moi, nous avons voulu faire un peu diversion… (rires). Blague à part, c’était irréfléchi et cela a provoqué des remous inutiles. Une chose est claire: il n’y aura pas de tatouage avant la Coupe du monde. Pas de coloration capillaire non plus au Qatar.
À la table voisine, une femme âgée se penche vers Granit Xhaka:
- «Je viens d'apprendre que vous êtes suisse. J'étais en Suisse l'autre jour! À Zurich et à Lucerne.»
- «Je suis content que la Suisse vous plaise. Mais Zurich et Lucerne, ce n'est pas vraiment mon truc. Ma ville, c'est Bâle!»
- «Oh, Bâle, je ne connais pas. Mais si vous le dites, la prochaine fois, j'irai à Bâle.»
À propos de Bâle: vous avez récemment tweeté sur le FC Bâle et y avez critiqué David Degen.
Non, attendez, je n'ai pas critiqué Dave. Il sait que je ne ferais pas ce genre de choses en public, je l'appellerais directement. J'ai simplement été agacé par la performance de l'équipe lors de ce match contre le FCZ.
Votre frère Taulant n'était pas dans l'équipe.
Cela n'a rien à voir avec Tauli. Je regarde tous les matches du FCB, que mon frère soit là ou non. Sauf aujourd'hui contre Sion justement, je ne peux pas regarder parce que je suis assis ici avec vous. Quel est le score?
0:0.
D'accord.
Reviendrez-vous un jour au FC Bâle pour terminer votre carrière?
C’est difficile à dire. En fait, j’aimerais bien jouer encore une fois avec mon frère au FC Bâle. Ce serait bien. Mais j’ai encore deux ans de contrat avec Arsenal et je me sens encore très bien. Je peux aussi m’imaginer que cela se termine en Angleterre. Après sept ans, Londres est devenu une sorte de deuxième patrie.
Le chef s’approche de la table, il y a des petits morceaux de cheesecake pour tout le monde en guise de dessert. Il dit en s’excusant qu’il fait vraiment de son mieux pour tenir les fans éloignés de notre table. Derrière lui, un garçon timide demande à Granit Xhaka de le prendre en photo. «Sure!», répond ce dernier avec un sourire satisfait.