Bajram Shala est probablement l'homme qui connaît le mieux le football kosovar aujourd'hui. Team manager de la sélection, son activité principale, mais également journaliste (il anime son propre show à la télévision), ce fin connaisseur et excellent communicant a reçu Blick à l'hôtel Emerald, lieu de rassemblement de la sélection kosovare, à quelques kilomètres de Prishtina.
Etablissement très confortable, l'hôtel n'est pas privatisé pour l'équipe nationale, ce qui avait attiré quelques commentaires amusés de Bernard Challandes à l'époque où il occupait la fonction de sélectionneur national. Le Neuchâtelois aurait aimé un peu plus d'intimité pour que son équipe puisse se concentrer au maximum, mais avait dû renoncer: au Kosovo, l'équipe nationale intéresse tout le monde et reste accessible.
Bajram Shala, lui, a pris le temps d'aborder tous les thèmes, y compris les plus chauds, juste avant l'entraînement du matin, à la veille du choc tant attendu entre le Kosovo et la Suisse, deux pays frères. Et en a profité pour faire passer quelques messages très clairs.
L'atmosphère au stade samedi soir? «Bien plus qu'un simple match»
«Je m'attends à une atmosphère extraordinaire, sincèrement. Et je peux déjà vous dire que l'équipe nationale suisse va recevoir un accueil extrêmement chaleureux, principalement deux joueurs: Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka, en raison de tout ce qu'ils représentent pour le Kosovo. Notre fédération et notre groupe de supporter, les Dardanet, ont déjà tout préparé, je peux vous l'assurer. Tout le monde peut s'attendre à vivre une belle soirée, qui ira bien au-delà du football et de ce match. Il ne s'agit pas pour nous d'une simple rencontre de football.»
Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka: «Le respect et l'amour qu'ils ont pour notre sélection, nous les leur rendons au même niveau»
«Il faut vraiment se rendre compte à quel point ces deux joueurs sont aimés ici. Cela fait plusieurs années qu'ils ont dépassé les frontières de la Suisse et du Kosovo. Ils sont connus, aimés et respectés dans le monde entier, pas seulement dans votre pays et dans le mien.
La manière dont ils parlent de nous, dont ils nous représentent, cela nous remplit de fierté et leur vaut notre admiration. Même avant que nous soyons une fédération affiliée à la FIFA et à l'UEFA, ils ont témoigné de leur amour pour le Kosovo et cela nous est allé droit au coeur.
Et puis, bien sûr, il y a eu les Coupes du monde 2018 et 2022 et les deux matches contre un pays que je n'ai pas besoin de vous citer pour que vous sachiez de qui je parle. Ces deux rencontres ont eu pour effet de faire aimer encore plus Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka ici au Kosovo.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit: ils étaient déjà aimés au maximum. Mais avec leurs performances lors de ces deux matches, ils sont allés encore un petit peu plus haut que le maximum (sourire). Le respect et l'amour qu'ils ont pour le Kosovo, nous les leur rendons au même niveau, même s'ils ne jouent pas pour notre sélection.
Malheureusement, je ne peux pas dire la même chose pour d'autres joueurs qui représentent la Suisse aujourd'hui ou qui l'ont représentée dans le passé. Certains sont respectés, d'autres le sont moins, voire plus du tout.
La différence, ce sont leurs paroles et leurs actions. Nous sommes très sensibles au comportement de chacun, à l'affection dont chaque personne fait preuve pour le Kosovo. Chaque détail, chaque parole a une influence sur ce que nous pensons d'une personne. C'est pour cela que nous aimons autant Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka.»
Le cas Uran Bislimi: «Pour tous ceux qui utilisent le Kosovo, le respect est mort et enterré»
«Le Kosovo est un pays avec un énorme potentiel footballistique, que ce soit à l'intérieur du pays ou grâce aux joueurs ayant grandi dans d'autres pays, comme la Suisse dans ce cas. Ce qui me permet de rappeler une réalité un peu mise de côté parfois, car beaucoup de monde pense encore que nous nous appuyons uniquement sur des joueurs formés dans d'autres pays. Plusieurs de nos meilleurs joueurs actuels comme Vedat Muriqi, Amir Rrahmani, Milot Rashica, Edon Zhegrova et Bernard Berisha sont nés et ont grandi au Kosovo. Je trouve important de le rappeler.
Mais évidemment, il y a un immense potentiel hors de nos frontières également et nous aurions été bêtes de ne pas chercher à l'utiliser et à le développer. Nous avons ouvert nos portes à tout le monde. Chaque joueur ayant des racines kosovares est le bienvenu. Mais nous demandons une chose: soyez sincère. Soyez honnête. Dites ce que vous voulez et dites-le clairement. N'utilisez jamais le Kosovo pour vos intérêts personnels.
Vous savez, nous ne sommes pas fous: nous pouvons comprendre qu'un joueur opte pour une sélection plutôt qu'une autre. Chacun a un choix à effectuer et jamais nous ne nous sentirons trahis si un joueur est clair et prend une décision assumée. De toute façon, il faut choisir. Je ne dis pas que nous sommes heureux quand un joueur nous dit: je veux essayer de jouer pour la Suisse, pour l'Allemagne, l'Italie ou n'importe quelle sélection du pays dans lequel il vit ou a grandi, puis, éventuellement, venir jouer pour le Kosovo s'il n'est pas pris. Nous n'allons pas l'applaudir, mais nous allons le respecter. Mais celui qui utilise le Kosovo pour faire pression sur un autre pays, qui vient, qui repart, qui essaie de revenir, celui-là ne mérite pas notre respect.
Dans le cas d'Uran Bislimi, je vais vous dire la vérité pleine et entière, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire. Je vous raconte exactement la manière dont cela s'est passé. Il faisait partie de notre équipe M21 et a eu un petit coup d'arrêt dans sa carrière, ce qui ne lui a pas permis d'intégrer notre équipe A immédiatement. Mais nous l'avons soutenu, toujours suivi. Et quand il a rejoint Lugano, même s'il n'était pas un titulaire indiscutable là-bas, il a été convoqué avec notre équipe nationale A. Nous étions conscients de son potentiel et du fait qu'il deviendrait un bon joueur. Et puis, d'un coup, il a disparu.
Plus de nouvelles de sa part, il ne répondait plus à mes téléphones, plus rien. Nous avons reçu un mail de son club, Lugano, qui disait qu'il ne viendrait plus, qu'il réfléchissait à son choix d'équipe nationale. Cela a été un premier choc pour moi. C'était en septembre dernier, il y a une année. Et puis, nous avons eu un contact de la part de son entourage, qui nous a dit qu'il avait fait une erreur, qu'il avait bien réfléchi et qu'il était désormais pleinement convaincu de jouer pour le Kosovo. Bon, on a pris sur nous...
On s'est dit qu'il était jeune, qu'il avait le droit à une deuxième chance. Nous l'avons repris et j'ai une discussion avec lui. Il m'a dit qu'il était à fond avec nous, qu'il n'avait jamais eu de doute, que le Kosovo était tout pour lui. On a surmonté la crise, on l'a mise derrière, on a mis ça sur le compte de la jeunesse, voire d'un malentendu. Il a effectué un très bon stage en novembre, il a marqué un but extraordinaire, il a embrassé le badge du Kosovo, il a clamé son amour... et il a disparu de nouveau!
Alors que j'avais parlé avec lui, que tout allait bien en apparence, que je lui avais envoyé la convocation pour le rassemblement suivant, en mars, avec les billets d'avion.. il n'est pas monté dans cet avion! Il n'a même pas eu le courage de répondre à mes appels ou de contacter l'entraîneur ou le président de la Fédération. Il a choisi la Suisse, ce qui, je le redis, n'est pas un problème en soi. Mais utiliser le Kosovo, puis disparaître à deux reprises, dont la dernière fois après avoir embrassé le drapeau national, cela ne passera jamais.
Le respect est mort et enterré, dans son cas comme dans celui d'Andi Zeqiri et de tous ceux qui ont utilisé le Kosovo pour jouer à ce genre de jeux. Voilà toute la vérité sur cette affaire et je défie quiconque de venir face à moi et de me dire qu'une virgule est fausse ou qu'un détail est inexact.»
Les résultats décevants du Kosovo dernièrement
«Nous sommes déçus par nos résultats actuels, ce n'est même pas la peine de le dire autrement. En 2016, quand nous avons débuté les qualifications pour la Coupe du monde en Russie, nous avions une stratégie claire: nous appuyer sur des jeunes joueurs pour les développer et progresser rapidement. Nous avions identifié des joueurs dans des académies de clubs prestigieux comme le Bayern Munich ou Manchester City en nous disant que c'est ainsi que l'on construirait l'avenir. Et cette campagne a été un désastre. Nous avons débuté par un nul en Finlande, puis avons perdu nos neuf matches suivants.
Pour tous les observateurs, c'était normal, nous étions un petit pays à leurs yeux, c'était normal que l'on ne gagne pas un match. Mais pour nous, c'était une catastrophe. Et puis est arrivée la Ligue des Nations et les éliminatoires de l'Euro 2021 et, petit à petit, notre stratégie s'est avérée payante, avec une série de quatorze matches sans défaite, dont des victoires face à la République Tchèque et en Bulgarie. Nous avons été tout proches, mais vraiment tout proches, de nous qualifier directement pour l'Euro 2021, mais nous avons perdu 2-1 en Tchéquie lors d'un match très serré. Et puis, nous avons perdu en barrages contre la Macédoine du Nord après la longue interruption dûe au Covid.
Je ne veux pas chercher d'excuses ou refaire l'histoire, mais si ce match s'était joué en mars 2020, comme cela aurait dû être le cas sans la pandémie, nous aurions eu de bien meilleures chances. Nous étions au top de notre forme, très performants. En octobre 2020, il nous manquait tellement de joueurs qui ne pouvaient pas voyager à cause des restrictions, tout avait changé. Et on a perdu 2-1. Notre chance était passée. Là, il y a un énorme regret.
Nos excellents résultats de 2019 et de 2020 avec Bernard Challandes ont fait naître de grandes attentes, extrêmement légitimes à mon avis. Et oui, depuis une année environ, peut-être un petit peu plus, nos résultats sont décevants. Alain Giresse a dit au début de la campagne qualificative actuelle que la Suisse était la meilleure équipe du groupe et que derrière elle, la Roumanie, Israël et le Kosovo étaient à peu près du même niveau et que la deuxième place était jouable. Il avait raison à 100%, tout le monde partageait son avis, mais les résultats n'ont pas suivi.
Nous avons un effectif de qualité, avec de grands joueurs. Avoir deux points après quatre matches est insuffisant et nous avons changé d'entraîneur pour tenter de nous relancer. Nous avons encore un petit espoir de qualification, mais il n'y a plus trop de points à perdre en route. Peut-être qu'après le match de samedi nous n'aurons plus aucun espoir, mais pour l'heure, il en reste encore un peu.»
«Bernard Challandes est aimé ici, bien au-delà des résultats»
«Je sais que Bernard Challandes parle toujours avec respect et émotion de son passage en tant que sélectionneur du Kosovo. Le sentiment du peuple kosovar envers lui est le même. Oui, il a eu d'excellents résultats, mais notre amour pour lui va bien au-delà de cela. Nous avons aimé son comportement, sa passion, son affection pour le Kosovo, la manière dont il défendait nos couleurs, que ce soit à l'entraînement, en conférence de presse, dans ses déclarations, dans la vie de tous les jours... C'est toujours très émouvant de le revoir. Le fait d'avoir dû prendre une décision contractuelle, professionnelle, en se séparant de lui, n'a rien à voir avec la personne qu'il est. Il sera toujours le bienvenu ici. A Zurich, lors du match amical en mars 2022, des gens faisaient la file pour prendre des photos avec lui et lui dire tout simplement merci. Cela ne changera jamais.»