La nouvelle vie d’Anthony Sauthier a commencé il y a quelques jours en Turquie, lieu du camp de préparation de son équipe: Yverdon-Sport. Il faudra un moment pour s’habituer à voir le défenseur porter une autre couleur que le grenat. La couleur de «son» Servette. Un club qu’il aime depuis sa plus tendre enfance et qu'il a quitté jeudi dernier, le coeur lourd.
Depuis Belek, le Genevois a ouvert son album souvenirs pour Blick. À travers plusieurs photos privées, il revient une dernière fois sur cette belle aventure en dix moments forts.
Au nom du (grand) père
«Chez les Sauthier, l’amour du Servette se transmet de génération en génération. Gamin, j’allais voir les entraînements de la première équipe avec mon frère, mon père et grand-père qui n’habitait pas loin des terrains de Balexert. On demandait des autographes aux joueurs. J’ai retrouvé une photo qui date des années 90, avec Oliver Neuville.»
«La famille ne ratait pas un match aux Charmilles, forcément. J’ai grandi à Carouge et je jouais à l’Étoile. C’est en juniors C, à treize ans, que Servette est venu me chercher grâce à Christian Lanza. Mon départ avait pas mal fait parler. Je me souviens que c’était un peu une trahison pour mes coéquipiers de l’époque. Mais je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion. Jouer avec la première du SFC, c’était mon rêve d’enfance.»
Le baptême du feu
«Ce rêve, je l’ai enfin réalisé en 2013. Même si j’ai fait mes débuts en Super League avec Sion, je n’ai pas hésité une seule seconde quand l’occasion s’est présentée de retrouver Servette. Le club était malheureusement retombé en Challenge League. Je n’oublierai jamais mon premier jour au Centre sportif des Evaux où on s’entraînait à l’époque. J’ai débarqué avec Didier Crettenand qui était transféré au club. Tous les deux, on est resté amis pour la vie.»
«Forcément, j’ai eu des frissons pour mes débuts avec le maillot grenat. Quand j’y repense, c’était aussi un moment inoubliable pour mon grand-père, qui est décédé récemment. C’est grâce à lui qu’on a découvert les Charmilles et il a vu jouer son petit-fils avec Servette. Les trois générations étaient à nouveau réunies en tribunes. Malgré mon départ, les Sauthier vont continuer à supporter le club.»
Le passage à vide
«À l’époque, l’ambiance dans l’équipe était extraordinaire. J’ai une anecdote qui me vient en tête: avant chaque match, on se réunissait en cercle. Depuis les tribunes, les spectateurs avaient l’impression qu’on se donnait les dernières consignes ou que le capitaine faisait des grands discours. Mais rien à voir. Un joueur devait raconter une blague. On était morts de rire à chaque fois. C’était con mais ça marchait bien et ça nous permettait de chasser la pression. Je devais être dans les meilleurs blagueurs, avec Chris Routis.»
«Et puis il y a eu un changement à la direction sportive du club en 2014 (ndlr: avec l’arrivée de Pascal Zuberbühler en tant que directeur sportif). Plusieurs joueurs, dont moi, ont été bannis sans véritable explication. Le noyau de l’équipe a quelque peu été cassé, nous n’avons pas trop compris pourquoi. L’entraîneur, Jean-Michel Aeby, n’a rien pu faire. On devait jouer avec la 2e ligue inter: pas un super niveau pour se montrer. On évoluait sur des synthétiques éclatés, dans des endroits paumés. Crettenand mettait des quintuplés. C’était n’importe quoi (rires). J’en rigole aujourd’hui mais cela a été une période terrible à vivre. C’était injuste. Heureusement, Kevin Cooper est arrivé sur le banc. Il voulait me garder et m’a fait confiance.»
Le traumatisme de 2015
«La relégation sur tapis vert, en 2015, était un autre moment difficile. L’ambiance était vraiment lourde durant les dernières semaines. Nous n’étions plus payés depuis un certain temps mais on a continué à jouer, à gratter des points même si on savait que ça ne servait plus à rien. Je revois un vieux but marqué par Denis Zakaria, du genou je crois, à Wohlen. L’équipe avait vraiment du talent avec Dereck Kutesa aussi.»
«Financièrement, c’était aussi tendu. Les salaires n’étaient déjà pas mirobolants en Challenge League mais on s’est tous serré les coudes. Je me souviens comme si c’était hier du soir où la mauvaise nouvelle est tombée. On était tous ensemble au restaurant. On s’y attendait mais ça a été un coup de massue terrible. Personne n’a vraiment pris la parole. On était tous tellement tristes. Heureusement, Servette a évité la faillite et n’est tombé «que» en Promotion League.»
Au fond du gouffre
«Même en troisième division, c’était hors de question que je lâche Servette, que je laisse le club dans cette situation. Beaucoup m’ont dit que je me trompais, que j’allais m’enterrer et que c’était la fin de ma carrière. Je ne les ai pas écoutés. Même si ça s’est compliqué sur la fin avec Sion, j’ai obtenu mon transfert. Juste à temps pour jouer le premier match à Breitenrain, un club de quartier à Berne.»
«Cette saison-là, il n’y avait plus grand monde au stade. Seuls les vrais venaient encore. On a galéré aussi sur le terrain, face à Cham notamment. À peine la moitié de l’équipe était professionnelle, avec beaucoup de jeunes qui allaient encore à l’école. Mais on s’en est sorti.»
Lausanne, meilleur ennemi
«Les matches contre Lausanne et Sion étaient forcément à part. Durant la semaine, je me préparais autrement. J’étais en «mode derby» avec plus d’intensité à l’entraînement. Lors de la saison 2014/15, on avait remporté les quatre derbys contre le LS. C’était fou. J’ai retrouvé cette photo prise dans les vestiaires à la Pontaise. Ça fait plaisir.»
«Alexandre Pasche est resté un très bon ami. Je l’ai aussi retrouvé dans l’autre camp. On était tous les deux capitaines pour le derby de la montée, contre Lausanne, le 10 mai 2019. Au moment du toss, il a attrapé la pièce en vol. L’arbitre n’en revenait pas. J’étais mort de rire.»
Au bout de la nuit
«Ah la promotion de 2019. J’ai tellement d’anecdotes sur cette soirée mémorable. J’attendais ça depuis six ans. Six ans d’efforts et de travail. On avait reçu la coupe après le dernier match, contre Kriens. Après, on a fait très fort. Les festivités ont commencé dans le stade avec les fans. Ensuite, l’équipe est allée fêter dans une boîte de nuit voisine.»
«J’ai cassé les pieds à un membre de la direction pour qu’il aille chercher la coupe dans les bureaux. On l’a d’abord passée sous la douche dans les vestiaires avec Steve Rouiller. Ensuite, je l’ai ramenée à la maison. J’ai dormi avec et ma femme a pris cette photo au réveil. J’étais comme un gamin le matin de Noël. C’était magique.»
Proche des supporters
«Année après année, une relation très particulière s’est construite entre la Section Grenat (ndlr: les ultras servettiens) et moi. J’allais voir les matches avec les plus anciens d’entre eux aux Charmilles. Encore récemment, je me glissais parfois en tribune nord avec eux, quand j’étais blessé ou suspendu. En octobre, lors de l’élimination en Coupe à Thoune, j’étais dans le parcage visiteur. C’était une situation compliquée pour l’équipe, avec une spirale négative. Mais, c’était important d’échanger avec eux, d’entendre leurs reproches et de pouvoir aussi leur raconter en partie ce qu’on vit, ce qu’on ressent.»
Le jour où tout a basculé
«Mon but, c’était de finir ma carrière à Servette. Le 20 décembre, les dirigeants m’ont fait comprendre qu’ils ne comptaient plus sur moi et n’allaient pas me prolonger. Quand j’ai appris une telle nouvelle, je n’ai pas pu retenir mes larmes. C’était comme une rupture violente, la fin d’une relation amoureuse. Tout ce que j’ai fait pour ce club depuis 2013, je l’ai fait avec amour. C’était difficile à encaisser. Aujourd’hui encore, je reçois plein de messages qui m’émeuvent. Cela va mieux mais il me faudra encore un peu de temps pour accepter tout ça.»
Le dernier discours
«Je ne voulais pas prendre le risque d’être au placard pendant six mois, de ne jouer que deux ou trois matches. À mon âge, c’était trop risqué. Mon agent a eu deux ou trois touches avec des clubs de Super League mais je lui ai demandé de ne pas donner suite. Cela aurait été trop compliqué d’affronter Servette si tôt, d’être un adversaire direct. Yverdon et Uli Forte me voulaient vraiment, j’étais leur priorité et je ne pouvais pas refuser un tel défi.»
«Bien sûr, c’est triste que je n’ai pas pu faire de match d’adieu à la Praille. Ça aurait été magnifique de partir à l’été, avec ce maillot grenat sur les épaules, devant tous mes proches. J’ai fait un discours aux joueurs quand ils sont rentrés du match amical contre YB (ndlr: le 13 janvier). J’ai pleuré du début à la fin. C’était le moment le plus difficile de ma vie.»