Yvan Bourgnon passe son permis!
«A l'examen théorique, je n'en menais pas large»

Incroyable mais vrai: détenteur de plusieurs records et navigateur expérimenté, Yvan Bourgnon a dû passer son permis de voile, ce week-end à Neuchâtel. Blick y était.
Publié: 01.06.2021 à 12:51 heures
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Dernière mise à jour: 02.06.2021 à 08:09 heures
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Ugo CurtyJournaliste Blick

Un ciré usé, une paire de jeans délavé et des tongs aux pieds. Yvan Bourgnon a des allures de touriste en goguette en ce samedi matin sur les bords du lac de Neuchâtel. Le célèbre navigateur s’apprête pourtant à enfin sortir de l’illégalité en prenant place à bord d’un modeste voilier. «Cette situation dure depuis 30 ans et il était temps que j’y remédie», lance le vieux loup de mer avant qu’un sourire malicieux ne transforme son visage. Le marin a chassé les records et les aventures sur toutes les mers du globe. Il est parti en quête d'un sésame à la portée du moindre marin d’eau douce: son permis de navigation en Suisse.

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Yvan Bourgnon a passé avec succès son examen pratique pour le permis de navigation en Suisse.
Photo: Dom Smaz

Une nuit blanche à réviser

L’examen pratique se transforme vite en une petite balade au large entre copains. «Je crois que ça s’est bien passé», lâche avec confiance l’élève navigateur à son retour au port du Nid-du-Crô. «Vous pourrez écrire dans votre article qu’Yvan Bourgnon a brillamment réussi l’exercice», s’empresse de préciser l’expert Laurent Lambelet dans un éclat de rire général.

Imperturbable sur l’eau, le natif de La Chaux-de-Fonds faisait pourtant moins le malin deux jours plus tôt devant son ordinateur. «A l’examen théorique, je n’en menais pas large», reconnaît-il d’entrée avec un sens de la formule qui fleure bon la blague de corsaire.

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«J’ai passé une nuit blanche à réviser, de 22h à 6 heures, comme un con tout seul chez moi. Quand je suis arrivé à mon rendez-vous le matin, je n’avais plus les yeux en face des trous. J'étais complètement stressé, certain que j’allais rater.» 45 minutes de sueurs froides et 10 fautes plus tard, l’élève Bourgnon a réussi son test mais il devra repasser pour la mention. Qu’importe, il peut désormais parcourir les lacs du pays sans craindre d’être pris par la patrouille.

Retour au bercail

Un terrain de jeu que l’amateur du grand large «a appris à apprécier avec les années». Il a retrouvé ses racines neuchâteloises en s’installant à Saint-Blaise il y a plusieurs années. «Si je n'étais pas obligé d'être souvent au bord de mer pour mon métier, je serais tout le temps dans le coin.» Il y revient souvent pour défier les meilleurs spécialistes lacustres. «Les Romands sont très forts, salue-t-il spontanément. Quand on fait des régates ici, on se prend des taules», avoue-t-il dans un grand éclat de rire.

Toute la table tremble lorsqu'il pose ses grandes pognes devant lui sur la terrasse déserte. Ses lunettes de soleil tordues tiennent péniblement en équilibre sur son nez. En enlevant son vieux ciré, Yvan Bourgnon découvre un t-shirt tout droit sorti d’un magasin de souvenirs sur l’île de la Réunion.

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Dans une dizaine de jours, le Franco-suisse sera au départ du mythique Bol d’Or aux côtés de son fils Mathis, 24 ans. Le duo est champion d’Europe en titre dans la classe des catamarans Nacra F20. Le paternel n'est pas peu fier de cet équipage familial. «J’ai connu plusieurs étapes dans ma vie, lance-t-il avec une émotion sincère. J'ai fait des courses au large, des régates. J'ai eu la chance de naviguer avec mon frère aîné (ndlr: Laurent, disparu en mer en 2015), de partager des moments incroyables avec lui. Aujourd’hui, je retrouve ces mêmes frissons avec mon fiston. Je sais que ce ne sera pas éternel parce que Mathis est sollicité de partout pour d'autres défis. Mais j'essaye d'en profiter, de lui transmettre ce que je connais.»

Il a frôlé la mort au Bol d'Or 2019

Le papa Bourgnon aura aussi une revanche à prendre avec ce Bol d’Or. Une régate qui a failli lui coûter la vie en 2019. Une 81e édition qui a été marquée par l’une des pires tempêtes de l'histoire de cette course mythique, la plus importante du monde en bassin fermé. En quelques minutes, le Léman s’est déchaîné. Le lac paisible s'est transformé en maelström, renversant les bateaux comme des feuilles mortes. Plus de 200 équipages ont abandonné.

Ce fut aussi le cas du Franco-suisse et de son coéquipier. En tête de leur classe au Bouveret, l’équipage a chaviré et brisé son mât sur le fond peu profond de la baie. «C’était tellement violent qu'on a été tiré sous l’eau par le bateau, se souvient le navigateur. Nous n’avons pas eu le temps de nous détacher des trapèzes.» S’en est suivi deux minutes d’angoisse sans pouvoir respirer, dans les remous et le courant. «J’ai cru qu'on allait mourir noyés. Ce jour-là, on a été très heureux d'en sortir vivant. Comme quoi, il n'y a pas besoin d'aller au Cap Horn pour se faire peur.»

Le plastique, ce n'est pas fantastique

Même si le désir d’aventure et de compétition n’est jamais très loin, Yvan Bourgnon s'est désormais lancé corps et âme dans une course contre-la-montre plus écologique que sportive. Un engagement pour la planète renforcé par le contexte sanitaire. Si certaines consciences ont été secouées par la pandémie, la surconsommation n’a pas perdu le cap. «Tant que les gens n’auront pas pris des journées à 50 degrés sur la gueule, qu'ils n'auront pas une marre de plastique devant chez eux, ça sera difficile de les faire bouger, s’énerve le marin. Pourquoi tout le monde veut à tout prix retrouver sa «vie d'avant»? Il y a même eu une recrudescence des plastiques à usage unique avec la vente des plats à l'emporter et le besoin de «protéger» certains aliments. Les efforts de ces 12 dernières années ont été balayés en quelques mois.»

Entre 10 et 12 millions de tonnes de plastique sont déversées chaque année par l'être humain dans les océans. Une pollution que le navigateur cherche à freiner avec «Sea Cleaners». L'association — lancée en 2016 — a notamment pour but de mettre à l’eau une armada de «Manta». Ce gigantesque bateau (qui devrait faire 62 mètres de haut sur 56 de long) est appelé à récolter et traiter les déchets flottants sur l'eau.

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«Une trentaine d’employés travaillent sur le projet, soutenus par un millier de bénévoles, chiffre Yvan Bourgnon. Nous avons levé 20 millions de francs. Il faut qu'on trouve encore la même somme pour lancer la construction du premier bateau.» Un lancement du chantier est espéré pour la fin 2022. Il faudra ensuite patienter deux ans pour voir le baptême de l'imposant vaisseau. «Les plans seront en accès libre pour permettre un partage des connaissances. A l'avenir, on aimerait que quelques centaines d’exemplaires pourront voir le jour à travers le monde.»

A la chasse aux donateurs

L’examen pratique pour l’obtention de son permis de navigation semble soudain bien loin. Yvan Bourgnon prend congé et s’apprête à rejoindre Paris où il tentera encore de convaincre de nouveaux investisseurs de rejoindre sa cause. Ce bras de fer contre le plastique s’annonce plus incertain et périlleux encore que toutes les défis marins qui ont marqué sa carrière.

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