L’avantage d’un sport qui reste plus ou moins confidentiel est que ses licenciés forment souvent une grande famille. C’est le cas du saut acrobatique. La solidarité est telle au sein de la communauté que l’ancien athlète olympique Andreas Isoz (40 ans), qui s’est retiré de la compétition il y a dix ans, construira les tremplins pour les stars d’aujourd’hui lors des championnats du monde de freestyle prévus en Engadine en mars prochain.
Mais c’est surtout lors du déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022 que l’homme a découvert la dimension inespérée de la cohésion au sein de la famille internationale du saut acrobatique. Pour de nombreux skieurs d’Ukraine, qui s’entraînent parfois dans la région zurichoise, là où est né Andreas Isoz, la guerre est soudainement devenue une préoccupation majeure. Le Suisse a alors spontanément mis en place une collecte de dons, envoyant des tonnes de matériel de secours dans le pays en guerre. Sur place, ce sont des confrères du saut acrobatique, comme l’entraîneur Enver Ablajev, qui ont pris le relais.
Jusqu’à Boutcha et Kherson
Andreas Isoz ne s’est pas limité à une action unique. Il continue encore aujourd’hui d’apporter son aide. L’immense solidarité des sportifs se poursuit. Depuis bientôt trois ans, le Zurichois collecte des dons sur la plateforme «there for you». «Au début, nous avons été complètement débordés, des dizaines de milliers de francs ont été récoltés en quelques heures. Lorsque j’ai lancé l’appel, de nombreuses personnes du milieu du ski acrobatique ont également fait des dons, même depuis le Japon et la Chine», rapporte Andreas Isoz, qui ajoute: «Au fil des ans, plus d’un demi-million de francs ont été récoltés. Nous sommes déjà allés 15 fois en Ukraine et avons livré des marchandises sur place.»
Ces déplacements l’ont conduit dans des lieux funestes comme Boutcha ou Kherson. Son passeport suisse est d’ailleurs rempli de tampons. En plus de la Hongrie, de la Pologne et de l’Ukraine, il y a aussi la Moldavie. Car lors de ses huit derniers voyages, Andreas Isoz a livré en Ukraine des ambulances suisses hors d'usage et remplies à ras bord de matériel de secours, avant de prendre le train de Kiev à l’aéroport de Chisinau, la capitale moldave. «Je suis rentré en avion depuis là. C’est plus rapide et moins cher», explique-t-il.
Son projet d’aide fait donc partie de son quotidien. C’est dans un restaurant de Mettmenstetten (ZH) que Blick lui rend visite. L’athlète aux 74 victoires en Coupe du monde est le directeur d’une grande entreprise de restauration comptant des dizaines d’employés. Pour le personnel, il est normal que le chef fasse régulièrement des voyages près du front, ou que des biens de première nécessité soient entreposés dans les locaux de l’entreprise.
Un entraîneur ukrainien prend le relais
L’ancienne athlète ukrainienne de classe mondiale Olga Volkova (38 ans, médaille de bronze aux championnats du monde 2011), travaillait aussi dans l’entreprise de restauration. Mais elle est entre-temps retournée dans son pays malgré la guerre. Elle est désormais l’un des contacts d’Andreas Isoz sur place.
«Ce sont eux qui savent le mieux ce qui manque et qui nous le signalent. Au début, j’ai vite compris que l’aide devait être apportée directement sur place», reprend Andreas Isoz. Avec son projet, le Zurichois n’envoie pas d’argent en Ukraine. Avec les dons, il préfère acheter des biens comme du matériel médical, des sous-vêtements thermiques ou encore des jouets, du matériel d’écriture et scolaire pour les enfants. Il livre tout cela lui-même. C’est souvent l’entraîneur ukrainien Enver Ablajev qui signale les situations d’urgence. «J’avais parfois mauvaise conscience, car il se met lui-même en danger en clarifiant des projets pour nous», concède le Suisse.
Tout ce projet est aussi une manière de lutter contre l’oubli. En Suisse, la guerre a en effet été reléguée au second plan depuis quelque temps. Mais Andreas Isoz continue tout simplement d'avancer. À chaque voyage, il constate à nouveau l’ampleur de la détresse.
Ce qui le fait réfléchir, c’est l’incroyable écart entre la guerre et la normalité dans le pays. «J’ai vu beaucoup de maisons détruites, c’est assez oppressant. Mais pendant que tu entends les explosions des équipes de déminage, les gens vont normalement au travail. J’ai d’abord dû m’y habituer.»
Vivre la guerre de très près permet à l’ancien athlète de revenir à chaque fois de ses voyages plus ancré dans la réalité. «Nos problèmes en Suisse ne semblent soudain plus aussi importants», affirme-t-il, pensif. Le prochain voyage est déjà prévu.