Il est vraiment temps de s’en aller. Larguer les amarres. Se libérer de la foule. Se donner à la houle. «L’engouement est absolument incroyable mais trois semaines, c’est très, très, très long. Il est temps d’y aller et de se retrouver seul en mer. Moi, on me dit tu pars demain (ndlr: la rencontre avec Alan Roura a eu lieu jeudi en fin de matinée), je signe de suite.» Pour la 3e fois de suite, Alan Roura a le regard tourné vers le chenal des Sables d’Olonne. Ce “tunnel” qui mène sur le plus grand stade du monde. 300 000 personnes qui vont saluer, l’un après l’autre, les quarante concurrents de la 10e édition du Vendée Globe. Quatre ans après une édition à huis-clos, le tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance suscite un engouement sans précédent.
Une attente qui commence à durer
«Tous les chiffres sont à la hausse, souligne Alan Roura. Il suffit de jeter un oeil sur ce ponton pour prendre la mesure du phénomène. Cela fait plus de deux semaines que le village de départ a été ouvert et que nous avons amarré nos bateaux. Et cela n’arrête pas. Pour nous, skipper, c’est une ambiance qui est encore gérable car tout est fait pour que nous puissions circuler à peu près librement dans des couloirs réservés. Mais je pense que c’est surtout très long pour les équipes techniques qui travaillent sur les bateaux.»
Le temps d’une rencontre sur le pont de Hublot, on prend la mesure du phénomène Vendée Globe. Un serpent humain glisse d’un bateau à un autre. Une file dans un sens. Une file dans l’autre. Il a souvent fallu patienter plus de heures avant de pouvoir accéder au légendaire ponton et toucher du bout des doigts ces incroyables machines qui vont emmener les solitaires dans les mers du sud. «Les gens demandent beaucoup, ils sont curieux, bienveillants et ils ont souvent attendu des plombes pour nous voir. Mais c’est impossible de répondre à toutes les demandes. Il est impératif de savoir se préserver.»
Une semaine en famille sur l'Île d'Yeu
Pendant la discussion improvisée sur la partie avant du monocoque, les appels des familles, des passionnés de voile, des mamies en goguettes avec leurs petits enfants, sont incessants. Chacun voudrait un petit mot, un sourire, un selfie, une photo, un geste de la main. Chacun comprend que ce ne sera pas forcément possible et passe alors son chemin pour tenter sa chance ailleurs. «Le programme est ainsi fait que nous avons la possibilité de couper à nos obligations lors de la deuxième semaine du village, explique Alan Roura. Nous avons fait le choix d’une semaine en famille sur l’Île d’Yeu. En comité très restreint pour profiter à fond. La séparation avec Billie et Marley a déjà eu lieu dimanche dernier. Ils ne seront pas là le jour du départ. Pour moi, le plus dur est sans doute déjà fait avec cette séparation qui n’a pas été facile à gérer, surtout pour le papa… C’est bien de l’avoir fait en amont pour m’en aller l’esprit plus serein.»
Dimanche, c’est un Alan Roura conquérant qui défilera dans l’arène sur le pont de son bel Hublot. «Il y a quatre ans, tout était vide. Les seules personnes que je saluais, sans doute pour la seule fois de ma vie, c'étaient les policiers qui veillaient au respect du confinement! Là, j’ai vraiment hâte de retrouver la folle ambiance de 2016. Je pense même que ca va être encore plus fou quand on voit l’engouement populaire. Et je sais qu’il y a également beaucoup de supporters venus de Suisse qui seront là tout au long du chenal.»
L'abandon plutôt que la promenade en mer
A 13h02, dimanche, la flotte de 40 bateaux va s’ébrouer dans des conditions très légères. «Ce n’est pas idéal pour moi, soupire Alan Roura, car mon bateau aime quand ça souffle fort au portant. Mais ce n’est pas grave. Un Vendée Globe, c’est une course de très longue haleine pleine de rebondissements. Après avoir fini deux fois, j’ai envie de lâcher les chevaux pour n’avoir aucun regret. Je préfère tirer sur le bateau quitte à devoir abandonner plutôt que de terminer la course en étant sur la défensive. J’ai eu besoin de trois ans et de pas mal de modifications pour mettre ce bateau à mon image et pour arriver à en exploiter tout le potentiel. On peut faire de très belles choses ensemble.»
Les «Bonne chance Alan, faites-nous rêver!», jaillissent en flux tendu du ponton. Il est vraiment temps de larguer les amarres.