La Suisse propose «Olga», le premier long métrage d'Elie Grappe dans la course à l'Oscar pour le meilleur film international. Il raconte l'histoire d'une jeune gymnaste ukrainienne, qui veut obtenir une place dans l'équipe nationale suisse tandis que des manifestations secouent son pays. Rencontre avec le réalisateur.
Elie Grappe a choisi de placer l'intrigue lors des émeutes de Kiev en 2013 et 2014. Une journaliste, mère d'une jeune gymnaste, reste en Ukraine pour participer aux événements tandis que sa fille Olga, fraîchement arrivée en Suisse, s'entraîne pour les JO.
L'idée du film est venue au réalisateur de 27 ans après une rencontre avec une violoniste ukrainienne lors de l'un de ses premiers tournages: «elle est arrivée en Suisse juste avant la révolution de Maïdan», explique-t-il à Keystone-ATS.
Le jeune homme, originaire de Lyon et installé en Suisse romande, poursuit : «Les images de la révolution, prises par les manifestants, ont imprégné jusqu'à sa pratique du violon.»
Grâce à cette rencontre, Elie Grappe trouve la clé pour se lancer dans son premier long métrage, c'est-à-dire «à la fois filmer la passion d'une adolescente pour la gymnastique. Et en même temps mettre face à face des enjeux individuels et collectifs.»
Le claquement de la barre de métal
«Mon personnage a une question : comment concilier son désir individuel avec le courPs de l'histoire, avec ce qui se passe autour d'elle. Toute la mise en scène articule cela».
Le contraste est saisissant entre les images d'archives des émeutes, prises par des manifestants - la production du film en a acquis les droits - et le cadre atemporel des montagnes que l'on voit depuis Macolin, là où s'entraîne la jeune gymnaste en exil. «La Suisse, c'est le pays où le personnage est à la fois le plus en sécurité et le plus loin de ce qui se passe chez elle, puisque c'est un pays qui est au centre de l'Europe mais hors de l'UE. Au même moment les révolutionnaires d'Euromaïden en Ukraine revendiquent un rapprochement avec l'Europe plutôt que l'ingérence russe.»
«Cette tension entre gymnastique et images documentaires de révolution, c'est aussi ce que vit mon personnage. Ces deux imageries-là n'ont rien à faire ensemble et en même temps n'arrêtent pas de s'entrechoquer.»
Pour le son, c'est à peu près le même champ lexical : le claquement de la barre de métal fait écho à ceux des coups pendant les manifestations. «Et c'est exactement ce que vit l'héroïne, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas revenir à la gym sans être dans la violence de Kiev.»
«Et avec la gymnastique, c'est aussi un exercice de point de vue: il fallait être à la hauteur d'Olga dans sa recherche d'équilibre, de légèreté, de vertige.»
Des corps puissants
Filmer des corps de jeunes filles, cela pourrait être délicat actuellement. Il a dû échapper au déterminisme de son regard.
Pour y parvenir, il s'est entouré de gens qui pouvaient le contredire, confronter ce qui allait être ses a priori, comme la scénariste, avec qui il a écrit. Pour l'Ukraine, il a rencontré des sociologues et des historiennes. Et pour la gymnastique, il est allé dès le début de l'écriture à Macolin et au centre olympique ukrainien.
«Très concrètement, il n'y a pas d'équivalent masculin en gymnastique d'une Nadia Comaneci ou d'une Simones Biles. Les filles font des trucs que les garçons ne peuvent pas faire. Et je trouve que ce n'est pas rien à observer.»
«D'autant plus aujourd'hui, des corps de jeunes filles autant marqués par leur pratique, par leur passion. Et des corps de jeunes filles puissantes, au cinéma, c'est encore assez peu représenté.»
Les vraies gymnastes de l'équipe suisse
La majorité des acteurs sont des non-professionnels, mais les vraies gymnastes de l'équipe suisse. «C'est plus facile qu'avec des professionnels en fait, parce que les gymnastes et le coach de l'équipe nationale font des choses que les acteurs ne savent pas faire», explique le réalisateur, formé à l'ECAL.
Ce qui l'intéressait avant tout, c'était l'"expérience réelle» des interprètes. «Les personnages sont fictifs, mais en revanche les gymnastes s'entraînent 30 heures par semaine, se produisent devant 5000 personnes dans une arène et habitent au Centre de Macolin, loin de leurs parents: tout cela, ce sont des choses qu'elles connaissent.»
«J'ai l'impression que mon travail comme directeur d'interprètes, c'était d'organiser pour elles un espace - et de le définir très précisément: les enjeux de la scène, la mise en scène, etc. - pour leur permettre ensuite de le remplir totalement.»
«Et d'utiliser leurs propres mots, leurs émotions, leurs expressions, leurs réactions. Et cela a donné aux personnages des couleurs plus intéressantes, plus ambiguës, plus contrastées que ce que j'avais imaginé, que je suis capable d'écrire.»
Premier vertige
Elie Grappe travaille déjà à son 2e projet de long métrage avec la maison de production genevoise Point Prod: «c'était bien de se remettre au travail très vite, parce que le premier vertige, c'est celui de la création qui vient... .»
On se quitte. Il ne sait pas s'il recevra son visa à temps pour décoller le lendemain pour Los Angeles et le festival Colcoa. Elie Grappe sera vite de retour, pour la première suisse de son film au GIFF à Genève le 5 novembre, suivi d'une série d'avant-première avant la sortie en salles en Suisse romande et en France le 17 novembre.
Au Tessin, le film sera sur les écrans le 25 novembre et le 3 mars 2022 en Suisse alémanique.»Olga» a été joué en première mondiale à Cannes cet été et y a été primé comme dans plusieurs autres festivals. (ATS)
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