De longues, très longues griffes de 4 centimètres et des couleurs plus pétantes les unes que les autres. Pour Adeline, 20 ans, la manucure, c’est du sérieux. Voilà quatre ans qu’elle a commencé à s’amuser avec les formes et les couleurs. Depuis une année, elle a décidé de confier ses mains à une nail artist basée à Lausanne. Son budget: 50 francs par mois. Cela comprend une pose complète au gel, un vernis et quelques décos. «Ça tient longtemps et comme j’ai été l’une des premières clientes et que je viens régulièrement, j’ai un pourcentage. Normalement, c'est plus cher», explique-t-elle à Blick.
La Lausannoise est formelle: avoir de beaux ongles parfaitement peints voire décorés à coups de strass et de paillettes, c’est sa manière à elle de se sentir belle. «Mes ongles c’est mon kif. Je ne me vois pas vivre sans. Alors c’est clair que certains n’aiment pas ou trouvent que c’est too much. Une fois, ma mère m'a forcé à les couper avec un ciseau. Et puis, elle a fini par accepter».
Tendance surtout chez les jeunes
Alors non, Adeline, ou Adee comme on la surnomme, n’est pas prête de renoncer à ses longues griffes. «La seule fois où j’ai dû arrêter, c’était quand j’étais assistante dentaire. Le métier m’obligeait à avoir des ongles courts et sans vernis». Désormais en recherche d’emploi, la jeune femme n’envisage pas un métier où elle ne pourrait pas avoir de longs ongles.
Lenka qui tient une onglerie basée à Morges depuis maintenant 18 ans, confirme que le type de manucure change selon la mode, le métier et l’âge. «Ce sont surtout des jeunes femmes dans la vingtaine qui craquent pour des longs ongles au gel, à l’acrylique ou au Gel-X, une toute nouvelle méthode aussi appelée pose américaine», explique la professionnelle de 45 ans, avant d’ajouter: «Lorsqu’elles arrivent sur leur trentaine, qu’elles commencent à avoir des enfants ou un métier qui ne permet pas d’avoir de longs ongles, les clientes décident de raccourcir et d’opter pour quelque chose de plus neutre.»
Les Etats-Unis ou la patrie des ongles XXL
D’où vient cette mode des griffes ultra longues? Pour Lenka, c’est du côté des USA qu’il faut se tourner. «Quand j’avais 18 ans, j’ai voyagé aux Etats-Unis durant trois mois et juste en face de mon lieu de travail, je voyais souvent des employées du téléphone rose qui sortaient du boulot. Elles avaient toutes des manucures sophistiquées et très longues», se souvient-elle. Alors, les ongles longs sont-ils singuliers aux travailleuses du sexe? «Probablement, mais on est très loin de ce cliché aujourd’hui. Désormais, les femmes sont libres d’oser, de se démarquer, d’être sexy. Des faux cils aux extensions en passant par les ongles, elles n’en font qu’à leur tête et c’est bien, je trouve.»
Lenka note que si les ongles XXL ont longtemps fait fureur aux Etats-Unis, la Suisse, elle, a toujours préféré le nude ou les teintes et les formes plutôt discrètes. «Ça ne fait que depuis 3 ou 4 ans que les longs ongles sont devenus à la mode ici, notamment grâce aux réseaux sociaux. Aujourd’hui, les jeunes femmes apprennent grâce à YouTube, par exemple. On n’est plus du tout dans une manucure dite classique, mais plutôt dans une forme d’art avec des formes, des dessins et plein de couleurs».
Internet: une source d’inspiration sans limite
Etudiante en design industriel à Zurich, Ava s’est mise au nail art il y a un an. «J’étais en stage à l’étranger et on était en pleine pandémie. J’ai profité de mon temps libre pour me faire les ongles. Et puis il faut dire qu’étant étudiante, je n’ai pas forcément beaucoup de sous. D’où l’intérêt de me faire ma manucure toute seule», nous raconte la Romande de 24 ans. Elle commence par improviser du court et au fil des mois, elle tente des petites folies. Elle ose la longueur, les couleurs pétantes. «J’ai commencé à acheter du matériel et j’ai créé ma page Instagram, histoire de montrer mon travail».
Quid du côté pratique avec des ongles de 3 à 5 centimètres? Pour Ava, tout résumer à ce qu’on peut faire ou non avec des ongles longs est un peu réducteur. «Prendre soin de ses ongles et les décorer est une forme d’art, un moyen d’expression. Entre nous, je peux tout faire avec mes mains. Les seules fois où j’ai demandé de l’aide, c’était pour sortir ma carte du boîtier de payement pendant mes achats. Dans ces moments, la personne à la caisse offre son aide».
Quant aux remarques pas toujours plaisantes, Ava n’y porte pas trop d’attention. «On m’a déjà demandée si c’était difficile de s’essuyer après être allée aux toilettes. Mais ongles longs ou pas, personne ne se frotte avec les ongles, enfin! Si c’est le cas, c’est déjà faux de base. On s’essuie avec les doigts…»
Black Pride et bad bitches
Pour Renata Libal, rédactrice en chef du magazine «encore!», l’envie d’exprimer sa créativité à travers leurs ongles n’a rien d’anodin. «A travers, le prolongement des ongles, on impose une nouvelle norme esthétique. On se souvient de l’athlète Florence Griffith qui avait remporté la médaille d’argent du 200 mètres aux Jeux olympiques d’été de 1984. Elle s’était fait remarquer grâce à sa victoire, mais aussi grâce à ses ongles vernis, incroyablement longs – presque 16 centimètres!».
Les ongles XXL, ornés de couleurs et de paillettes se sont donc imposés comme une alternative à l’élégance policée à l’occidentale, qui a prévalu durant tout le XXe siècle, une esthétique nouvelle, plus sauvage, plus dangereuse. «La manucure à la Florence Griffith était aussi une manière d’imposer des codes de beauté spécifiques, alors, à la communauté afro-américaine. C’était une façon de revendiquer sa Black Pride (fierté d’appartenir à la communauté noire)», précise Renata Libal.
Aujourd’hui, des rappeuses américaines comme Cardi B, Megan Thee Stallion ou Nicki Minaj se sont fait héritières de cette ostentation assumée et joyeusement transgressive. Des artistes admirées par Christelle, 33 ans. «Ces femmes sont des bad bitches. Elles dégagent quelque chose d’agressif, de viril tout en étant très féminines. Pour moi, il y a clairement un message féministe qui se cache au cœur de cette esthétique. J’aime cette attitude de femmes fortes, presque animales qui portent des griffes. Ça m’inspire». Il se trouve que cette animatrice socioculturelle vaudoise est également DJ à ses heures perdues. Les icônes rap et n’ont donc plus vraiment de secret pour elle.
Christelle avoue que, de manière générale, ses ongles ne plaisent pas tellement aux hommes «et tant mieux. L’important c’est que ça me plaise à moi!» Les femmes, elles, sont beaucoup plus réceptives: «J’attire le regard dans la rue, des caissières me font des compliments, et on se regarde parfois du coin de l’œil avec celles qui ont aussi de longs ongles. Ça donne presque le sentiment d’appartenir à un club», s’amuse la jeune femme.
Christelle le concède, les longs ongles demandent davantage d’entretien et d’attention. «Vous savez, l’être humain est la seule espèce qui sait s’adapter, ce n’est pas moi qui le dit mais Darwin! Alors oui, j’ai du mal à ouvrir des cannettes. Je me sers donc d’un couteau. Pareil pour les pièces de monnaie que j’ai du mal à ramasser. Mais de toute façon, je préfère les billets!»
Si Federica Tamarozzi, conservatrice au Musée d’ethnographie à Genève, note que la manucure est une pratique réservée aux femmes aujourd’hui, cela n’a pas toujours été le cas. Les hommes ont eux aussi porté de la couleur sur leurs ongles et pris soin de leurs mains.
«Le soin des mains existait déjà il y a 5000 ans en Chine, en Inde, dans l’est de l’Asie mais aussi en Egypte. Cela laisse penser que le bassin méditerranéen était également familier avec ces pratiques», précise l’experte avant d’ajouter qu'il est difficile de donner une date précise.
Les couleurs, les longueurs et les artefacts ongulaires sont donc très anciens. «Porter des ongles longs était généralement réservé à une certaine classe sociale qui n’avait pas besoin de travailler. Mais attention, certains portaient aussi des ongles longs car ils en avaient besoin pour pratiquer leur métier. C’était le cas des musiciens qui pouvaient utiliser leurs ongles pour jouer, par exemple».
Entre la seconde moitié du XIXe siècle et le XXe siècle, les ongles sont devenus un attribut associé au corps féminin. Les couleurs ne sont plus réalisées à base de plantes mais plutôt avec des peintures industrielles.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la pratique est davantage codifiée et plus stricte. Ainsi les ongles longs et colorés sont réservés aux femmes actives dans le spectacle. «Des ongles extravagants définissaient les femmes à la recherche d’amours battants et de plaisir», explique Federica Tamarozzi.
Aujourd’hui, les ongles longs et décorés ne sont plus liés aux métiers de la sexualité ou du spectacle. Ils sont devenus un espace d’expression propre à chacune. «On le voit notamment avec l’avènement récent du nail art. On s’amuse avec les couleurs et on ose même différentes choses sur ses 10 doigts. Sans oublier que l’avancée des techniques permet aussi d’essayer de nouvelles choses».
Si Federica Tamarozzi, conservatrice au Musée d’ethnographie à Genève, note que la manucure est une pratique réservée aux femmes aujourd’hui, cela n’a pas toujours été le cas. Les hommes ont eux aussi porté de la couleur sur leurs ongles et pris soin de leurs mains.
«Le soin des mains existait déjà il y a 5000 ans en Chine, en Inde, dans l’est de l’Asie mais aussi en Egypte. Cela laisse penser que le bassin méditerranéen était également familier avec ces pratiques», précise l’experte avant d’ajouter qu'il est difficile de donner une date précise.
Les couleurs, les longueurs et les artefacts ongulaires sont donc très anciens. «Porter des ongles longs était généralement réservé à une certaine classe sociale qui n’avait pas besoin de travailler. Mais attention, certains portaient aussi des ongles longs car ils en avaient besoin pour pratiquer leur métier. C’était le cas des musiciens qui pouvaient utiliser leurs ongles pour jouer, par exemple».
Entre la seconde moitié du XIXe siècle et le XXe siècle, les ongles sont devenus un attribut associé au corps féminin. Les couleurs ne sont plus réalisées à base de plantes mais plutôt avec des peintures industrielles.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la pratique est davantage codifiée et plus stricte. Ainsi les ongles longs et colorés sont réservés aux femmes actives dans le spectacle. «Des ongles extravagants définissaient les femmes à la recherche d’amours battants et de plaisir», explique Federica Tamarozzi.
Aujourd’hui, les ongles longs et décorés ne sont plus liés aux métiers de la sexualité ou du spectacle. Ils sont devenus un espace d’expression propre à chacune. «On le voit notamment avec l’avènement récent du nail art. On s’amuse avec les couleurs et on ose même différentes choses sur ses 10 doigts. Sans oublier que l’avancée des techniques permet aussi d’essayer de nouvelles choses».