La question qui fait débat
Faut-il arrêter d'embrasser son enfant sur la bouche?

Il y a quelques semaines, David Beckham publiait une photo Instagram de lui en train d'embrasser sa fille sur la bouche. Le post a relancé le débat du bisou sur les lèvres entre parents et enfants. Blick a récolté des avis d'expertes et de trois mamans romandes.
Publié: 04.02.2022 à 15:52 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

«Pourquoi embrasser son enfant sur les lèvres? C’est putain de louche», «Sur les lèvres… NON!», «C’est une grande fille maintenant, c’est le moment d’arrêter de lui faire des bisous sur la bouche», voici un tout petit échantillon du florilège de commentaires désapprobateurs que David Beckham s’est ramassé sur Instagram à la mi-janvier. Sans parler des émojis vomi ou tête de mort… La raison: le footballeur britannique a posté une photo de lui en train de bécoter sa fille Harper sur la bouche.

Le sportif avait d’ailleurs déjà été épinglé à cause ce genre de cliché. En 2017, il s’était attiré les foudres de ses followers après s’être mis en scène en story en pleine séance de bécots avec sa fille. Bien décidé à défendre sa position de papa poule, David Beckham avait répondu: «J’ai été critiqué pour avoir embrassé ma fille sur la bouche l’autre jour. J’embrasse tous mes enfants sur la bouche. Brooklyn, peut-être pas. Brooklyn a 18 ans, il pourrait trouver ça un peu étrange. Mais je suis très affectueux avec les enfants. C’est comme ça que j’ai été élevé et Victoria aussi, et c’est comme ça que nous sommes avec nos enfants.»

Et tenez-vous bien, il n’y pas que Beckham qui ose le bec sur le museau de ses mouflets. Laeticia Hallyday s’affiche sans vergogne sur les réseaux en train d’embrasser ses deux filles, pareil du côté de la célébrissime bimbo Nabilla et son fils Milo (nan mais allô, quoi!) ou de la chanteuse américaine Hilary Duff et son fils Luca.

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Une minorité de gens condamne la pratique

Si cette pratique déclenche toujours une tempête de remarques piquantes, plusieurs sondages réalisés en ligne montrent que dans la majorité des cas, les gens ne condamnent pas cette pratique. Selon le site d’informations britannique Daily Mirror, 83% des sondés considèrent qu’embrasser son enfant sur la bouche n’a rien de choquant. Le Huffington Post qui a lui aussi mené l’enquête a démontré que 63% des parents sont de cet avis. La minorité restante considère quant à elle que la bienséance de cette habitude dépend de l’âge de la progéniture.

Du côté de notre petite Suisse, aucune étude n’a été menée sur le sujet et c’est bien dommage. A en croire ces constatations, on pourrait penser qu’il s’agit d’une pratique extrêmement liée à un facteur culturel. Pourtant selon Cléolia Sabot, chercheuse à l’institut des sciences sociales à l’Université de Lausanne (UNIL), réduire une pratique à un aspect culturel peut s’avérer dangereux: «catégoriser certains comportements avec les enfants peut être délicat pour différentes raisons. Accepter des pratiques dans certains cas et pas dans d’autres en se basant sur une délimitation géographique est problématique. Sans oublier qu’on peut tomber dans des travers racistes même au sein du contexte occidental. Néanmoins, quel que soit le contexte géographique, il est préférable de s’adresser à l’enfant et d’adapter notre comportement à ses préférences».

L’apprentissage par mimétisme

Ce qui est sûr, c’est que tout le monde a un avis sur la question. Il vous suffit de soulever le débat lors d’un dîner de famille pour constater que le bisou sur la bouche fait polémique partout, tout le temps. Si certains s’accordent à dire qu’il ne s’agit là que d’une simple démonstration d’affection, d’autres avancent que les lèvres d’un adulte — parents ou non — n’ont strictement rien à faire collées à celles d’un môme.

Car justement, lorsqu’il est encore petit, l’enfant découvre son corps. Pour mieux comprendre le monde qui l’entoure, il imite les adultes les plus proches de lui, c’est-à-dire ses parents. «C’est d’abord dans la famille que l’on fait ses premières expériences. Ce sont le père et la mère qui donnent l’exemple et fixent des règles. Le bisou sur la bouche est donc de facto un peu imposé par les parents», nous explique Laurence Bagnoud-Roth, psychologue-psychothérapeute FSP à Genève.

Que ce soit à la suite d’une habitude familiale ou d’une démonstration affective isolée, les parents inculquent certaines pratiques à leur progéniture. Mais selon la spécialiste, il peut ainsi s’avérer difficile pour un petit de savoir qui il peut embrasser ou non.

Si le bisou peut être d’usage jusqu’à 3 ou 4 ans, il convient de mettre des limites lorsque l’enfant grandit. «Il est important d’expliquer la différence entre l’amour intime et l’amour filial pour protéger son enfant ou simplement éviter les confusions», précise Laurence Bagnoud-Roth.

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«Nous ne nous sommes jamais embrassés sur la bouche dans la famille»

«Dans ma famille, on ne s’est jamais embrassés sur la bouche, ce n’est pas quelque chose de naturel chez nous. Du coup, pour moi ça a été très vite clair que le bec sur les lèvres était réservé au partenaire. C’est quelque chose que j’ai transmis à mes propres enfants.

Alors oui, ma fille qui a aujourd’hui 8 ans a déjà cherché à me faire un petit bisou sur la bouche lorsqu’elle était toute petite. Pour elle, c’était sans doute une manière de s’amuser. J’ai refusé et elle m’a demandé pourquoi. Je lui ai calmement expliqué que ce type de bisou ne se faisait pas à d’autres personnes que son amoureux. Il n’y a pas eu de soucis, elle a très bien compris.

J’ai également un fils plus âgé, il a 12 ans. D’après moi, si le bisou sur la bouche avait été une routine, cela aurait peut-être renforcé une forme de complexe d’Œdipe et ce n’est pas quelque chose que je souhaite. Je l’ai élevé toute seule jusqu’à ses trois ans environ. Pour moi, il était important de faire la part des choses. Je ne voulais pas que mon fils prenne la place de l’homme. Autant vous dire que si je tentais de l’embrasser sur les lèvres aujourd’hui, ça ne passerait pas [rires].

Pour moi, il y a des limites à ne pas dépasser. Mais ça ne veut pas dire que je ne donne pas d’amour à mes enfants. Je ne refuse pas les bisous sur les joues ou les câlins. Quant aux parents à qui le bec sur la bouche ne pose pas de problème, je ne les juge pas. Je pense qu’en tant que parents, on fait tous du mieux qu’on peut.»

Séverine, 41 ans, thérapeute et mère de deux enfants.


«Dans ma famille, on ne s’est jamais embrassés sur la bouche, ce n’est pas quelque chose de naturel chez nous. Du coup, pour moi ça a été très vite clair que le bec sur les lèvres était réservé au partenaire. C’est quelque chose que j’ai transmis à mes propres enfants.

Alors oui, ma fille qui a aujourd’hui 8 ans a déjà cherché à me faire un petit bisou sur la bouche lorsqu’elle était toute petite. Pour elle, c’était sans doute une manière de s’amuser. J’ai refusé et elle m’a demandé pourquoi. Je lui ai calmement expliqué que ce type de bisou ne se faisait pas à d’autres personnes que son amoureux. Il n’y a pas eu de soucis, elle a très bien compris.

J’ai également un fils plus âgé, il a 12 ans. D’après moi, si le bisou sur la bouche avait été une routine, cela aurait peut-être renforcé une forme de complexe d’Œdipe et ce n’est pas quelque chose que je souhaite. Je l’ai élevé toute seule jusqu’à ses trois ans environ. Pour moi, il était important de faire la part des choses. Je ne voulais pas que mon fils prenne la place de l’homme. Autant vous dire que si je tentais de l’embrasser sur les lèvres aujourd’hui, ça ne passerait pas [rires].

Pour moi, il y a des limites à ne pas dépasser. Mais ça ne veut pas dire que je ne donne pas d’amour à mes enfants. Je ne refuse pas les bisous sur les joues ou les câlins. Quant aux parents à qui le bec sur la bouche ne pose pas de problème, je ne les juge pas. Je pense qu’en tant que parents, on fait tous du mieux qu’on peut.»

Séverine, 41 ans, thérapeute et mère de deux enfants.


A travers les yeux des adultes

D’après Cléolia Sabot, le bisou sur la bouche parent/enfant n’est pas un problème en soi mais c’est une question complexe. «Le vrai souci, c’est qu’on romance et qu’on sexualise une pratique affective. On calque notre regard d’adulte sur certaines habitudes et c’est là que la polémique émerge. C’est pareil pour d’autres, on se souvient de la célébrité Chrissy Teigen qui avait fait un bad buzz après avoir posté un cliché d’elle et de ses enfants en train de prendre un bain».

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Mais alors comment faire pour ne pas empiéter sur l’intimité de ses marmots? En fait, la réalité n’est pas bien compliquée. Il suffit de demander aux enfants comment ils perçoivent certaines pratiques et le sens qu’ils leur attribuent. Sans oublier d’expliquer que chez les adultes, un bisou a une signification plus intime.

Si demander l’autorisation de l’enfant pour l’embrasser paraît simple dit comme ça, cela mérite d’être répété. Cléolia Sabot insiste sur ce point. L’experte précise que le consentement n’est pas gravé dans le marbre mais qu’il est le fruit d’une sorte de continuum: «Consentir à une pratique ne veut pas dire consentir à celle-ci de manière générale, universelle et systématique. Il est important d’attirer l’attention sur la nécessité d’un consentement d’un acte à un temps T. Le consentement doit être demandé quasi systématiquement. Un enfant peut être OK de faire un bisou sur la bouche à un moment, mais pas à un autre, avec une personne mais pas une autre, dans certaines circonstances et pas à une autre. Dire oui une fois ne veut pas dire que le bambin est toujours d’accord. De plus, les rapports de pouvoir en présence font que l’enfant n’est pas toujours en mesure de refuser face à des adultes. Il faut être vigilant à ne pas forcer l’enfant, avec les parents ou d’autres membres de la famille, par exemple.»

Pourtant, cette manière de fonctionner n’est pas encore une habitude dans la société. «Dans un monde géré par des adultes, on questionne malheureusement encore trop peu la position et l’avis de l’enfant».

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«Il n'a rien de louche à embrasser son enfant sur les lèvres»

«Mon mari et moi embrassons notre fille de 3 ans et demi sur la bouche. Et franchement, j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi cela choque. Cette pratique n’a rien de sexuelle, c’est totalement innocent. Nous n’avons pas l’impression de dépasser les limites. Je veux dire, c’est quand même ma fille, je l’ai portée.

En plus, ma fille est de nature très câline, elle adore faire des bisous et des accolades. Elle dit aussi volontiers 'je t’aime'. Pour moi, refuser un bec sur les lèvres reviendrait à limiter mon amour pour elle. Entre nous, je ne tiens pas particulièrement à la priver d’une forme d’affection qui la rassure.

Comme c’est une petite avec beaucoup d’amour à donner, c’est déjà arrivé qu’elle donne un bisou sur la bouche d’une copine pendant qu’elles jouaient. Je lui ai expliqué qu’elle ne pouvait pas faire ça à tout le monde et que ça pouvait mettre mal à l’aise.

Pour moi, le bisou sur la bouche doit être exclusif aux parents. J’ai un peu de peine lorsque les grands-parents embrassent ma fille sur la bouche. Je leur ai expliqué mon point de vue et ils ont compris.

En ce qui concerne l’avenir, j’avoue ne pas m’être trop projetée. Je pense que nous cesserons de l’embrasser sur la bouche avec le temps. Cela se fera de façon naturelle.»

Caren, 31 ans, entrepreneuse et maman d’une petite fille.

«Mon mari et moi embrassons notre fille de 3 ans et demi sur la bouche. Et franchement, j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi cela choque. Cette pratique n’a rien de sexuelle, c’est totalement innocent. Nous n’avons pas l’impression de dépasser les limites. Je veux dire, c’est quand même ma fille, je l’ai portée.

En plus, ma fille est de nature très câline, elle adore faire des bisous et des accolades. Elle dit aussi volontiers 'je t’aime'. Pour moi, refuser un bec sur les lèvres reviendrait à limiter mon amour pour elle. Entre nous, je ne tiens pas particulièrement à la priver d’une forme d’affection qui la rassure.

Comme c’est une petite avec beaucoup d’amour à donner, c’est déjà arrivé qu’elle donne un bisou sur la bouche d’une copine pendant qu’elles jouaient. Je lui ai expliqué qu’elle ne pouvait pas faire ça à tout le monde et que ça pouvait mettre mal à l’aise.

Pour moi, le bisou sur la bouche doit être exclusif aux parents. J’ai un peu de peine lorsque les grands-parents embrassent ma fille sur la bouche. Je leur ai expliqué mon point de vue et ils ont compris.

En ce qui concerne l’avenir, j’avoue ne pas m’être trop projetée. Je pense que nous cesserons de l’embrasser sur la bouche avec le temps. Cela se fera de façon naturelle.»

Caren, 31 ans, entrepreneuse et maman d’une petite fille.

Un bisou d’un homme davantage mal perçu

Selon la chercheuse, si faire un bec sur les lèvres de son bambin peut faire polémique, c’est encore plus sujet à débat lorsque l’adulte est un homme. Les femmes étant assimilées aux métiers du care, soit les soins et l’attention à l’autre au sens large, on pense qu’elles sont 'naturellement' garantes du bien-être de leurs enfants. On leur attribue des qualités comme l’affection ou la tendresse. «A cause de cette construction sociale, les gestes d’une mère seront plus rarement mal interprétés. En revanche, si un homme adopte les mêmes comportements, comme le bisou sur la bouche, ce sera plus louche et une symbolique différente intervient», note Cléolia Sabot.

La psychologue et psychothérapeute Laurence Bagnoud-Roth signale d’ailleurs que lors de séparations conflictuelles, il arrive que certains parents utilisent cette interprétation comme moyen de pression afin d’obtenir la garde de l’enfant. «En effet, lorsque des parents rompent, tout peut être utilisé contre l’autre. Malheureusement, ce type de geste en fait partie.»

«Je veux protéger mes enfants»

«Je vais être tout à fait honnête, le bisou sur la bouche entre un parent et son enfant me met mal à l'aise.

Pour moi, il y a des parties du corps qui font partie de l’intime. En tant que maman, il me semble important de ne pas dépasser cette limite sauf si cela est nécessaire. Je pense notamment à un potentiel souci de santé ou alors simplement à l’apprentissage de la propreté. Vous imaginez bien que les mamans seules doivent bien apprendre à leur fils à faire pipi debout.

Dans tous les cas, le consentement est quelque chose d’ultra important. On se doit de demander à son enfant s’il est d’accord ou non et le sensibiliser à certaines pratiques. Pour le bisou sur la bouche, ma fille de 8 ans et mon fils de 11 ans ont rapidement compris que c’était réservé aux amoureux. Et comme tous les enfants de leur âge, ils trouvent ça dégoûtant.

D’autant plus que je suis séparée de leur père et que ma vie amoureuse continue. Si je les présente à un futur compagnon, la limite doit être claire. Si le bisou sur la bouche était normalisé, mes enfants pourraient ne pas saisir certaines impolitesses ou pire, certains dangers. Mon job, c'est de les protéger»

Christa, 32 ans, employée de commerce et maman de deux enfants.

«Je vais être tout à fait honnête, le bisou sur la bouche entre un parent et son enfant me met mal à l'aise.

Pour moi, il y a des parties du corps qui font partie de l’intime. En tant que maman, il me semble important de ne pas dépasser cette limite sauf si cela est nécessaire. Je pense notamment à un potentiel souci de santé ou alors simplement à l’apprentissage de la propreté. Vous imaginez bien que les mamans seules doivent bien apprendre à leur fils à faire pipi debout.

Dans tous les cas, le consentement est quelque chose d’ultra important. On se doit de demander à son enfant s’il est d’accord ou non et le sensibiliser à certaines pratiques. Pour le bisou sur la bouche, ma fille de 8 ans et mon fils de 11 ans ont rapidement compris que c’était réservé aux amoureux. Et comme tous les enfants de leur âge, ils trouvent ça dégoûtant.

D’autant plus que je suis séparée de leur père et que ma vie amoureuse continue. Si je les présente à un futur compagnon, la limite doit être claire. Si le bisou sur la bouche était normalisé, mes enfants pourraient ne pas saisir certaines impolitesses ou pire, certains dangers. Mon job, c'est de les protéger»

Christa, 32 ans, employée de commerce et maman de deux enfants.

Cléolia Sabot met également le doigt sur un aspect non-négligeable en ce qui concerne l’exemple de David Beckham. «Il me semble important de noter qu’il s’agit d’un modèle de masculinité bien présent dans l’imaginaire collectif. Dès lors, s’il se met en scène de manière publique en train d’embrasser sa fille, cela suscite des réactions.»

Des traditions qui évoluent

Si les rites de salutations ont toujours fait partie des normes sociales à toutes les époques et un peu partout dans le monde, elles diffèrent selon les pays. «Dans certaines régions on fait deux bises, dans d’autres trois», explique Cléolia Sabot.

Mais il existe bien d’autres façons de se saluer au-delà des frontières franco-suisses. Au Tibet par exemple, on tire légèrement la langue pour se dire bonjour. En Arabie Saoudite, on privilégie le houb al-khouchoum (la bise du nez) entre hommes. Cela consiste à frotter son naseau contre celui que l’on salue. Ainsi, ce qui semble normal chez les uns peut-être étrange pour d’autres.

Et puis, qu’on le veuille ou non, les formes de salutations évoluent: «Les rites changent à travers l’espace mais aussi le temps. En effet, depuis la pandémie, la bise s’est faite plus rare. Beaucoup de gens semblent s’accorder pour dire qu’ils sont plutôt contents de ce changement», explique la chercheuse.

Ainsi, si la bise n’est plus aussi répandue qu’il y a deux ans, peut-être qu’embrasser son bambin sur la bouche sera, un jour, dépassé.

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