Le cancer du sein débarque sans crier gare. Alors oui, dans la majorité des cas, on s’en sort. Il n’empêche que les divers traitements pour espérer guérir restent difficiles. Au-delà des conséquences physiques comme la perte des cheveux, les nausées, la prise de poids ou la fatigue, la maladie impacte la santé mentale de certaines patientes, qui voient leur corps de femme changer brutalement. Blick est allé à la rencontre d’Anne Dunand, une psychologue qui suit de nombreuses patientes ayant été confrontées à la maladie.
À l'occasion de la campagne de sensibilisation du cancer du sein qui a lieu chaque année durant le mois d'octobre, Blick a prévu toute une série d'articles sur le sujet.
Voici les épisodes à lire au plus vite!
- Rétrospective sur la maladie et son histoire: «La vie des survivantes du cancer du sein reste encore difficile»
- Témoigne d'une survivante: «Le Covid m'a sauvé la vie: il m'a permis de détecter mon cancer du sein»
- L'étude du cancer dans la science: «Les jeunes générations ont plus de risques d'avoir un cancer du sein»
- Autoexamen et cancer du sein: Tout savoir sur les symptômes et l'auto-palpation
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Anne Dunand, Comment les femmes réagissent-elles lors de l’annonce du diagnostic?
Les réactions sont assez variées. On s’imagine souvent que ça va être une catastrophe absolue, mais on ne peut pas faire de généralités. Si l’annonce est toujours un choc, il y a des femmes qui se remettent très vite et d’autres pour qui c’est plus difficile.
Et lors de l’annonce d’un cancer à un stade avancé, le choc doit être plus difficile à encaisser...
Pas forcément. Les réactions sont individuelles, et un événement n’a pas la même signification pour chacune. Les réactions ne dépendent pas seulement de la gravité du pronostic, mais aussi du caractère, des ressources de chacune et du moment de vie dans lequel le cancer survient.
J’imagine qu’accepter de ne plus être en bonne santé est une difficulté partagée par beaucoup...
Effectivement, lors d’un diagnostic de cancer, les patients doivent rapidement intégrer cet aspect de la maladie à leur identité. De plus, il ne faut pas oublier que même si le cancer est de mieux en mieux traité, il reste une maladie potentiellement mortelle. Cette représentation est encore très ancrée dans l’esprit des gens. Lorsqu’on est diagnostiqué, on réalise qu’on est vulnérable et surtout mortel alors que d’habitude, nous évitons d’y penser. Ainsi, l’arrivée de la maladie implique un bouleversement identitaire.
En quoi le cancer du sein est-il différent des autres en termes de bouleversement identitaire, justement?
Le cancer du sein est un exemple parlant parce que la maladie touche le corps, mais pas n’importe quelle partie du corps: le sein. Il s’agit d’un organe symboliquement très chargé, très investi en termes d’identité féminine.
C’est-à-dire?
Le sein est en rapport avec la maternité, la féminité, la séduction, la sexualité… Finalement, lorsqu’on touche au sein de la femme, on touche aussi à tous ces aspects qui sont chargés émotionnellement et ont un poids identitaire et social fort.
Les femmes touchées par le cancer du sein développent-elles des peurs qui découlent de cette atteinte à leur identité féminine?
On peut dire ça, oui. Disons que beaucoup de patientes se demandent si elles sont toujours la même femme, la même mère, la même épouse… Cependant, il y a une évolution dans ce ressenti, et un travail qu’on peut faire pour réussir à se réapproprier ce corps et se sentir à nouveau femme, mère ou épouse, avec et après un cancer.
Personnellement, mes cheveux ont toujours été une sorte de symbole de ma féminité. Pareil pour ma poitrine, par exemple. Ça doit être difficile de se sentir femme après avoir subi des chimios ou une mastectomie...
C’est intéressant parce que là aussi, les réactions ne sont pas les mêmes pour toutes, tout dépend notamment de comment les cheveux et la poitrine étaient investis avant le cancer. Pour vous et d’autres femmes, les cheveux et la poitrine sont des caractéristiques importantes liées à la féminité. Pour certaines, d’autres aspects sont tout aussi centraux, quand bien même les chimiothérapies et les mastectomies restent des interventions difficiles. À noter que l’impact des traitements sur la femme ne se résume pas qu’à ces deux choses.
C’est vrai que lorsqu’on aborde le thème du cancer du sein, on pense tout de suite à la chimio ou à la mastectomie. Quels sont les autres traitements qui ont des conséquences sur le physique et le mental des patientes?
Comme vous l’avez dit, il y a les chirurgies qui ôtent une partie ou l’intégralité du sein, et la perte de cheveux à la suite d’une chimio. Mais il y a d’autres effets secondaires dus aux traitements, comme la fatigue et les nausées, qui impactent le bien-être et la capacité à se sentir séduisante. Sans oublier d’autres interventions comme l’antihormonothérapie. Cette thérapie est mise en place dans les cas de cancers hormonodépendants. Elle permet d’empêcher l’action des hormones, pour réduire les risques de récidives. Résultat: les patientes vont être en ménopause précoce. Cela peut être très impactant, surtout lorsqu’on a 35 ou 40 ans. Tout d’un coup, ces jeunes femmes sont touchées par des choses qu’elles ne devaient logiquement pas connaître avant un certain âge, comme les bouffées de chaleur ou la sécheresse vaginale.
Par conséquent, la vie de couple doit également être impactée. Je pense notamment à la sexualité...
Tout dépend du type de relation entretenue. Il y a des couples pour qui la vie sexuelle est très importante et d’autres qui misent davantage sur la tendresse et la confiance partagée, par exemple. Pour ces couples-là, cette intimité relationnelle les aide à traverser la maladie. Précisons aussi que la sexualité n’est pas forcément au premier plan dans la vie d’une femme qui vient d’être diagnostiquée ou en période de traitement. C’est souvent après les traitements que les femmes abordent la question de leur vie sexuelle.
Et pour le partenaire ou la partenaire, alors?
Il est évident que les partenaires sont aussi touchés par le fait que le corps de leur conjointe change. Et ce n’est pas toujours facile pour eux d’exprimer ce qu’ils ressentent, notamment par peur de blesser leur moitié.
J’imagine que certaines femmes redoutent que leur partenaire soit révulsé par leur corps qui change...
Oui, c’est une peur qui existe. Mais souvent, la réalité n’est pas aussi dure que ce qu’elles ont pu s’imaginer. Les partenaires se montrent souvent soutenants et peu de couples se séparent durant la maladie.
Si vos constatations sont plutôt positives en ce qui concerne les couples, qu’en est-il des femmes célibataires?
Effectivement, se sentir assez en confiance pour rencontrer un nouveau partenaire, réussir à séduire à nouveau et donc à se sentir attirante prend généralement du temps. Certaines y arrivent, pour d’autres, c’est plus compliqué. Je suis très admirative des femmes qui trouvent des moyens d’aller au bout de leurs envies, malgré la peur. Parce que non, ce n’est pas impossible de retrouver une vie amoureuse et de séduire après un cancer du sein.
Vous dites qu’elles trouvent des moyens. Qu’entendez-vous par là?
Je pense à des choses très concrètes comme se fournir de la lingerie adaptée ou se dévoiler progressivement. D’autres vont jouer cartes sur table et être très directes dès le début.
Assister impuissante au changement de son propre corps, peut-on vraiment dépasser ça?
Encore une fois, tout dépend des femmes. Il y en a qui se remettent vite, d’autres moins. Mais ce qui est certain, c’est que ça prend du temps et c’est une forme de travail psychique. Tout le monde voit son corps changer au cours de sa vie, mais c’est normalement toujours progressif. On a le temps de s’y habituer et de se réapproprier ce corps qui se transforme. Lorsqu’il s’agit d’un cancer, ces changements sont très brutaux. La chirurgie, par exemple, intervient du jour au lendemain. Quant aux effets secondaires des chimios, ils s’imposent très vite.
Comment se réapproprie-t-on son corps après la maladie, alors?
En plus du temps plus ou moins long qu’il faut prendre pour réapprendre à se connaître, je dirais que ce qui aide, c’est de regarder, de toucher et de «faire fonctionner» physiquement ce corps transformé. Les transformations sont d’ailleurs successives. Ce qui aide aussi, c’est de savoir que certains de ces changements sont réversibles, en partie en tout cas. Je pense aux cheveux qui repoussent, par exemple. Dans les salles d’attente, des patientes peuvent voir d’autres femmes qui ont à nouveau des cheveux plus ou moins longs et qui se coiffent d’une certaine manière, etc. À la suite d’une mastectomie ou d'une tumorectomie, des reconstructions mammaires sont proposées aux femmes qui le souhaitent, soit par prothèses ou grâce à d’autres techniques chirurgicales. Avoir ou savoir qu’on pourra avoir à nouveau une poitrine, même si ce n’est pas celle d’avant, peut contribuer à cette réappropriation du corps.
Quels sont vos conseils pour gérer cette phase difficile?
Je pense que raconter ce que l’on vit, ne pas s’isoler et puis expliquer son ressenti à ses proches est toujours bénéfique. Il faut également oser demander de l’aide professionnelle si la souffrance devient trop importante.
Une prise en charge psychologique pour ces femmes est-elle donc nécessaire?
C’est une question qui demande une réponse nuancée. En effet, je ne pense pas que toutes les femmes atteintes d’un cancer aient besoin d’une prise en charge psychologique. Si lors d’un cancer, on est forcément touché au niveau personnel, au niveau de l’identité, au niveau de sa place dans la famille et dans la société, il y a d’autres événements de vie qui peuvent provoquer ce genre de changements. On sait que de nombreuses personnes font face à ce type de bouleversement sans passer par un soutien psychologique professionnel. On a aussi des ressources personnelles qu’on peut activer. Je pense au soutien familial, amical ou au monde associatif notamment. Certaines patientes se tournent aussi vers de nouvelles activités comme la peinture, la photographie ou réinvestissent des choses importantes pour elles, comme les balades dans la nature, etc. Cependant, cela ne veut pas dire que les suivis psychologiques sont inutiles et surtout, ce n’est pas du tout inhabituel d’en bénéficier lors d’un cancer. Pour résumer: le soutien psychologique ne devrait pas être une injonction ni une étape obligatoire lors d’un cancer, mais c’est important d’oser demander une assistance professionnelle si on en ressent le besoin, en se rappelant qu’il est légitime de chercher de l’aide lorsqu’on vit un événement difficile.
Au-delà de l’aide psychologique de professionnels, vers qui ces femmes peuvent-elles se tourner pour les aider à surmonter cette épreuve?
Les professionnels de l’hôpital sont des bonnes ressources en première intention. Parler à son oncologue ou à l’infirmière de référence qui suit le parcours des patientes est déjà un pas. Cela permet un premier soutien et une évaluation des besoins, puis éventuellement, une orientation. Outre les professionnels de la santé psychique, il y a également tout le monde associatif qui propose de l’aide, comme Ligue vaudoise du cancer, l’Association savoir patient ou Marraines cancer du sein. Finalement, il y a son propre réseau familial et amical.