Analyse d'une experte
«Se sentir différent et être perfectionniste ne fait pas de vous un HP»

Sur la Toile et ailleurs, la fascination pour les HP est de plus en plus présente. Problème: certains se revendiquent HP sans consulter. Pour comprendre ce phénomène, Blick a parlé avec Sophie Prignon, fondatrice de Hi-Mind, un cabinet spécialisé dans le suivi des HP.
Publié: 27.06.2022 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 27.06.2022 à 17:15 heures
«Il y a une mode en ce qui concerne les personnes qui s’autoidentifient HPI sans entretien préalable avec un professionnel.» Sophie Prignon, fondatrice de Hi-Mind, parle à Blick de ce phénomène.
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Cet hiver, j’ai donné rendez-vous à une demoiselle dans un café pour une interview. Après une poignée de minutes seulement, elle me lance: «Je suis HPI en fait. C’est très rare que je me sente moins intelligente qu’une personne en face de moi.» Plutôt étonnée de cette confession teintée d’une pointe d’arrogance, je me suis demandée si j’avais dit ou fait quelque chose qui aurait pu la vexer. Je sais bien que les gens se méfient des journalistes, mais là… Et puis, foutu pour foutu, je me suis permise de lui poser la question qui fâche: «Vous avez consulté un psychologue pour être certaine d’être bien haut potentiel intellectuel?» Surprise, Madame HP m’a répondu que non. Elle avait simplement beaucoup d’amies qui l'étaient et comme elle avait les mêmes «symptômes», elle était sûre de l’être aussi. Ah d'accord...

Bien évidemment, personnalité douteuse oblige, l’article que j’avais initialement prévu n’est jamais sorti. Mais comme on dit: lorsqu’une porte se ferme, il y en a une qui s’ouvre. J’ai donc eu l’idée d’évoquer la question et d’en finir avec les fantasmes autour des personnes à haut potentiel intellectuel. Interview avec Sophie Prignon, fondatrice du cabinet Hi-Mind et spécialiste dans l’accompagnement des personnes HP.

Blick: Constatez-vous une forme de mode concernant le fait d’être haut potentiel?
Sophie Prignon: Il y a une mode en ce qui concerne les personnes qui s’autoidentifient HPI sans entretien préalable avec un professionnel. Le diagnostic de haut potentiel a tendance à être utilisé à tort et à travers pour expliquer tous les problèmes de développement et d’apprentissage, et pour revendiquer un traitement spécifique des enfants dans les milieux scolaires et parascolaires. Un tel usage du terme de haut potentiel tend à avoir l’effet inverse de celui recherché. Cela risque de progressivement ne plus être pris au sérieux.

Pourquoi cette fascination soudaine?
Les qualités exceptionnelles des HPI fascinent depuis au moins l’Antiquité. Après, cela fait une quinzaine d’années que le thème a été largement abordé dans les médias, on en parle de plus en plus dans le cadre de reportages, dans des livres ou dans les magazines. Sans oublier la culture, puisque les HPI sont devenus des personnages de fiction au cinéma ou dans des séries.

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J’imagine que cet attrait pour les HPI peut être utilisé à des fins douteuses…
Eh bien je constate, par exemple, que le sujet est devenu une forme de business. Des tests non-certifiés circulent. Certains professionnels communiquent sur les réseaux sociaux en définissant une prétendue personnalité type du HPI. Il y a ce jeu de «qui dit HPI dit d’office souffrance» et il me semble que c’est porteur pour certains professionnels peu scrupuleux…

En parlant de tests non-certifiés, que pensez-vous des pseudo-diagnostics sous forme de quiz sur les réseaux sociaux ou des tests de QI sur la Toile?
Ces tests ne sont pas valides puisqu’ils n’ont pas été protocolés et ne reposent pas sur un échantillon large de la population, ou sur un échantillonnage tout court! Les items doivent par ailleurs avoir été mis en évidence dans le cadre de recherches scientifiques.

Oui, sauf que ces quiz fallacieux poussent quand même des gens à penser qu’ils sont neuroatypiques. Comment réagit-on face à cette tendance lorsqu’on est soi-même HPI?
Il y a plusieurs réactions. Certains ne sont pas du tout touchés par les débats présents sur la Toile. D’autres qui ont été formellement identifiés par un psychologue peuvent douter de leur diagnostic au regard de tout ce qui se discute sur Internet et la médiocrité des débats. Il y a alors une sorte de rejet de cette identification, on en a presque honte, parce que maintenant tout un chacun se retrouve dans la catégorie, parce que cela décrédibilise les concernés.

À défaut de pouvoir se fier à Internet, comment savoir si on est HPI?
En prenant rendez-vous avec un professionnel qui connaît bien cette thématique. Mais attention, un test de QI seul ne suffit pas pour identifier un HPI. Une séance préalable à la passation du test de QI doit d’office être proposée. Elle permet d’enrichir et d’interpréter les résultats du test de QI.

Est-il possible d’identifier un HPI sans faire un test de QI?
En l’absence de bilan intellectuel ou si le QI n’a pas pu être déterminé, le meilleur signe reste probablement la performance scolaire ou académique, surtout lorsque l’excellence perdure et s’observe dans plusieurs disciplines intellectuelles. Attention, cela ne veut pas dire que les personnes HPI vivront d’office des succès scolaires.

Mais alors, quelles sont les caractéristiques d’un HPI?
De façon générale, les personnes à HPI présentent de meilleurs scores en créativité, à certains tests d’humour, à certains tests de jugements moraux, en pensée divergente, en esprit critique, pour ne citer que quelques exemples… Ils ont également des aptitudes plus développées au niveau de l’empathie ainsi qu’une certaine intelligence intuitive. Mais ce ne sont pas des indices suffisants de haut potentiel.

Ah et bien justement, j’étais la première à savoir lire dans ma classe et j’ai appris toute seule. Je me sens différente: je suis perfectionniste et très emphatique. Finalement, je m’ennuie très vite. Suis-je HPI?
À nouveau, cela ne suffit pas. Se sentir différente ou être perfectionniste ne fait pas de vous une HPI.

Comment se comporter face à une personne qui, comme je viens de le faire, se qualifie de HPI sans même avoir consulté un professionnel?
Question difficile, cela dépend de la relation que les deux personnes entretiennent. Mais inviter la personne à prendre au moins une fois un rendez-vous avec un professionnel pour échanger au sujet de ses doutes serait le plus approprié selon moi. Il appartient ensuite au psychologue ou au thérapeute d’aider son patient à faire la part des choses et à identifier ce qui relève d’un potentiel HPI, d’un HPI ou d’autres troubles.

Se dire HPI à tout va peut-il représenter un danger?
Un danger à l’autoidentification du HPI qui se baserait sur des éléments de personnalité, surtout s’il s’agit de difficultés, est la confusion avec certains critères de troubles de la personnalité. Par exemple, la personnalité borderline rencontre plusieurs éléments pouvant évoquer le portrait populaire du HPI répandu dans certains livres grand public ou sur Internet. On tend alors à interpréter les souffrances psychologiques comme l’inadaptation sociale ou les difficultés émotionnelles, plutôt que de se baser sur des critères intellectuels. Tout cela entraîne de nouveaux motifs de consultation…

Il me semble que les personnes qui s’autoqualifient HPI sont souvent fragiles sur le plan identitaire. Conseilleriez-vous à ce genre de personnes de consulter un professionnel, au risque de ne pas pouvoir se faire confirmer le résultat tant espéré?
Oui, effectivement, il peut y avoir des personnes fragiles au plan identitaire qui s’autoqualifient de HPI. Par contre, d’autres se reconnaissant dans la définition du HPI et ont raison, dans le sens où c’est ensuite confirmé par l’évaluation. Tous n’ont pas tort, il faut tout de même le préciser. La première intuition peut être parfois très juste. Cependant, je pense qu’une séance avec un psychologue ou un psychothérapeute est recommandée pour pouvoir échanger à ce sujet. Il appartient alors au professionnel de clarifier les besoins de la personne. Ne proposer qu’une évaluation des compétences cognitives constitue une réponse partielle. Le risque est de manquer le cœur de la problématique individuelle et de retarder une prise en charge réellement adaptée aux difficultés rencontrées.

Penser qu’on est HPI et le crier sur tous les toits, n’est-ce pas là l’aveu d’une blessure narcissique ou une manière de justifier certains problèmes?
Alors oui, le fait de s’autoqualifier HP peut être le reflet d’une forme de narcissisme parce qu’être haut potentiel est considéré comme valorisant. C’est également une chouette explication à certains problèmes qu’on n’a pas forcément envie de remettre en question. Après, je pense qu’il est important de préciser qu’à côté cette démarche qui peut être considérée comme narcissique, s’autoidentifier HP peut également être une réponse, certes superficielle, à des souffrances qu’on peut vivre.

Est-ce que l’individualisme ambiant de notre société pousse les gens à se trouver une forme d’originalité, car tout le monde veut être spécial?
C'est vrai qu'être HPI peut être associé à quelque chose d'hors du commun. Mais je ne suis pas sûre que s'autoidentifier HP est une manière de devenir original aux yeux des autres. Vous en connaissez beaucoup vous des institutions qui valorisent l'originalité? En fait, je pense surtout que les personnes qui utilisent cette stratégie y ont trouvé une manière d'expliquer leurs difficultés à se sentir intégrées à l'école ou ailleurs. C'est d'ailleurs souvent ça qui est évoqué lorsqu'on parle des HPI. Pourtant, c'est beaucoup plus complexe que cela et les difficultés d'intégration peuvent être la conséquences de plein de choses.

Paradoxalement, tout le monde semble être tombé dans la tendance. Etre HPI est-il devenu la nouvelle norme?
Seuls 2,9% des gens sont HPI. Donc non, être HPI n'est pas la nouvelle norme. En revanche, comme je l'ai soulevé précédemment, pas mal de personnes s'autoidentifient en se basant sur des infos pas vraiment scientifiques. Il est là le souci. En plus d'une forme de tendance, j'y vois aussi une appropriation d'un concept jusqu'à en oublier son essence.

Notre société ne valorise-t-elle pas trop l’intelligence finalement?
Notre société impose la participation à un système qui se concentre sur les capacités d’apprentissage, c’est le système scolaire. Vouloir être HPI est peut-être une façon de répondre à la pression de la performance imposée par la société.


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