Peu après la sortie de la première saison d’«En Thérapie», adaptation française de la série israélienne «BeTipul», deux de mes amis se sont décidés à aller voir un psy. Une coïncidence, pourrait-on croire, et pourtant les deux ont directement invoqué le visionnage des épisodes de cette fiction qui se déroule intégralement dans le cabinet du Dr. Dayan pour expliquer leur déclic. Preuve que l’introspection de personnages mène tout droit, lorsque c’est bien fait, à celle de l’audience.
Or, psychanalystes et psychanalysés sont nombreux dans les séries. Certains parce qu’ils présentent des troubles graves, comme la schizophrénie paranoïaque du hacker Elliott dans «Mr. Robot». La plupart parce qu’ils sont, comme tout le monde, simplement à la recherche d’un moyen de vivre en paix avec eux-mêmes. Voici huit séries qui, en plaçant la caméra près d’un divan, vous donneront à cogiter et, peut-être, vous encourageront à sauter le pas.
«Les Soprano» (en VOD)
La mythique série HBO de David Chase s’attaque à une figure incontournable de tous les écrans: le mafieux. En l’occurrence, Tony Soprano, gangster du New Jersey, qui doit conjuguer sa vie familiale et «professionnelle». Seulement voilà, le grand et gros gaillard (incarné par l’impeccable et regretté James Gandolfini) souffre d’attaques de panique. Il se met alors à consulter une analyste, Jennifer Melfi.
Si «Les Soprano» reste aujourd’hui l’une des meilleures séries de tous les temps, c’est parce qu’elle s’attache à montrer le spleen du gangster plutôt qu’à suivre le chemin balisé de la fiction de mafia. David Chase s’est d’ailleurs inspiré de sa propre expérience tourmentée pour écrire le personnage de Tony.
Et ce qui fait de cette fiction une œuvre profonde et fine, c’est bien le double regard porté sur les aventures du protagoniste: d’abord celui, brut, immédiat, des actions au moment où elles se déroulent. Puis l’autre, apporté en séance de psychanalyse par cet antihéros dépressif et sa psy. L’APA, l’association des psychologues américains, a même décerné à Lorraine Bracco, la comédienne qui incarne Jennifer Melfi, le prix du «personnage de psychanalyste le plus crédible du cinéma et de la télévision».
«Homecoming» (Prime Video)
Dans cette série adaptée d’un podcast, la psy a le sourire de Julia Roberts et s’appelle Heidi Bergman. Elle travaille dans un centre de réinsertion d’anciens soldats, accompagnés pour retourner à la vie civile. Du moins, c’est ce dont Heidi, des années plus tard, se souvient lorsqu’un agent du ministère de la Défense américain vient lui poser quelques questions. Pourquoi donc a-t-elle si mauvaise mémoire?
Série mystérieuse et captivante, merveilleusement bien mise en scène, «Homecoming» s’articule autour de la relation nouée entre une psy et l’un de ses patients. En creux, elle questionne l’ampleur des stress post-traumatiques et la difficile conciliation de la vie privée et professionnelle.
«BeTipul» (et ses adaptations) (Arte, Canal+)
Impossible de ne pas citer «BeTipul», série israélienne qui a été adaptée dans des dizaines de pays du monde, et qui reste LA fiction de psychanalyse par excellence. Au départ, pourtant, son créateur Hagai Levi a proposé ce concept sous la contrainte. Parce que les productions israéliennes n’ont pas beaucoup de budget, il lui fallait trouver un moyen de raconter une histoire qui ne coûte pas cher. Quoi de mieux que de n’avoir qu’un seul décor, celui d’un cabinet de psychanalyse?
Le tour de force de «BeTipul» est justement d’arriver à dépeindre une société tout entière par le prisme de simples faces-à-faces entre le professionnel de santé et ses patients. La série est d’ailleurs si intimement liée à un pays que les personnages changent en fonction de l’adaptation. La version israélienne figure un soldat de Tsahal, tandis qu’il s’agit dans la version française «En Thérapie» d’un agent intervenu lors des attentats du Bataclan ou, dans celle américaine «En analyse», d’un vétéran de la guerre en Irak.
«Shrinking» (AppleTV+)
Et si, d’un coup, un psy sortait de sa réserve pour asséner absolument tout ce qui lui passe par la tête à ses patients? Voilà le point de départ de «Shrinking». En l’occurrence, c’est ce qui arrive à Jimmy (Jason Segel, le grand dadais Marshall dans «How I met your mother»), thérapeute lui-même frappé de plein fouet par un deuil. Il décide donc de sortir du cadre codifié de la consultation pour plutôt aller au parc manger une glace avec ses patients et tenter de les sortir de leur mal-être.
Sur le mode de la dramédie, qui alterne donc entre (sou) rires et larmes, «Shrinking» offre une psychanalyse du psychanalyste, peu à peu engagé dans sa propre reconstruction sous prétexte d’organiser celle des autres. La myriade de personnages volontiers drôles (une voisine trop curieuse) ou très touchants (la fille de Jimmy, qui se débat, elle aussi, avec l’absence) forme une galerie complète de caractères sincères. Le casting, composé de nouvelles têtes (Lukita Maxwell dans le rôle de la fille) et de vétérans (à commencer par Harrison Ford, qui joue le mentor de Jimmy) est la cerise sur ce gâteau un peu sucré, mais très réconfortant.
«Bir Baskadir» (Netflix)
La plateforme Netflix a permis à de nombreux pays, notamment la Corée, de faire connaître leurs séries. C’est aussi le cas de la Turquie qui, avec «Bir Baskadir», a livré l’une de ses meilleures fictions fin 2020. Cette fiction s’articule autour d’une jeune femme, Meryem, très religieuse, qui décide d’aller voir une psy lorsqu’elle subit soudainement des crises d’évanouissement. Laïque et bourgeoise, la médecin se tourne vers sa contrôleuse (la psy de la psy, en gros) pour tenter de contenir son rejet de la religion musulmane. Autour d’elles gravitent des hommes violents et des femmes blessées qui, mis bout à bout, permettent de dessiner la Turquie tout entière.
C’est bien en cela que «Bir Baskadir» est remarquable: arriver à parler de quasiment toutes les plaies d’une société (à l’exception notable, comme l’intégralité des productions turques, du sujet tabou du génocide arménien) en quelques épisodes et quelques protagonistes. Les fossés se creusent entre les classes pauvres et plus élevées, entre les croyants et les autres, mais aussi entre les genres. Bref, voilà une pépite sur laquelle se jeter lorsqu’on pense avoir déjà essoré le catalogue Netflix.
«The shrink next door» (AppleTV+)
L’avantage de la figure du psy, c’est qu’elle permet de s’aventurer dans des genres très divers. Du côté du drame comme de la comédie, on l’a vu, mais aussi du thriller presque horrifique. C’est le choix fait par «The shrink next door», adaptée d’un podcast lui-même tiré d’un fait divers. On y croise Marty, vendeur de tissu new-yorkais qui décide de consulter lorsque son travail devient difficile à gérer. Il rencontre alors Ike, psy très charismatique, qui l’encourage à se dépasser pour mieux réussir. Mais peu à peu, un glissement s’opère et, sous ses airs de reprise en main, la thérapie se mue en emprise étouffante.
«The Shrink next door» est un pied de nez aux injonctions à la renaissance et l’empowerment, qui prend un malin plaisir à disséquer la chute humiliante d’un homme candide sous le coup d’un pervers narcissique. La série doit beaucoup à son duo de comédien, aussi improbable sur le papier que talentueux. Will Ferrell sort de ses rôles comiques potaches pour incarner le patient en perdition. Et face à lui, Paul Rudd, plus habitué aux rôles de gentil ou de superhéros Marvel («Ant-man», c’est lui) se mue en personnage troublant, fascinant et terrifiant à la fois.
«Mad Men» (OCS)
De l’introspection, il y en a partout et tout le temps dans «Mad Men», portrait d’un homme déchiré entre son image publique et ses bouillonnements intérieurs. Et bien sûr, Don Draper, mâle alpha des années 1960 en Amérique, n’irait jamais chez le psy. C’est sa femme, Betty, qui s’y rend dès la première saison (et son médecin s’empresse d’ailleurs de raconter leurs sessions à son époux). C’est via ce personnage injustement décrié, pourtant fascinant, que s’expriment les angoisses de l’époque, pas si lointaines de celles plus contemporaines.
«Mad Men» est une grande série sur la difficulté d’être soi (Don Draper a littéralement emprunté l’identité de quelqu’un d’autre pour construire sa vie) et de trouver sa place dans le monde. La dernière scène du dernier épisode boucle parfaitement la boucle, avec une ultime tentative de trouver la paix intérieure.