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D'acteur télé à chef de guerre
Quand Zelensky faisait ses premiers pas de président… dans une série

Avant d’être élu à la tête de l’Ukraine en 2019, Volodymyr Zelensky avait incarné le président dans une série. Rediffusée par Arte, «Serviteur du peuple» permet de mieux saisir la (géo)politique complexe du pays et explique en partie la stratégie du chef de l’État.
Publié: 10.03.2022 à 16:47 heures
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Dernière mise à jour: 22.04.2022 à 14:56 heures
Avant d'être président dans la vraie vie, Volodymyr Zelensky en a incarné un sur le petit écran.
Photo: Getty Images
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Son nom, relativement méconnu jusque-là, est désormais associé à un visage tiré et des appels à l’aide à destination de la communauté internationale. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a été projeté sur le devant de la scène géopolitique depuis le début de l’offensive initiée par la Russie le 24 février dernier. Mais avant de devenir ce chef de guerre, ennemi numéro 1 de Moscou et star des réseaux sociaux, Zelensky avait déjà enfilé le costume de chef de l’État... dans une série, «Serviteur du peuple», dont la première saison, sortie en 2015, est rediffusée gratuitement par Arte.

Cette sitcom, qui offre évidemment des parallèles troublants avec l’actualité, est assez désuète mais intéressante à deux titres. D’abord parce qu’elle permet, sous couvert d’humour, d’appréhender un peu mieux la situation géopolitique de l’Ukraine. Ensuite parce qu’elle explique au moins en partie le positionnement et la communication de Volodymyr Zelensky lui-même, ancien humoriste et comédien qui avait remporté l’élection présidentielle ukrainienne en 2019 sans aucune expérience politique à son actif.

Un prof d’histoire propulsé président

Dans «Serviteur du peuple», Volodymyr Zelensky incarne Vassyly Goloborodko, humble professeur d’histoire qui, alors qu’il pousse un coup de gueule contre le personnel politique en place, son inutilité et sa propension à s’enrichir personnellement au lieu de s’occuper du petit peuple, est filmé à son insu par l’un de ses étudiants. La vidéo fait rapidement le tour des réseaux sociaux et connaît un succès considérable. Poussé par ses élèves et sans y croire lui-même, Goloborodko se présente aux élections, qu’il remporte à la surprise générale. À partir de là, il se retrouve plongé dans un univers aux antipodes de tout ce qu’a connu ce divorcé sans le sou, obligé de retourner vivre chez ses parents.

La série montre la démocratie imparfaite qu’était l’Ukraine après le mouvement Euromaïdan de 2014. Elle s’ouvre sur une discussion entre trois mystérieux personnages, en réalité des oligarques habitués à manipuler les élections et leurs vainqueurs, qui décident finalement, pour la première fois, de laisser les Ukrainiens décider. Ces derniers accordent donc leur confiance à Vassyly Goloborodko, sorte de «monsieur-Tout-le-monde» qui, lorsqu’il accède au pouvoir, découvre que tout ce qu’il dénonçait en tant que simple citoyen est vrai, et plus encore. Le système est gangrené par la corruption et l'inertie technocratique.

Oligarques, perroquet et menace russe

Dans une scène assez drôle du premier épisode, son principal conseiller lui présente une tripotée de départements différents. Lorsque Goloborodko émet l’idée qu’il faudrait peut-être réformer tout cela pour avoir un État plus efficace, on lui présente le dernier département… celui de la réforme! Pire encore, le nouveau président s’aperçoit que ses prédécesseurs ont dépensé sans compter l’argent public pour leur confort personnel et ce, même au beau milieu de la crise de 2008, prémisse de la terrible récession économique qu’a connue le pays à partir de 2013.

Regarder «Serviteur du peuple» en plein conflit russo-ukrainien est aussi un moyen d’appréhender le positionnement géopolitique compliqué de Kiev, coincé entre la Russie d’un côté et l’Ouest de l’autre. Les trois oligarques de la série se demandent en permanence si Goloborodko est «un homme de l’Ouest ou du Kremlin». Avant son investiture, l’ancien professeur d’histoire découvre la présence, dans le palais présidentiel, d’un perroquet appelé Ianoukovitch… du nom de l’ancien président ukrainien pro-russe, déchu en 2014.

Une série populiste...

Ses équipes lui ont créé une doublure, qui ira à sa place «boire des verres avec Loukachenko», le dictateur biélorusse, lui aussi vassal de Moscou. À l’inverse, elles l’encouragent à serrer «doucement» la main de la chancelière allemande Angela Merkel, car «le montant du prêt de la banque centrale en dépend». Et une scène de la série, rapidement popularisée sur les réseaux sociaux après l’offensive russe du 24 février, montre un coup de fil entre Goloborodko et Merkel pendant lequel la seconde lui annonce fièrement que sa candidature à l’entrée de l’Union européenne a été acceptée… avant de se rendre compte qu’elle l’a confondu avec le président du Monténégro.

«Serviteur du peuple» est une œuvre indéniablement populiste, qui tire à boulets rouges sur les élites et, à l’inverse, vante les mérites de la société civile. Si le propos est trop grossier pour faire une excellente série, il est en revanche assez éclairant sur la stratégie politique et de communication employée ensuite par Volodymyr Zelensky lui-même pour faire campagne et remporter la présidentielle ukrainienne.

…et prémonitoire

C’est le 31 décembre 2018 que la fiction a rejoint la réalité, lorsque l’acteur a annoncé sa candidature sur la chaîne de télévision 1+1, qui diffusait «Serviteur du peuple» en prime time. Dès ce moment-là, Zelensky s’est présenté comme celui qui «allait tout changer», exactement comme Vassyly Goloborodko cherche à le faire sur le petit écran. Alors que le feuilleton présente son personnage comme l’homme providentiel capable de sauver la démocratie ukrainienne par la seule force de son honnêteté, l’acteur-candidat en a utilisé des extraits pour faire sa promotion pendant sa campagne. Il a même renommé son parti «Serviteur du peuple». Au point que de houleux débats ont éclaté en Ukraine pour savoir s’il fallait ou non compter la troisième saison de la série, diffusée en mars 2019 dans le pays, comme un outil de propagande électorale.

Finalement, Zelensky a réussi à faire mieux que son alter-ego de fiction Goloborodko, en l’emportant avec plus de 73% des suffrages. Un score historique, encore renforcé par l’obtention de la majorité absolue au Parlement ukrainien. Mais il a ensuite essuyé de nombreuses critiques sur son impréparation et sa façon de faire de la politique, là encore très proche de celle de son personnage dans «Serviteur du peuple». Dans la série, Goloborodko décide dès le cinquième épisode de remplacer les 450 députés du Parlement par 70 de ses connaissances, toutes non-professionnelles de la politique. Dans la réalité, Zelensky aurait nommé une petite quarantaine de membres de sa famille et du studio Kvartal 95, qui produisait «Serviteur du peuple», à des postes stratégiques, selon le site d’investigation ukrainien Bihus.

Avec l’actualité dramatique, la communication de Zelensky a changé, bien sûr. Les petites vidéos sur les réseaux sociaux ont pris une tonalité bien plus grave et solennelle alors que le président a troqué le costume pour le treillis. Difficile, lorsqu’on a vu «Serviteur du peuple», de ne pas penser au discours d’investiture de Goloborodko, complètement improvisé. «En théorie, je suis censé vous faire toutes sortes de promesses. Mais je n’en ferai aucune. Ce serait injuste, surtout que je suis complètement perdu. Mais c’est temporaire. J’apprendrai.» Volodymyr Zelensky, lui aussi, a appris, dans les pires circonstances qui soient, à se muer en chef de guerre.

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