La pop de Suisse romande vit un renouveau féminin. Des chanteuses comme Stéphane, Mara et Laura Scaglia rejoignent Danitsa ou Maryne. Elles proposent une pop teintée de rap, de rock, d’électro ou de dancehall. Mais surtout, elles le font à leur façon: en sortant des cases.
«On observe l’émergence d’artistes féminines dont la présence médiatique est plus importante et qui s’emparent de genres musicaux neufs de manière décomplexée, affranchis des codes», se réjouit Geneviève Rossier, responsable de la Suisse romande pour l’association Helvetiarockt, qui œuvre à une meilleure représentation des femmes, en concert et dans l’industrie. Pour la spécialiste, la proportion reste encore «très problématique et limitée». Une pré-étude de l’Université de Bâle révélait en 2021 que la part d’artistes féminines de pop et de rock sur les scènes suisses s’élève seulement à 11%.
Aujourd’hui, plusieurs organismes du milieu musical romand sont dédiés aux femmes. Le festival Les Créatives, l’agence Inouïe ou encore Helvetiarockt visent à promouvoir l’égalité dans la musique. Selon Geneviève Rossier, ces chanteuses en vue peuvent servir de références pour les plus jeunes: «En exposant une grande diversité de modèles musicaux, elles permettent aux nouvelles artistes de s’identifier, de surmonter leurs doutes et de persévérer dans leur éventuelle carrière.»
Stéphane, relève de la chanson française
La Genevoise Stéphane a connu le succès en 2021 à 24 ans avec «Douleur je fuis». Ce titre aux 3,5 millions d’écoutes sur Spotify lui a permis de s’imposer sur les radios romandes et françaises, à l’instar de Virgin Radio ou RTL. Depuis, elle a accompagné Florent Pagny sur sa tournée francophone – interrompue par le chanteur en janvier pour raisons médicales – et vient de sortir «Green Dream», un single aux valeurs écologiques déjà écouté plus de 500'000 fois sur les plateformes.
«J’essaie d’avancer avec ma propre identité. Mes parents ont choisi de m’appeler Stéphane, et pour une femme, ce n’est pas commun. Au départ, je ne voulais pas que ce soit mon nom d’artiste. Je trouvais ça trop original. Puis j’ai rencontré des gens qui m’ont dit qu’il faisait ma personnalité. Comme toutes les personnes avec un prénom épicène, le côté ambigu était inévitable. Mais je suis allée au bout de la démarche. Cette ambiguïté fait partie de moi et de ma musique. J’aime bien jouer avec ma voix grave et rauque, qui a du grain, et partir d’un coup dans les aigus, dans une voix plutôt associée à la féminité. Avant tout, j’adore la pop, au sens de «populaire», celle qui touche le plus de monde possible.
Selon moi, il n’y a pas vraiment d’explication à cette tendance féminine en Suisse romande. Peut-être que c’est simplement ainsi aujourd’hui et qu’une grosse vague d’artistes masculins émergera l’année prochaine. Je sens que je fais partie d’un mouvement de la nouvelle scène française dans lequel on cite beaucoup de femmes. Dans les concerts, j’ai l’impression qu’il y a autant d’hommes que de femmes, mais c’est peut-être dû à mon manque d’expérience.»
Les prochaines étapes: un EP le 25 mars et un album en préparation pour cette année. En ce moment, Stéphane est engagée sur les premières parties des Français Vianney, Kyo et Cats on Trees. «Être sur scène, c’est ce que je préfère», lance-t-elle. Son but ultime: faire une tournée des Zénith avec son nom en haut de l’affiche.
Plus d'informations:
- Prochains concerts: 20 avril aux Étoiles (Paris); 13 mai au Chat noir (Carouge, GE)
- Instagram et Facebook
Mara, la féminité qui s’affirme
De son côté, la chanteuse et DJ genevoise Mara, elle-aussi auteure et compositrice, propose des créations musicales aux motifs hip-hop, teintés de sonorités dancehall. Ses textes parfois osés sont parsemés d’une «féminité et d’un féminisme affirmés». Fin 2021, sa formule «Magali… Magali qu’est-ce que tu fais?» devient virale sur TikTok et est reprise par la Belge Angèle. Elle est tirée du titre «Point Cue» (2019), dont le clip et celui de «Foufoune» comptabilisent tous deux autour d’un million de vues sur YouTube.
«Je ne pense pas rentrer dans une seule case. Ma musique est hybride. Elle parle autant aux gens qui aiment la dancehall qu’à ceux qui aiment la musique électronique et ses grosses basses. Je suis vraiment issue de cet univers de la fête. J’ai commencé comme DJ puis je me suis mise à écrire les chansons qui me manquaient. Quand je passais «Sex with me» de Rihanna, tout le monde chantait le refrain en anglais, même si les paroles sont osées. J’avais envie de retrouver cette vibe en français, toujours dans le but de faire kiffer les gens, qu’ils dansent et qu’ils chantent. Parfois, j’ai juste envie de faire des sons sexy et assumés comme tels.
Ma devise, c’est «Foulamerde». Ça veut dire : on s’en fout de ce que les gens pensent de nous, et on avance. L’idée, c’est de s’affranchir de toutes les pressions qui nous freinent au quotidien. Au départ, je n’avais pas de label, j'ai créé le mien. J’ai appris par l’expérience.
Je suis très optimiste concernant la place de la femme dans l'industrie musicale. Elle est en train de se dessiner, les codes sont redéfinis. De nombreux talents féminins émergent et je suis fière de faire partie de celles qui font bouger la scène romande. Ma musique, c’est la positive attitude. Elle plaît à tout le monde: aux hommes, aux femmes, à la communauté LGBTQ+. Elle invite à ne pas se mettre inconsciemment des barrières, à être soi-même et à oser sortir des sentiers battus.»
En février, Mara signait chez Sony Music France, son premier label. Elle vient de sortir le single «JTK» et mixe tous les mardis à 21h sur la radio française Mouv’.
Plus d'informations:
- Prochain concert: 12 mars à La Gravière (GE) et vendredi 22 juillet à Paléo
- Site Internet
- Instagram et TikTok
Laura Scaglia, le choix du cinéma
Plus confidentielle, la Lausanno-Italienne Laura Scaglia a choisi la voie cinématographique. La chanteuse pop-rock de 30 ans s’est lancée après des études et des expériences en management. Son projet du moment: «The Calling», un album visuel constitué de cinq chansons hétéroclites. Du français, de l’anglais, de la pop, du rock ou encore de l’électro, les clips forment 15 minutes d’un véritable court-métrage, mis en images par Mei Fa Tan, réalisatrice vaudoise réputée dans ce domaine.
«J’ai commencé à faire de la musique professionnellement relativement tard, à 26 ans. L’industrie de la musique préfère quand les artistes sont plus jeunes, en particulier les femmes. Elles peuvent être modelées pour correspondre à un genre musical ou à une image précise. En tant qu’indépendante, j’essaie de garder la main sur ce qui m’arrive. Cela étonne toujours mes amis musiciens de me voir apprécier faire de l’administratif, mais cela fait partie du métier.
Il est certain que les artistes femmes subissent encore largement les diktats de l’apparence et de la beauté. J'ai l'impression qu'on façonne beaucoup moins les artistes masculins. Aussi, j’ai souvent été frustrée de voir que dans ce milieu, tout était fait selon des rouages établis. On fait un EP, entre trois et six titres, et un seul single: clip, promo… tout tourne autour de ce titre et le reste de l'œuvre importe peu. Personnellement, j’aime bouleverser les codes. Surtout quand on me dit: «C’est comme ça !»
Pour «The Calling», j’ai cherché plusieurs manières de me démarquer. J’ai mis l’accent sur le visuel, mais j'ai aussi voulu transmettre un message fort en abordant des thématiques profondes et sensibles. Et en plus de cela, j'ai fait en sorte que chacun des morceaux représente un genre musical différent (rires). C’était un sacré challenge qui m’a pris environ deux ans. En ce sens, ce n’est pas très rentable, mais j’en suis fière. Sa qualité est reconnue et témoigne de mon endurance.»
Plus d'informations:
- Prochains concerts: 12 mars au Théâtre Barnabé (Servion, VD) ; 25-26 mars au Funky Claude's Bar (Montreux, VD)
- Site Internet
(En collaboration avec Large Network)