Prix de la durabilité à Genève
Non, récompenser une appli de revente de vêtements n'est pas écolo

Ce 18 octobre, Genève a remis la bourse de son concours cantonal du développement durable. C'est une appli de revente de vêtements qui a finalement empoché les 30'000 francs. Pour notre journaliste Daniella Gorbunova, c'est injustifié. Inquiétant, même. Commentaire.
Publié: 21.10.2022 à 10:59 heures
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Dernière mise à jour: 21.10.2022 à 11:34 heures
La tendance de la fripe alimente notre désir de surconsommer: depuis son avènement, les ventes de vêtements et de chaussures neufs n'ont pas baissé, au contraire.
Photo: Shutterstock
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

J’aime bien les fripes. J’aime aussi l’idée de ne pas mourir — ou laisser mourir ma descendance — dans d'atroces souffrances à cause du réchauffement climatique. De prime abord, lutter contre la fast fashion devrait faire baisser la température. A comprendre le résultat du 21e concours cantonal du développement durable de Genève, en tout cas…

Cette année, le grand lauréat est… Bli Bli Dressing, un projet d’application mobile pour le commerce de vêtements d’occasion. A la clé: 30’000 francs. Pour le Département du territoire du ministre vert Antonio Hodgers, le projet a mérité l’ultime distinction. A l’heure où «la fast fashion est la deuxième industrie la plus polluante au monde», l’application œuvre pour «limiter le gaspillage et rendre les vêtements de seconde main plus accessibles», célèbre le communiqué du mardi 18 octobre.

Premier problème: non, il ne s’agit probablement pas de la deuxième industrie la plus polluante de la planète (malgré le manque de consensus général sur ce «classement» des pollueurs), comme en attestent plusieurs organisations non gouvernementales et médias. En fait, le textile arrive derrière le secteur énergétique, celui des transports ou de l’agroalimentaire, par exemple.

De la poudre de perlimpinpin

Autre problème dans l’attribution de ce prix: entre le trend du vintage, dont ma génération ne s’est pas encore remise, les milliers de groupes Facebook «vide dressing», les dizaines de friperies qui poussent comme des champignons dans les rues romandes, les stands de vêtements de seconde main présents deux fois par semaine sur les marchés, le business de l’occasion bénéficie déjà d’une immense visibilité. N’y a-t-il pas d’autres projets — réellement innovants et utiles — qui mériteraient une place sous les projecteurs (LED)?

J’ai un exemple: lors de ce même concours, l’entreprise Eldora SA a empoché 10’000 francs seulement pour le lancement de son système «Green Incentive». Son objectif: favoriser l’alimentation durable dans les restaurants collectifs.

Navrée, mais flatter le mérite écologique et la durabilité de la fripe au détriment de secteurs comme l’énergie ou l’alimentaire, c’est se tromper de combat. C’est du vent. De la poudre de perlimpinpin, j’ose même dire.

Des consciences lavées au greenwashing

Comme nous l’expliquions dans un article consacré au sujet, le vrai problème de l’industrie textile, c’est la surconsommation. La surconsommation de haillons y compris. Davantage de friperies n’est donc pas égal à moins de H&M.

Au contraire: cela alimente notre désir de surconsommer, puisque nous avons l'impression de le faire de manière éthique. Les fringues d'occasion, ça donne bonne conscience. Et à prix cassés, en prime. Sauf que, depuis l’avènement de la fripe, les ventes de vêtements et de chaussures neufs n’ont pas baissé. Mais augmenté exponentiellement.

Récompenser une application mobile de revente d’habits pour lutter contre le réchauffement climatique, c’est comme écoper un navire qui coule avec une petite cuillère: pénible et inutile. J’aime bien les fripes. Mais je les préfère sans l’emballage greenwashé.

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