La bêtise est une tradition fermement établie au sein du Département vaudois de l’enseignement et de la formation. Elle remonte au moins au ministère de madame Anne-Catherine Lyon (PS), et se prolonge naturellement sous celui de monsieur Frédéric Borloz (PLR). La semaine dernière, ce dernier a décidé, à l’approche des votations fédérales, d’interdire purement et simplement les débats politiques au sein des établissements publics vaudois.
On imagine avec gourmandise la délibération: son excellence, vêtu d’une toge et de lauriers, fumant avec volupté un cigare, à demi-assommé par le chasselas d’Aigle – une cour équivoque, composée de lobbyistes du Centre Patronal et de fonctionnaires à lunettes rondes, possédés de pédagogie et d’humanisme – une dissertation filandreuse, ponctuée de renvois, sur les périls des débats en classe, sur la menace que constituent la politique pour la santé des adolescents (avec la méthamphétamine et le jeu du foulard) et ces gauchistes qui chantent l’Internationale et mangent notre pain, et ces Socrate de PMU qui corrompent la jeunesse.
On imagine les rires, la fumée, les cris et cette interdiction finale, inédite, scandaleuse. On imagine la satisfaction du ministre et de ses sbires: nous cacherons cette politique que l’on ne saurait voir. L’heure est à la politique pure, c’est-à-dire aux grands principes, à l’éloge de nos institutions, aux chimères, etc.
Les jeunes seraient des imbéciles
Ce dédain de la politique, qui est en même temps une crainte, s’origine dans un double préjugé. Premièrement, les jeunes seraient des imbéciles congénitaux, crédules, manipulables. Et ravagés par les idées gauchistes. Car les jeunes sont forcément de gauche, puisqu’ils ont les cheveux bleus et portent des vêtements moches.
Et peu importe les études qui montrent que, hélas, les enfants votent massivement comme leurs parents – peu importe la couleur de leurs cheveux. Peu importe les élections qui, dans toute l’Europe, montrent que les jeunes, hélas, votent au moins autant à l’extrême droite qu’à gauche. Cela ne compte pas! Ils sont jeunes et, pour les bons bourgeois du PLR vaudois, un jeune est toujours un gauchiste en puissance, que le service militaire et le travail sauront discipliner.
Qui sont ces professeurs?
Deuxièmement, les gymnases vaudois seraient des bastions du marxisme-léninisme, les professeurs n’ayant rien de plus pressant à faire que d’endoctriner leurs étudiants. La doctrine bourgeoise n’est pas claire avec elle-même: les profs sont-ils des syndicalistes crasseux à la moustache stalinienne, jaunissante, fumant des gauloises sans filtre en attendant la révolution? Ou sont-ils passés dans le camp anglo-saxon, néo-protestant, changeant de genre et de prénom à l’envie, donnant leur classe de mathématiques juchés sur les talons d’imposantes bottes en vinyles?
Les conseillers du ministre n’ont pas réussi à tirer cela au clair, il faudra faire une enquête approfondie, peut-être suspendre préventivement des professeurs, mettre sur pied une police pédagogique, etc.
Tant pis pour les débats!
Mais, plus fondamentalement, une telle mesure est l’aveu que ce n’est pas telle ou telle tendance qui fait peur, mais bien la politique elle-même. Or, monsieur Borloz et son parti – qui ne l’a pas désavoué – ne font pas de politique, à proprement parler. Ils administrent les affaires courantes. Ils sont, selon la belle expression d’Alain Badiou, les «fondés de pouvoir du capital».
Dès lors que surgit la possibilité d’une parole politique, ils s’empressent d’enfoncer leur matraque dans la bouche séditieuse de celui qui pourrait la prononcer. Tant pis pour les débats! C’est rassurant, de faire peur à monsieur Borloz. C’est une preuve de santé.