La chronique de Myret Zaki
Ronaldo vs. Coca-Cola: le match d'influence

Le 14 juin 2021, Ronaldo a écarté les bouteilles de Coca-Cola posées devant lui pour demander de l'eau. La sortie virale du footballeur va redéfinir en profondeur les méthodes de sponsoring. Même l’approche moins engagée d’un Roger Federer se trouve désormais contestée.
Publié: 21.06.2021 à 16:21 heures
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Dernière mise à jour: 21.06.2021 à 16:56 heures
Myret Zaki

D’un côté, Cristiano Ronaldo, footballeur le plus coté de son temps, aux plus de 500 millions d’abonnés sur les réseaux sociaux, cinq fois Ballon d’or. De l’autre, Coca-Cola, sponsor de l’Euro 2021 à hauteur de quelque 30 millions de dollars américains, marque la plus puissante de son temps. En quelques mots – «De l’eau, pas du Coca-Cola» – accompagnés du retrait des bouteilles pendant sa conférence de presse, Ronaldo a mis à terre la stratégie marketing d’un des plus gros sponsors. L’action de Coca-Cola a perdu 3,5% en bourse depuis.

Évolution du cours de l'action de Coca-Cola après le geste de Cristiano Ronaldo.
Photo: Myret Zaki

Le lendemain, Ronaldo marque 2 des 3 buts victorieux du Portugal contre la Hongrie, signalant qu’il est au faîte de sa puissance en devenant le joueur qui a marqué le plus de buts dans l’histoire du championnat européen. Mais surtout, la sortie de Ronaldo – devenue virale – est en train de redéfinir la notion de sponsoring.

Que fait-on si une marque capitalise sur l’image et l’audience d’un joueur vedette, mais que celui-ci refuse de jouer le jeu, alors que la marque a payé la Fédération plusieurs dizaines de millions? Sanctionner le joueur est trop risqué, car cela ne ferait qu’enfler la polémique en défaveur de Coca-Cola. D’autant que la prise de position de Ronaldo a été saluée par des internautes sur Twitter qui l’ont qualifié de «héros» pour avoir osé s’exprimer, distinguant les «influenceurs fictifs» (qui font de la pub) des «influenceurs réels» (qui expriment des convictions).

Les internautes ironisent sur le geste de Cristiano Ronaldo en distinguant les «influenceurs fictifs» (qui font de la pub) des «influenceurs réels» (qui expriment des convictions).
Photo: Myret Zaki
Cet internaute joue sur les mots entre «Coca-Cola» et «cocaïne».
Photo: Myret Zaki

L’action menée par le joueur hors du terrain en a inspiré d’autres, et pas les moins populaires: il a été suivi par le milieu de terrain italien en pleine ascension Manuel Locatelli avec un geste identique, tandis que le champion du monde français Paul Pogba a retiré les bouteilles de Heineken, un autre sponsor qui avait aligné autant de sous que la marque de soda.

On assiste donc à l’émergence d’influenceurs et de prescripteurs qui, sans être payés pour cela, véhiculent leurs convictions personnelles, sans prévenir, venant troubler le jeu publicitaire classique et bien rodé… et avec lui tous les contrats sous-jacents qui doivent être honorés par la Fédération.

Cette ligne plus engagée gagne du terrain à l’heure actuelle. La numéro deux mondiale de tennis Naomi Osaka s’est retirée de Roland-Garros puis de Wimbledon pour privilégier sa santé après avoir refusé les conférences de presse. Il s’agit tout de même de l’athlète féminine la mieux payée du monde. Connue pour ses prises de position contre le racisme et en faveur de la santé mentale, elle a trié ses sponsors sur le volet et, sans surprise, elle est très suivie sur les réseaux sociaux non seulement pour son jeu mais aussi pour ses idées.

On se souvient aussi de la championne du monde de football Megan Rapinoé, militante LGBT aux États-Unis, et de son refus de se rendre à la Maison Blanche alors occupée par Trump. On a aussi vu l’annonce du genou à terre de l’équipe de foot française, qui voulait protester contre le racisme et les violences policières contre les minorités, inspirée par le mouvement lancé depuis 2016 par le footballeur américain Colin Kaepernick.

Des convictions qui, à n’en pas douter, causent des sueurs froides aux sponsors et aux fédérations, pour lesquels il est difficile d’entamer un bras de fer frontal avec ces puissantes figures du sport. Certaines convictions peuvent être critiquées ou débattues, comme le genou à terre a pu l’être en France, sous prétexte que cette posture est importée des États-Unis et n’aurait rien à faire dans l’Hexagone. Ou l’aigle bicéphale pro-albanais mimé par Shaqiri en plein match pour la sélection suisse en 2018, qui lui avait fait frôler la suspension par la FIFA. D’autres convictions, comme les dégâts des sodas ou de l’alcool sur la santé et la nécessité pour les sportifs (et le reste du monde) de privilégier l’eau, sont plus difficiles à contrer ou à disqualifier. Et leur influence est énorme. Des postures qui n’arrangent vraiment pas les affaires des sponsors, qui préféreraient de loin des athlètes neutres, lisses et business-compatibles.

L’inverse de Federer

Alors que ces superstars du sport émettent des messages personnels, le contraste est intéressant avec notre champion de tennis national Roger Federer qui fait tout l’inverse. Il cumule une quinzaine de mandats publicitaires sans trop d’états d’âme, incarnant une approche plus traditionnelle qui consiste à se prêter au jeu publicitaire sans jugement aucun.

Or il devient difficile de se contenter d’empocher les dividendes publicitaires par les temps qui courent: l’icône suisse aussi se voit rattrapée par les controverses qui touchent ses sponsors. Roger Federer a notamment dû calmer les militants pro-climat début 2020 suite à leur critique contre son sponsor Crédit Suisse (qui lui verse 4 millions par an), en s’engageant à «dialoguer» avec la banque. Ainsi, lorsqu’un sportif ne s’engage pas naturellement, des militants peuvent désormais l’inciter à le faire. La star mondiale du tennis touche en outre 5 millions de dollars américains par an de Mercedes, et 6 millions de dollars de NetJets (jets privés), deux contrats encore moins climato-compatibles, tandis que Public Eye avait critiqué son contrat avec Uniqlo, sans compter la controverse autour de sa promotion de la 5G pour Sunrise.

Alors qu’auparavant le risque perçu était du côté du sponsor de voir un athlète se comporter de manière inadéquate, le risque a changé de camp: les athlètes doivent réfléchir à deux fois avant d’accepter un sponsor. Le sponsoring doit donc se redéfinir dans un contexte où le rapport de forces se modifie dans les sports à forte audience et où les contrats ne suffisent plus à garantir que tout va se dérouler comme prévu. Un athlète du niveau de Ronaldo est un média à lui tout seul. Il peut se permettre de faire prévaloir ses valeurs propres, si elles ne correspondent pas à celles des partenaires financiers.

C’est à leur lien direct avec les fans sur les réseaux sociaux que les athlètes doivent cette puissance nouvellement acquise face aux instances du sport et à leurs partenaires financiers. Cette génération d’athlètes-penseurs qui forme l’élite sportive mondiale mène donc les stratèges de marketing à se casser la tête pour trouver d’autres combines que celle de poser des bouteilles sous le nez d’athlètes qui se contentent de faire du sport. Cela tombe bien, la créativité des marketeurs est sans limites. Et l’influence des sportifs peut aussi mener à des réflexions, chez les sponsors, qui auront des conséquences positives pour la société.

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