Sexe. Chatte. Couille. C’est bon, j’ai votre attention? Parfait, on va pouvoir bosser. Bosser à raconter le plaisir charnel. Le contact de la peau. Le frisson de l’orgasme. Tout ça, en parallèle d’une situation de handicap qui fait frémir. Pour d’autres raisons. Dans l’euphorie libidineuse du week-end de la Saint-Valentin, ici, dans l’intimité de mon salon tamisé, on a questionné l’Amour. Sa rencontre, pas toujours simple, avec le handicap, sa définition altérée par les différents paramètres et les solutions, aussi.
Alors, oui, l’amour, platonique, c’est rigolo deux minutes. Papillons, Roméo et Juliette, Montaigu contre Capulet, câlin câlin, tout ça tout ça. Mais, arrêtons de nous mentir: avec ou sans amour d’ailleurs, la bagatelle, le plaisir de la chair, le cul font partie de l’équation du plaisir. Pour (presque) toutes et (presque) tous. Si bien que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) reconnaît, depuis 2002, la pratique comme un droit humain en matière de bien-être.
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«C’est un peu comme une pute, mais pour handicapés»
À bas les euphémismes: c’est comment qu’on baise, quand on est en situation de handicap, que le moindre effort physique essouffle, que les membres sont paralysés, que la déficience intellectuelle empêche de comprendre les limites?
Depuis mon adolescence, on m’a toujours parlé de l’assistance sexuelle, avec un dévergondage questionnant. On me l’a toujours présentée comme une sorte de service de prostitution spécialisé qui propose, aux personnes en situation de handicap, d’accéder à la sensualité, à leurs envies, douces ou brutales, à une rencontre intime. Pas forcément du coït.
J’ai beau me positionner dans le probable «cœur de cible» de cette assistance, sans trop savoir pourquoi, je n’ai jamais trouvé cette perspective très excitante. «C’est un peu comme une pute, mais pour handicapés», m’insurgeais-je, ado’, la voix, grave, encore trahie par des aigus récalcitrants. J’en étais – et j’en suis toujours – convaincu: l’assistance sexuelle est une possibilité.
Toutefois, elle n’est pas unique et absolue. Une seule chose a changé, aujourd’hui, dans ma nouvelle grammaire postpubertaire: si recourir à un service de prostitution, spécialisé ou non, est un moyen de désamorcer une frustration, où est le problème?
Avec des mots constamment bien pesés, Pierre Pantillon, qui, selon ses propres termes, «organise les prestations d’assistance sexuelle en Suisse romande et en France voisine», contrarie l’idée: «Nous ne sommes pas là pour empêcher la frustration, car, peu importe la personne, celle-ci fait partie de la vie. Notre but est avant tout de débloquer des situations de privation, qui peuvent être logistiques et biologiques. Ce n’est pas forcément une assistante qui se rend chez un bénéficiaire pour lui donner une fellation ou un moment de plaisir. Cela peut être déjà aider un couple, où les deux personnes sont en situation de dépendance physique, à se positionner pour une pénétration. Ou apprendre à quelqu’un à découvrir son corps.»
Pierre Pantillon travaille pour Corps-Solidaires. Depuis 2009, l’association genevoise est la seule en Romandie à proposer des prestations d’assistance sexuelle, dont le spectre est large, pour des personnes en situation de handicap. Peu importe celle-ci, l’orientation sexuelle, l’âge, le genre ou le lieu d’habitation – ce peut être en EMS, pour une personne âgée –, il est possible pour le collectif d’intervenir. Pour un seul individu, un couple, un binôme, ou plus. Seuls les praticiennes et praticiens engagés, et spécialement formés à cette activité singulière, poseront leurs limites, directement avec les bénéficiaires – dont 95% étaient des hommes en 2021, du côté de Corps-Solidaires.
Pas une solution absolue
Un de ces bénéficiaires, d’ailleurs, a décidé de poser ces limites. «L’assistance sexuelle, j’ai pu en jouir, mais ça fait quelques années que je ne fais plus appel à ce service, regrette Julien-Clément Waeber, ancien membre de l’association disparue SExualité et Handicaps Pluriels (SEHP). Je trouve qu’on réduit très souvent la sexualité et le handicap à cette pratique uniquement. Cela a pour conséquence de réduire le développement de projets qui permettraient aux personnes en situation de handicap de vivre leur vie affective et leur sexualité comme elles le voudraient.»
Du côté de Corps-Solidaires, on confirme que l’assistance proposée n’est pas une norme. Elle est un moyen d’aider à répondre, sans subvention étatique et sans obligation, au droit à la sexualité émis par l’OMS. «Même si l’idéal, bien que très utopique, c’est de ne plus avoir de raison d’exister», complète Pierre Pantillon. Aujourd’hui, Julien-Clément Waeber, polyamoureux, vit sa sexualité «normalement», au travers d’applications de rencontres ou de forums. Tout en reconnaissant que ce n’est pas constamment chose aisée de trouver des partenaires, «notamment des femmes».
Des tarifs «militants et sociaux»
Reste la dure question du coût. Car, comme tout service de prostitution, l’assistance sexuelle n’est pas gratuite. Dans le fonctionnement de l’organisme spécialisé, la rétribution reçue ne doit servir qu’à établir un échange paritaire entre les personnes concernées, afin d’éviter une prise de pouvoir de l’une sur l’autre. Bien que flous, selon les informations obtenues par Blick, les tarifs varieraient entre 150 et 400 francs la prestation. Sur le terrain, on confirme cette information. Pour Caramela*, assistante sexuelle indépendante dans la région de Neuchâtel: «Je n’ai jamais voulu me faire de l’argent en faisant de l’assistance. Je veux avant tout permettre à des personnes avec handicap d’accéder à leurs droits. La sexualité en fait partie. Et c’est aussi humain que corporel. Je me place toujours dans le dialogue avec mes clients. Mes tarifs ne dépassent pas les 300 francs de l’heure.»
En parallèle de cela, Corps-Solidaires précise que, pour toute assistante et tout assistant, la pratique, qui se doit d’être avant tout «militante et sociale», ne doit en aucun cas devenir une source de revenus principale. «Je pense qu’il faut surtout revoir notre définition et notre représentation de ce qu’est la prostitution, observe la travailleuse du sexe neuchâteloise. L’assistance sexuelle ferait beaucoup de bien à beaucoup de gens, même sans handicap.»
Aujourd’hui encore, l’assistance sexuelle me questionne régulièrement. Il est fort probable que celle-ci me mette profondément mal à l’aise. Elle me pousse dans mes retranchements. Les plus profonds. Me renvoyant frontalement aux limites imposées par mon handicap. La peur et le dégoût que celui-ci peut susciter dans la séduction et la sexualité. Sans handicap, loin de tout ça, ferais-je corps avec une personne comme moi? Si limitée physiquement. À l’instant où j’écris ces lignes, cette question demeure sans réponse arrêtée. Peut-être n’en trouvera-t-elle jamais (?). Certes, l’assistance sexuelle, je n’en ai encore jamais usé, alors engagé dans une relation où ma moitié est considérée comme «valide». Oui, ça, vous le savez déjà. Mais qu’en sera-t-il demain?
*Nom connu de la rédaction