Commentaire par Richard Werly
Très bonne nouvelle: l'Inde de Modi reste une démocratie vivante

Le Premier ministre Narendra Modi a multiplié ces dernières années les dérives autoritaires et racistes. Sa victoire de justesse aux législatives montre que la société indienne est lucide et démocratique. Il faut s'en féliciter.
Publié: 05.06.2024 à 14:59 heures
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Dernière mise à jour: 05.06.2024 à 20:13 heures
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Le Premier ministre indien sortant, Narendra Modi, n'aura pas de majorité absolue au Parlement. Mais il est reconduit pour un troisième mandat à la tête de son parti nationaliste BJP.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Narendra Modi n’est pas un Dieu hindou réincarné, comme certains candidats de son Bharatiya Janata Party (BJP) ont parfois tenté de le faire croire lors des élections législatives Indiennes qui viennent de s’achever à l’issue de six semaines de scrutin.

La preuve: le Premier ministre sortant remporte, avec 54,2% des suffrages, une majorité de sièges au Parlement (240 sièges contre 303 en 2019, ce qui entraîne la perte d’une majorité absolue), bien plus étroite que celle qu’il avait anticipée. Il devra donc composer à l’avenir avec plusieurs partis régionaux, tandis que l’historique parti du Congrès, principale force d’opposition, redresse la tête avec 40% des suffrages dans cet immense pays où 642 millions d’électeurs ont voté, soit un record.

L’habitude, ces temps-ci, est de constater avec effarement la montée des tentations autoritaires et des régimes «illibéraux» qui conjuguent élections parlementaires et exercice sans partage du pouvoir exécutif. Narendra Modi, 73 ans, Premier ministre depuis 2014, tend incontestablement vers ce modèle.

Nationaliste hindou, sa conception de l’État est au service de la suprématie d’une religion, au détriment des 175 millions de musulmans (soit 15% de la population), des 70 millions de chrétiens. Une gifle adressée à tous ceux pour qui la République indienne doit être au-dessus des cultes, des races et des castes, indissociables de l’hindouisme.

Contre-pouvoir démocratique

Or voilà que les urnes, dans cet immense pays de 1,4 milliard d’habitants, ont joué à plein leur rôle de contre-pouvoir. L’Inde ne peut bien sûr pas se réduire à son gouvernement central. Chaque État dispose de larges compétences. De grandes dynasties familiales dominent son paysage économique.

Son antagonisme avec le Pakistan voisin, autre État nucléaire, est un élément central de sa vie politique. Et pourtant: dans ce qui ressemble, vu de l’extérieur, à un immense bazar démocratique, une volonté de compromis est sortie de ces législatives. En soi, ce seul résultat est déjà énorme.

Charisme et efficacité

Il est clair que Modi, ce chef de gouvernement dont la popularité découle de son charisme, de l'intense propagande gouvernementale, de quelques projets d'infrastructures trés visibles et de l'attraction qu'il exerce auprès des investisseurs étrangers, sort à nouveau vainqueur de ce scrutin. Homme fort du sous-continent avant ces législatives, il le reste après celles-ci.

Il est tout aussi clair que ses politiques discriminatoires envers les musulmans ne vont pas cesser, que sa politique économique libérale divise le pays, et que toute comparaison simpliste entre la démocratie indienne et nos démocraties européennes doit être écartée. On ne peut pas diriger un pays aussi grand, aussi divers, aussi inégalitaire et en pleine transformation économique que l’Inde comme nos États occidentaux.

Se réjouir du résultat

Il y a toutefois trop peu de bonnes nouvelles dans ce monde instable, où beaucoup veulent faire régner sans partage la loi du plus fort et rêvent d’annexer leurs voisins, pour ne pas se réjouir de ce qui vient de se passer en Inde. Narendra Modi doit faire face à une classe moyenne ouverte sur le monde, demandeuse de libertés, et lucide sur ses dérives, quelle que soit sa religion. C’est cette réalité nuancée que révèle ce scrutin.

Quelle leçon pour nous? D’abord rester attentif et accorder à ce géant indien l’importance géopolitique qu’il réclame et mérite. Ensuite, continuer à parler, à négocier et à échanger avec le gouvernement de New Delhi sur tous les sujets, y compris celui qui fâche, à savoir ses relations avec la Russie. Avec comme principal agenda: le respect mutuel, l’acceptation de nos différences et la défense de ce mot que des centaines de millions d’Indiens viennent de conjuguer au présent dans toutes les langues de ce pays-continent: la démocratie.

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