Démocrates, prenez garde: une victoire électorale ne suffit plus pour gouverner un pays coupé en deux. Ce que l’élection présidentielle américaine du 3 novembre 2020 avait clairement montré vient, dimanche dernier, de se confirmer à nouveau au Brésil. Idem en Israël, où deux blocs politiques antagonistes s’opposent, et où le retour annoncé au pouvoir de Benjamin Netanyahou prend l’allure d’une grenade dégoupillée.
Chauffés à blanc, les électeurs de chaque camp – Trump/Biden, Lula/Bolsonaro, Netanyahou/Lapid – estiment n’avoir (presque) plus rien en commun sous le drapeau national, brandi avec force de part et d’autre. Bâtir des coalitions durables, dans un pareil terrain politique miné, est quasi impossible.
La disparition du fait majoritaire
Le problème n’est pas qu’une majorité l’emporte sur une minorité. En démocratie, telle a toujours été la règle, aussi injuste soit-elle parfois, tant les circonstances, le caractère des candidats et la nature des enjeux peuvent influer sur un scrutin. Le problème vient, au contraire, de la disparition (et la contestation) du fait majoritaire.
Le référendum sur le Brexit du 23 juin 2016, au Royaume-Uni, a ainsi montré combien le camp du «Leave», victorieux au cœur de la nuit par 51,89% contre 48,11%, s’est retrouvé ensuite paralysé, incapable d’accoucher d’indispensables compromis nationaux, sur un sujet aussi important que la négociation du divorce avec l’Union européenne. Trop peu d’écart de voix. Un trop grand écart entre les positions défendues par les vainqueurs et les vaincus. Une incapacité des Brexiteurs à tirer les leçons de leur victoire étroite. Le fossé électoral est devenu précipice démocratique.
Trump, maître du chaos
Le maître du chaos, en la matière, n’est autre que Donald Trump. En contestant par avance le résultat de la présidentielle de 2020 (51,31% des voix et 306 grands électeurs pour Joe Biden), l’ex-président américain a renversé la table que plus personne ne réussit aujourd’hui à remettre d’aplomb.
En vétéran des «deals» truqués, l’ex-promoteur new-yorkais a forgé sur les plateaux de téléréalité une méthode en trois actes. Acte 1: diaboliser l’adversaire et transformer tout débat en arène. Acte 2: créer les conditions, avec un tsunami de «fake news» à l’appui, pour que le doute électoral devienne crédible pour une partie importante de la population. Acte 3: s’en prendre aux institutions garantes de bon déroulement du scrutin en les accusant de pactiser avec son opposant.
Discréditer et déstabiliser pour mieux dénoncer: rien de très nouveau. Mais avec les réseaux sociaux comme caisse de résonance et des commandos de sympathisants fanatisés prêts à agir sur le terrain (comme l’a prouvé l’assaut du 6 janvier 2021 sur le Capitole, à Washington), cette arme politique de destruction massive se révèle presque imparable.
Incubateurs de colères et de ressentiments
Des pays fracturés peuvent être réparés. Des pays profondément divisés en deux, où des parties à peu près équivalentes de la population électorale se vouent aux gémonies, au Parlement comme dans les rues, sont des incubateurs de colère et de ressentiments très peu propices à un retour du calme démocratique. La France, où le camp présidentiel se retrouve de plus en plus confronté à un front uni des radicalités de droite et de gauche, est à l’entrée de ce tunnel.
L’expérience du retour de Lula au pouvoir au Brésil, à partir du 1er janvier 2023, sera donc un baromètre à suivre de très près pour notre avenir démocratique. Surtout si la température sociale et politique, malgré le résultat des urnes, transforme cet immense pays en chaudron ingouvernable.