Les rapports sur le manque de neige dans les montagnes suisses se multiplient. Même la presse britannique s'en inquiète: «Le manque de neige menace les Alpes d'un hiver humide», titrait la BBC dans un article publié cette semaine.
En dessous de 2000 mètres, il n'y a actuellement presque pas de neige dans les montagnes suisses, et quand c'est le cas, seulement de la neige artificielle. Le mythe de la Suisse est ainsi ébranlé. Une Suisse sans neige est comme le Père Noël sans son manteau rouge et blanc: la magie disparaît.
La cause est facile à identifier: la température de cet hiver est nettement plus élevée que celle observée durant les dernières décennies. Ce n'est pas un simple hasard, puisque cela correspond à l'augmentation à long terme de la température en Suisse, qui s'observe à toutes les saisons.
Un changement irréversible
Depuis l'époque préindustrielle (la deuxième moitié du XIXe siècle), la température en Suisse a augmenté en moyenne de 2,4 degrés celsius. C'est plus de deux fois le réchauffement global de la planète, qui s'élève actuellement à 1,1°C. Si notre pays est particulièrement touché, c'est parce qu'il est particulièrement exposé: les surfaces terrestres se réchauffent davantage en moyenne, tout comme l'Europe centrale.
Ces hausses de température sont principalement dues à la combustion d'énergies fossiles, à savoir le pétrole, le gaz et le charbon. Une évolution qui s'aggrave au fil des décennies, à mesure que les émissions humaines continuent à augmenter et à s'accumuler dans l'atmosphère.
Ce «changement» climatique est en grande partie irréversible: l'excédent de CO2 émis reste dans l'atmosphère pendant des centaines, voire des milliers d'années. Si les émissions disparaissaient immédiatement, les montagnes ne se couvriraient pas soudainement de neige, et nos glaciers ne seraient pas sauvés pour autant. Les conditions actuelles resteraient similaires pendant des centaines, voire des milliers d'années.
Pire encore: année après année, les citoyens du monde aggravent le problème en utilisant des voitures à essence, des chauffage au pétrole et au gaz, en effectuant des croisières ou en prenant l'avion ou en consommant des biens nuisibles à la planète: autant de comportements qui affectent le climat.
Qui paiera pour le manque de neige?
La Suisse est loin d'être exemplaire en la matière — bien au contraire: nous faisons partie du Top 20 mondial d'émissions de CO2 par habitant. L'enneigement vous paraît faible cette année, et voir des flancs de montagnes vertes en janvier vous fait mal au cœur? C'est triste à dire, mais l'enneigement 2023 est meilleur que ce qui nous attend à l'avenir.
Or, dès aujourd'hui, le manque d'or blanc a déjà des conséquences très concrètes, tant sur l'image de la Suisse à l'étranger que pour notre économie. Zermatt a dû annuler la première course de Coupe du monde à cheval sur deux nations, la fameuse descente du Cervin, dont la première édition était prévue en octobre.
À Adelboden et Wengen, deux adresses de premier ordre du ski alpin, on a longtemps tremblé pour le maintien des courses prévues ces deux prochains week-ends. Il n'y a pas que les meilleurs athlètes mondiaux qui sont touchés, et vous pourriez l'être même si vous ne skiez pas: selon le «Time Magazine», l'industrie du tourisme de ski représente un chiffre d'affaires de 30 milliards de dollars. Qui comblera ce trou si les touristes préfèrent à l'avenir se rendre dans les Montagnes Rocheuses, les Andes ou même l'Himalaya?
Des lueurs d'espoir
Même si certains voudraient continuer à nier la vérité, les faits sont là: la Suisse est profondément touchée par la crise climatique. Et malheureusement, la politique climatique internationale n'éclaircit pas le tableau — elle est même au point mort. La récente conférence climatique de 2022, à Charm-el-Cheikh en Egypte, n'a pas permis de progresser, et la Suisse ne peut pas influencer cette évolution tant qu'elle ne fait pas elle-même ses devoirs.
Comment conserver un peu d'optimisme? Il y a quelques lueurs d'espoir dans la politique climatique suisse. En premier lieu, le contre-projet à l'initiative sur les glaciers, qui a été approuvé par le Parlement. Le fait que certains politiciens veuillent lancer un référendum contre ce projet est très décevant, mais on peut s'attendre à ce que la population suisse comprenne les enjeux si une votation a effectivement lieu à ce sujet.
De plus, plusieurs lois et initiatives cantonales ambitieuses sur le climat ont récemment été approuvées en votation populaire: on peut citer ici le «miracle de Glaris», survenu lors d'une Landsgemeinde, la nouvelle Loi sur l'énergie à Zurich ou encore l'initiative Bâle2030. Entre autres. Espérons que 2023 marque un nouveau départ pour la politique climatique en Suisse — nos montagnes le valent bien.
*Sonia I. Seneviratne est docteure en climatologie, diplômée de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Elle est l'une des auteurs principaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Elle écrira régulièrement pour Blick sur les thèmes dont elle est experte.