La scène vaut son pesant de Louis d’or. Un président français sautillant comme un oiseau mécanique à l’approche d’une foule en province, un citoyen courroucé — devenu gifleur par la grâce de son geste —, un service de sécurité désemparé, une perquisition, une garde à vue, de la prison ferme.
Fichtre! L’enchaînement a tout du déchaînement
Tout, à la vérité, sort du cadre: le souffleteur, d’abord, dont on ne sait pas grand-chose, tour à tour décrit par la presse comme apolitique, étudiant en thanatopraxie, médiéviste, fan de jeux de plateau et royaliste.
Le geste, ensuite, presque symbolique tout en étant excessif, à mi-chemin curieux du soufflet et de la gifle, accompagné d’un cri d’armes d’un autre temps («Montjoie! Saint-Denis!») que l’on aurait dit sorti tout droit des Visiteurs, s’il n’avait été prononcé avec la retenue gênée d’un collégien forcé de réciter un poème de Ronsard devant une salle de classe et se trouvant soudainement galvanisé par l’inexplicable ardeur du timide.
La réaction policière et judiciaire, ensuite: une arrestation musclée et une perquisition presque instantanée à son domicile. Et l’envoi fissa en maison d’arrêt. Imagine-t-on sans rire pareille débauche de moyens et de diligence pour le même geste (et la même modeste qualification juridique retenue, soit violence sans incapacité totale de travail sur personne dépositaire de l’autorité), si le récipiendaire de la main courroucée avait été un modeste sous-préfet, un valeureux maire de petite commune ou un très auguste rond-de-cuir décentralisé? Poser la question, c’est évidemment y répondre.
Atteinte à la fonction incarnée
Cela mène à la question fondamentale: le souffleteur est-il blâmé pour avoir porté atteinte au corps physique du président ou à celui, symbolique et presque déifié, de la fonction incarnée?
Là encore, l’histoire est riche d’enseignements. Les mythes fondateurs français, comme le rappelait l’académicien fraîchement élu et homme de loi et de longue date François Sureau sur France Culture le 11 juin 2021, sont souvent empreints d’une certaine violence, citant pêle-mêle la Terreur, la Commune de Paris ou encore la Prise de la Bastille.
Mais nul besoin de parcourir trop de lustres avec la Delorean, il suffit de s’attarder un instant sur l’attentat du Petit-Clamart, le 22 août 1962: la DS présidentielle du Général de Gaulle, le transportant alors avec sa famille à l’aérodrome de Villacoublay, est soudainement canardée de 150 balles adressées par un commando de composition disparate. Devant la Cour militaire de justice qui le jugera en 1963, Jean-Marie Bastien-Thiry, chef du gang, délivrera une longue diatribe centrée sur la justification du tyrannicide, se fondant notamment sur les écrits de Jean de Salisbury, un théoricien chrétien du Moyen-Âge (tiens, le revoilà) qui avait commis une étude osée sur la question. Ici, c’était la «dictature gaulliste» qui était en cause et, en particulier, ce qui était vu comme un abandon de l’Algérie.
Evidemment, souffleter n’est pas canarder et puis Emmanuel Macron n’est pas le Général. Mais le rapport ambivalent à la violence du peuple contre les élites demeure, dans un pays où poésie de la barricade et grandiose de la contestation sont, si ce n’est des points d’ancrage, à tout le moins d’efficaces accélérateurs d’incendie.
Un rapport complexe à l’image du président
Et puis, ensuite, enfin et peut-être surtout, il y a le rapport complexe avec l’image du roi, puis du Président. Disons-le sans ambages, la France a longtemps été plutôt friande de la répression du crime de lèse-majesté.
La loi sur la presse du 17 mai 1819 punissait ainsi, dans son article 9, les offenses publiques envers la personne du roi. Plus tard, ce fut l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui traduisit cet héritage dans la législation. Le corps symbolique du dignitaire, encore lui, inatteignable même par la parole critique.
Une disposition hors d’âge qui n’a été abrogée en 2013, sous la pression des exigences européennes (en l’occurrence un Arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) concernant un panneau brandi sous le nez du Président Sarkozy à Laval, reprenant par quelque irrévérence facétieuse la fameuse phrase «casse toi pov’con» lancée, quelques mois auparavant à un individu qui refusait obstinément de lui serrer la main (le bougre).
Vers des outils de défense plus ordinaires?
A l’heure actuelle, il est évidemment loisible au Président de recourir à des outils légaux de défense plus ordinaires (plainte en diffamation, injure publique ou outrage) mais l’offense, qui était souvent considérée comme une forme de délit d’opinion, ne pare plus d’une cape d’invincibilité les faits, gestes et actions privées et politiques du locataire de l’Elysée.
Gageons toutefois, rassérénés que nous sommes sous les ors de la République, qu’une forme de régime d’exception continuera d’entourer, çà et là, le traitement judiciaire et médiatique de la manière dont les Majestés seront, sinon lésées, à tout le moins remises en cause, par soufflet, diatribe ou autre insolente occupation de carrefours.