Un média français dénonce
Est-ce que Genève ment sur ses chiffres de chômage?

«Le vrai taux de chômage est de 10% à Genève», affirme cette semaine un média de France voisine. Le canton mentirait sur les statistiques? La vérité est plus complexe que cela: Suisse et France ont deux méthodes bien différentes pour recenser leurs demandeurs d'emploi.
Publié: 22.09.2022 à 16:59 heures
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Dernière mise à jour: 23.09.2022 à 10:31 heures
Contacté, le Secrétariat d'Etat à l'économie n'a pas voulu faire de commentaire, nous renvoyant à la page consacrée aux statistiques du chômage sur son site internet. (Image d'illustration)
Photo: Keystone
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Les chiffres et les courbes statistiques sont des matières premières bien malléables: (toujours) à prendre avec du contexte. Telle est la leçon qu'on peut tirer du décalage entre les taux de chômage, à Genève et en Suisse, affichés respectivement par le Bureau international du travail (BIT) et la Confédération, comme le relevait «Le Dauphiné libéré» mercredi. «Le vrai taux de chômage est de 10,1%», osait le quotidien basé à Grenoble, en France voisine.

D'où vient ce décalage? Reprenons calmement. Selon la méthode de calcul du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), les individus sans emploi ne représentaient que 5% de la population genevoise en 2021 (3% pour toute la Suisse). Mais, si l'on applique plutôt la méthode de calcul du Bureau international du travail (BIT), comme le font tous les pays voisins, c'est un autre son de cloche: les chômeurs seraient plutôt 10,1% à Genève, et 5,1% dans tout le pays, comme le relèvent tant le SECO que l'Office cantonal de la statistique genevois.

Deux méthodologies différentes

La raison de ce décalage est méthodologique. La majorité des pays européens dénombrent leurs chômeurs avec les critères du BIT, organisation dont le siège se trouve par ailleurs à... Genève.

Le Bureau international du travail considère comme chômeurs ou chômeuses les personnes âgées de 15 à 74 ans qui «sont sans travail, disponibles pour commencer à travailler dans les deux semaines, et ont activement recherché un emploi pendant les quatre semaines précédentes», comme indiqué sur son site internet. Pour effectuer ses recensements, le BIT mène des enquêtes téléphoniques plusieurs fois par année. Les 10,1% de chômeurs à Genève en 2021 sont donc toutes les personnes qui se disaient «à la recherche d'un emploi», tous profils confondus, sans plus de précisions.

Du côté du Secrétariat d'Etat à l'économie, en revanche, il faut remplir des critères bien plus précis: «Seules les personnes inscrites auprès d’un office régional de placement sont considérées comme chômeurs», écrit l'Office cantonal (genevois) de la statistique.

À noter qu'une personne dépendante de l'aide sociale, ou de l'Hospice général dans le cas de Genève, peut également être inscrite au chômage en Suisse. Et, inversement, une personne sans emploi peut volontairement ne pas figurer sur les listes des offices régionaux de placement: ainsi, les hommes au foyer ou les rentières, par exemple, ne sont pas comptabilisés par le SECO.

«Le SECO est plus exhaustif»

Deux versions différentes, mais l'une «vraie» selon «Le Dauphiné libéré». Le BIT offre-t-il vraiment une image plus représentative de la réalité? «Ces deux méthodes sont complémentaires, tempère Sébastien Blanc, chef de service à l'Office cantonal de la statistique de Genève. L'avantage du taux selon le BIT est son utilisation à l'international, ce qui permet de faire des comparaisons plus facilement.»

Pourquoi le SECO a-t-il adopté une autre méthode que le reste de l'Europe? «Son taux a l'avantage d'être plus exhaustif et plus rapidement disponible, argumente le fonctionnaire genevois. Seulement quelques jours après le début du mois, nous pouvons connaître le nombre de personnes inscrites auprès des offices régionaux pour le mois précédent. Ce qui permet des analyses plus conjoncturelles. Le BIT, en revanche, n'est calculé qu'une fois par année pour les cantons, et chaque trimestre à l'échelle de la confédération.» À noter également que la méthode de la Confédération est plus ancienne que celle du BIT.

Contacté, le Secrétariat d'Etat à l'économie n'a pas voulu faire de commentaire, nous renvoyant à la page consacrée aux statistiques du chômage sur son site internet.

Genève fait moins bien que la France!

La Suisse est souvent présentée comme un pays en quasi plein-emploi. Or, avec 10,1% de chômeurs au sens du BIT, où se classe Genève en comparaison internationale? Selon Eurostat, en mars 2022, 13,37 millions d'Européens étaient au chômage, soit 6,2 % de la population active du continent.

Le canton de Genève ne figurerait que dans le bas du ventre mou du classement européen. Les meilleures élèves sont — toujours au sens du BIT — la République Tchèque (2,3% de chômage), l'Allemagne (2,9%) et les Pays-Bas (3,3%). A l'inverse, on trouve l'Espagne (13,5%) et la Grèce (12,9%).

Fait cocasse, Genève se retrouve derrière la France, où le chômage s'élevait à 7,4% sur la même période. Et les demandeurs d'emploi sont en recul entre mars 2021 et mars 2022 sur tout le continent.

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