Une journée avec la Maire de Genève
«Quand vous êtes Maire, vous pouvez dire au revoir à vos week-ends»

Marie Barbey-Chappuis, la Maire de Genève, a accepté de nous ouvrir la porte de son bureau et les pages de son agenda le lundi 19 décembre. Voici ce que ça fait d'être à la tête de la Cité de Calvin pendant une journée. Reportage.
Publié: 22.12.2022 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 22.12.2022 à 16:36 heures
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Blick a suivi Madame la Maire de Genève, Marie Barbey-Chappuis, pendant une journée.
Photo: GABRIEL MONNET
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

«En général, quand les gens ne sont pas contents de quelque chose, on le sait très vite», entonne une collaboratrice de Madame la Maire de Genève alors qu’on passe la porte de ses bureaux, le lundi 19 décembre à 9h du matin. Marie Barbey-Chappuis entame son rendez-vous hebdomadaire avec les membres de son cabinet. De cette séance à un match avec le GSHC féminin à la patinoire des Vernets, en passant par une discussion avec la police municipale: nous avons pu la suivre pendant une journée entière, et on vous raconte tout (spoiler: une journée, dans le langage de la mairie, c’est minimum dix à douze heures de travail). Marie Barbey-Chappuis est présente à son poste depuis 8h30 déjà. Elle ne rentrera chez elle qu’à 21h, après avoir participé à un match amical de hockey féminin.

Assis autour de la table, ses sept collaborateurs prennent la parole à tour de rôle: feedbacks, planning des travaux en Ville, bilan Covid à venir, panification des événements de 2023… Ici, tout le monde se vouvoie. Le protocole est le maître mot, même dans les échanges entre collègues – lors de leurs séances, du moins.

La magistrate a été élue à la municipalité sous la bannière du Centre en 2020, devenant la première femme à hériter du Département de la sécurité et des sports. Elle est à la tête de la Ville de Genève depuis le 1er juin 2022. Ma première impression: de son agenda aux mots qu’elle prononce, tout semble millimétré, mesuré, pesé. Mais au fil de la journée, cette image laissera peu à peu place à celle d’une femme que sa timidité rend authentique: elle est discrète mais déterminée, pragmatique mais profondément optimiste.

À la fin de la séance de cabinet, on parcourt l’agenda de la semaine. Cédric Waelti, chargé de la communication de Madame la Maire, et qui nous accompagnera toute la journée, explique: «Le lundi, on organise et on agende ce qu’on peut, même s’il y a toujours des imprévus qui viennent se greffer au planning, au fur et à mesure de la semaine.» La secrétaire a imprimé le mauvais fichier, elle s’éclipse pour corriger le tir. En attendant, c’est l’occasion pour nous d’observer des échanges plus informels. La semaine précédente, la mairie était en sortie de boîte. «C’était la première fois de ma vie que je faisais un karaoké, je vous promets!», lance gaiement Madame la Maire. À une collaboratrice de rétorquer: «Ah bon, ’Allumez le feu’, quand même, vous avez commencé fort (rires).»

10h05: Pause-café

Il est précisément 10h05 lorsque nous sortons de la salle de réunion pour prendre un café avec la magistrate, dans son bureau. Des piles de cartes de Noël à signer à la main nous accueillent. «Il y en a au moins 2500, une pour chaque collaborateur de la Ville», précise-t-elle. Au moins, c’est plus vite fait que les discours: «La semaine dernière, j’ai dû en prononcer dix rien qu’entre jeudi et vendredi. J’avoue que ma pire hantise, c’est de les intervertir – c’est si vite arrivé!» Les rédige-t-elle de sa plume? «Certains discours, je les découvre le matin même. D’autres, je tiens vraiment à y mettre ma patte personnelle, oui.» Ses réseaux sociaux, en revanche, Madame la Maire veut les gérer personnellement en tout temps: «Même si j’avoue que c’est assez chronophage, ce n’est que comme ça qu’on peut être vraiment authentique et proche des gens.»

Voici les cartes de Noël que doit signer la magistrate.
Photo: GABRIEL MONNET

Quelle est la première chose que la quadragénaire s’est dite, en posant ses valises à la mairie? «Je crois que c’était quelque chose comme 'bon, maintenant, il faut y aller'. C’était un grand saut: je savais ce que je quittais, pour cette fonction, sans vraiment savoir ce que j’allais y trouver, à la fin.» Avant d’être assistante parlementaire, puis cheffe de cabinet du conseiller d’Etat centriste Serge Dal Busco, la petite Marie Barbey-Chappuis voulait être footballeuse. «Je suis un peu une sportive ratée (rires)!», ironise-t-elle. Car, il y a vingt-cinq ans, le foot, ce n’était pas pour les filles.

Ensuite, elle a obtenu un diplôme en journalisme à l’Université de Laval, au Québec. «J’avais 24 ans, c’était la première fois que je quittais vraiment le foyer pour plusieurs mois, raconte-t-elle. Je suis quelqu’un de très timide, par nature. Cette expérience de vie m’a vraiment donné confiance en moi.» Marie Barbey-Chappuis avait une carrière de journaliste sportive dans le viseur, avant que la vie n’en décide autrement. L’année où elle s’apprête à postuler au concours des futurs présentateurs sportifs pour la RTS, celui-ci est annulé. Dans le même temps, elle tombe sur une offre de travail en politique. C’est là que sa route bifurque au Parlement. Et elle ne le regrettera (presque) jamais: «Souvent, le soir, je me dis que j’ai une chance inouïe. Mais, certains soirs, il faut l’avouer, je me dis aussi 'quelle galère'…»

Son plus grand défi à la municipalité, jusqu’à présent? «L’imprévisibilité du quotidien, et le fait de motiver les équipes pendant la période du Covid. Au 25e changement des mesures de protection dans les installations sportives en un temps record, j’ai eu des moments de découragement.» Puis, il y a les défis personnels. Surtout depuis que la municipale est devenue Maire: «En même temps qu’un certain respect intrinsèque, il y a une sorte de distance qui se crée avec les gens. Je ressens parfois la fameuse solitude du pouvoir. Malgré le soutien de ma superbe équipe, à la fin, c'est à moi de prendre les décisions...»

Madame la Maire avec son chargé de communication Cédric Waelti, lors de la visite de la voirie.
Photo: GABRIEL MONNET

En revanche, ce qui la motive le plus, c’est le côté très concret de la fonction: «Ce qui est très satisfaisant, dans ce poste, c’est que les décisions prises en Ville se voient très rapidement, si je puis dire. Lorsqu’on s’occupe d’animations ou d’une manifestation, par exemple, les feedbacks sont presque instantanés.»

11h30: Cérémonie de départ à la retraite

Une heure plus tard, il est temps de se diriger vers le Palais Anna et Jean-Gabriel Eynard, situé dans le parc des Bastions. C’est là que se célèbrent les départs à la retraite des employés de la Ville (et, depuis 2012, les mariages des citoyens les plus fortunés). Aujourd’hui, Madame la Maire rend hommage à Joaquim Martins, chauffeur de petits engins à la voirie de la Ville, qui tire sa révérence.

Madame la Maire félicite le jeune retraité de la voirie pour son engagement.
Photo: GABRIEL MONNET

Fresques, moulures au plafond et rideaux en velours, le jeune retraité et sa famille semblent un peu égarés au milieu de ce faste rococo. Marie Barbey-Chappuis prononce quelques mots formels, puis serpente entre les invités pour échanger quelques banalités. Elle nous glisse, entre deux conversations, que c’est ici qu’elle s’est mariée il y a dix ans à un politicien du PLR, Alexis Barbey.

12h15: Repas avec la Maire

Une fois les hommages rendus au chauffeur, nous allons déjeuner au Kiosque des Bastions, à quelques mètres du Palais: Madame la Maire, son communiquant Cédric Waelti, notre photographe Gabriel et moi-même. C’est là que je vais tenter d’en savoir plus sur qui est vraiment la magistrate. En guise d’entrée, je donne le ton: on parlera loisirs, sexisme, famille – mais moins enfants. La magistrate hoche de la tête, comme en signe d’approbation: «Vous savez, lorsque j’avais annoncé ma candidature, la première question du journaliste d’un média local genevois a été de savoir comment j’allais faire avec mes enfants…»

Des remarques sexistes, Marie Barbey-Chappuis en a reçu, en presque vingt ans de carrière. Mais, nous assure-t-elle, ça s’est arrangé avec le temps: «Au début, en arrivant en politique, je m’inquiétais un peu à cause de mon genre… Mais, au final, le statut d’élue ou de Maire change le regard que les gens portent sur vous, du tout au tout.» Elle ajoute que, paradoxalement, le sexisme positif l’a même aidée à monter: «Le fait d’avoir été une jeune femme de centre-droit en politique, à l’époque où j’ai commencé, a plutôt été un accélérateur pour moi. Car nous n’étions pas très nombreuses (rires)

Au-delà d’être une femme, comment une grande timide est-elle devenue la figure de proue de la Ville de Genève? Elle a simplement appris à faire avec. Marie Barbey-Chappuis confie: «Ma timidité est toujours un peu là. Les événements du style cocktails, par exemple, ce n’est vraiment pas ce que je préfère.» Ce qu'elle aime, en revanche, c'est la course à pied et le squash, par exemple. Et pouvoir redevenir une femme, une mère et une épouse comme les autres, (tard) le soir, une fois de retour au foyer.

À la fin du repas, la serveuse a reconnu la magistrate. Elle bégaie quelques politesses, et nous offre un deuxième café. En guise de dessert, on aborde des sujets plus légers: je lui demande quel est le dernier film qu’elle a vu – c’est, sans surprise, le nouveau biopic sur Simone Weil, «Simone, le voyage du siècle». Et la musique? «Je suis une grande fan de Stephan Eicher! Mais j’avoue qu’il m’arrive d’écouter Justin Bieber pour me réveiller le matin (rires).» Elle mentionne aussi du rock français, comme le groupe Feu! Chatterton.

15h15: De la voirie à la police

Après le repas, le photographe Gabriel et moi sommes livrés à nous-mêmes pendant une heure: Marie Barbey-Chappuis a rendez-vous avec le ministre du Département du territoire, Antonio Hodgers, pour parler de l’avenir des quais de la Rade de Genève. Et c’est confidentiel. Rendez-vous à 15h15 devant l’Hôtel de Ville, avec un chauffeur: direction la voirie de la Ville de Genève (où Madame la Maire doit valider le dispositif hivernal pour les déchets et les routes) puis le siège de la police municipale. C’est la partie «moins sexy», confessent nos hôtes.

On ouvre les portes arrière du (très sobre) véhicule: des dossiers, ornés d’un post-it qui affiche «Urgent», attendent Madame la Maire sur le siège passager. Un peu de lecture pour la route… Les employés de la voirie nous accueillent, puis se pressent de nous montrer les trajets des camions poubelles et des véhicules à sel. Genève peut dormir tranquille à l’aube de la nouvelle année: nous apprenons par exemple que quelque 100 à 130 personnes seront mobilisées pendant les fêtes pour maintenir la ville propre (et peu glissante, en cas de neige).

«Au début, en arrivant au municipal, je n’y connaissais rien, en voirie», confesse Marie Barbey-Chappuis une fois de retour dans la voiture. Il est un peu moins de 16h. Direction le QG de la police municipale, pour faire un point sur les statistiques de harcèlement de rue, relevées grâce à une nouvelle fonctionnalité de l’application «Genève en poche».

Madame la Maire et le lieutenant Droz à la police municipale.
Photo: GABRIEL MONNET

Le lieutenant Droz donne quelques chiffres, tout en précisant qu’après six mois seulement, il est encore trop tôt pour faire un vrai bilan. Madame la Maire en profite pour appuyer sur l’importance de la police de proximité: «Ce n’est pas la même chose que la police cantonale. Il faut réprimander quand nécessaire, certes, mais moi je vois nos citoyens avant tout comme nos clients. Nous essayons de les traiter comme tels, en tout cas.» Après une demi-heure de discussions, retour à l’Hôtel de Ville en voiture.

19h05: Entraînement avec le GSHC féminin

Il est un peu plus de 16h lorsque nous sommes de retour dans les locaux de la magistrate. Madame la Maire doit faire face aux piles de documents à lire ou à signer qui s'empilent sur son bureau. Souvent, lorsqu’elle n’est pas attendue ailleurs, elle reste faire de l’administratif, seule dans son bureau, jusqu’à tard le soir. Les congés réguliers? Un lointain souvenir, depuis son entrée en fonction: «C’est le genre de poste où les week-ends n’existent pas vraiment. Tout le monde attend tout le temps quelque chose de vous, lorsque vous êtes Maire. Il faut être présente d’esprit et alerte presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et sept jours sur sept. Des fois, j’ai un peu l’impression de faire de l’apnée.»

On la laisse à ses papiers. Notre dernier rendez-vous: Marie Barbey-Chappuis est attendue ce soir par le GSHC féminin à la patinoire des Vernets à 19h05 (précision protocolaire, même dans les horaires). Elle va s’entraîner avec les filles de l’équipe amatrice, fondée officiellement en 2016. Pour Madame la Maire, pour gérer le sport en tant que politicienne, il faut le vivre… et le faire vivre: «J’ai donné au sport une visibilité qu’il n’avait pas avant à Genève, après une période où tout était quasi à l’arrêt à cause du Covid.» Et tant pis pour ceux qui disent qu’elle en fait trop, au détriment d’autres animations plus «festives» enterrées depuis la pandémie: «D'une manière générale, il y a de nombreux événements chaque semaine à Genève. Donc j’estime que le 'c’était mieux avant' est un faux procès, que l’on fait parfois à la municipalité. D’autant plus que ça ne rend pas service à l’image de notre ville à l’extérieur...»

Après plus de dix heures de travail, Marie Barbey-Chappuis ne se dégonfle pas: elle finira sa journée sur la glace avec un club de hockey féminin.
Photo: GABRIEL MONNET

En arrivant à la patinoire, les hockeyeuses aux âges et profils très variés ont les yeux qui brillent. «On est vraiment soulagées, après ces deux dernières années, d’avoir une Maire qui fait du sport une priorité!», nous lance une joueuse. Une autre ajoute: «Et le sport féminin, qui plus est!» Marie Barbey-Chappuis se fond rapidement dans l’équipe: nous la voyons rire de bon cœur parmi les sportives en s’échauffant les poignets.

Notre dernière image de la journée sera celle d’une Marie-Barbey Chappuis toute de protections vêtue. Elle s’apprête à aller sur la glace avec l’équipe du GSHC. La grille qui protège son visage l’empêche de boire à sa gourde, son assistant personnel s’empresse de lui venir en aide. «Et voilà, je ne veux plus y aller, maintenant. J’étais en bien meilleure condition physique, quand j’ai accepté de faire ça, en août dernier… (rires)», ironise la magistrate avant de s’élancer sur la patinoire. Et, pour une amatrice, elle s’en sortira magistralement bien!

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