Entre notoriété acquise par la marque et nouvelles normes de la société, les entreprises doivent parfois jongler. La crainte d’être accusées de racisme en cas de publicité scandaleuse devient de plus en plus grande. Les glaces Winnetou, fabriquées au bord du lac de Constance par le géant Frisco, ont par exemple de quoi se sentir concernées.
Les célèbres esquimaux ont pour emblème l’apache Winnetou, star d’un roman de fiction vu aujourd'hui comme très problématique. Cette œuvre est targuée de raciste et vue comme de l'appropriation culturelle. La maison d’édition Ravensburger, sous pression notamment sur les réseaux sociaux, a ainsi récemment retiré le livre pour enfants mettant en scène le même héros. Un porte-parole a fait savoir qu’après avoir pesé différents arguments, la société était parvenue à la conviction «qu’au vu de la réalité historique et de l’oppression de la population indigène, une image romantisée avec de nombreux clichés était ici dessinée». La matière de cette œuvre était ainsi très éloignée de «ce qu’a réellement vécu la population indigène..»
Mais en 2022, la glace de Frisco s’appelle toujours Winnetou et, avec 3 millions d’unités vendues par an, elle continue à faire un carton, se justifie la marque. «Nous sommes parvenus à la conclusion que nous garderions notre recette telle quelle, explique Froneri, la maison mère de Frisco, à Blick. On reçoit bien plus de messages de clients qui souhaitent garder ce nom que de critiques!» L’idée a été étudiée, puis rejetée.
Rappelons qu'après une levée de boucliers, les célèbres desserts à la mousse de chocolat ont été renommés «tête de choco». A ce moment-là, la marque de crème glacée avoue avoir pensé à changer le nom de ses fameuses glaces à l'eau.
«De nombreux clichés étaient dessinés»
«La glace Winnetou est pourtant une bombe à retardement, s’exclame Johanna Gollnhofer, professeure à l’Université de Saint-Gall et experte en marketing. On attend aujourd’hui des marques qu’elles se comportent de manière politiquement et culturellement correcte.»
Et effectivement, beaucoup d’entreprises choisissent actuellement d’orienter leurs actes pour renvoyer une image politiquement correcte, poursuit l’experte. Citons par exemple le cas du déclenchement de la guerre en Ukraine. Swatch, Starbucks, McDonald’s, Ikea: en série, toutes se sont retirées de Russie pour ne pas être soupçonnées de continuer à faire affaire avec Vladimir Poutine.
C’est également la voie choisie par la marque de riz Uncle Ben's. Accusée de racisme après la montée du mouvement «Black Lives Matter», elle a retiré le vieil homme noir de ses paquets de riz, son emblème, et changé son nom en Ben’s Original: aux Etats-Unis, les Afro-Américains étaient autrefois appelés «uncle» et «aunt», oncle et tante.
«Boycotter le produit»
Mais peut-on réellement comparer ces cas à celui de la Suisse? «Black Lives Matter» est un mouvement puissant qui s’est étendu à l’échelle mondiale. Ce ne sera potentiellement pas le destin du débat sur la glace Winnetou. «La majorité des consommateurs se moque tout autant de l’homme noir présenté par Uncle Ben's que de la glace Winnetou», avance Johanna Gollnhofer. Mais il serait stratégique pour les entreprises de s’orienter vers ceux qui demandent plus de politiquement correct, nuance-t-elle. «Ces personnes ont un grand potentiel de se monter contre la marque et de boycotter le produit.»
Pour illustrer son idée, elle prend l’exemple d’Europa-Park. Le parc a été récemment mis au pilori à cause de l’attraction populaire du rafting dans la jungle. Targuée de raciste, celle-ci a été fermée au début de l’année. En effet, des Africains y étaient représentés en tenue traditionnelle, tandis que des Blancs se pavanaient en tenue de safari près d'eux. L’attraction reproduisait ainsi des clichés coloniaux. «Beaucoup de gens n’avaient pas vu le problème, suppose Johanna Gollnhofer. Mais ces personnes continuent aujourd'hui de se rendre à Rust, même si cette descente en radeau n’existe plus.» En revanche, les personnes heurtées par ces représentations caricaturales n’auraient pas hésité à boycotter le parc s’il avait choisi de maintenir ce manège vieillissant, avance l’experte.