«C’est quoi ces pompes de clochard?!» Sa réaction devant une photo d’Ignazio Cassis en visite officielle au Niger et en chaussures poussiéreuses fuse. Bien que très attaché à son gilet en peau de mouton, Michel Jeanneret, rédacteur en chef de Blick en Suisse romande, tient au protocole et au bien-paraître des dirigeants helvétiques. Alors posons-nous la question: un président devrait-il porter cela?
Mais d’abord, un arrêt sur image. Le 9 février à 14h42, le président de la Confédération — pantalon taché au niveau du genou — apparaît sur une photo aux côtés du sultan de l’Aïr, à sa gauche, et d’Irène Kaelin, présidente du Conseil national, à sa droite. Posté sur le compte du ministre des Affaires étrangères lors du troisième et dernier jour de son séjour diplomatique, le tweet rend compte de la rencontre. Également présent, le président de la Croix-Rouge, Peter Maurer, est hors cadre.
«Il y avait mieux à faire»
Zoomons sur les pieds d’Ignazio Cassis. Fashion faux pas, ces sneakers, ou pas? Pour Antonio Hodgers, conseiller d’État genevois qui a «découvert» la cravate en 2013 lors de son accession au gouvernement («car je représente désormais une institution»), la question se pose en d’autres termes. «Ce qui frappe de prime abord, c’est qu’Ignazio Cassis est habillé de manière légère, dirons-nous, alors que le sultan, à sa droite, porte des habits qui mettent clairement en avant la dignité de sa fonction.»
Le ministre poursuit sur l’importance du contexte: «Si le conseiller fédéral avait été pris en photo dans une rue en train de parler à des enfants avec ces chaussures, personne n’aurait tiqué.» L’écologiste est également critique sur la nature des chaussures elles-mêmes: «Comme tenue 'sportive', il y avait certainement mieux à faire, mais on se situe ici dans des questions de goût qui, comme on le sait, sont une affaire très personnelle…»
L’ancien conseiller national genevois souligne «la faiblesse du protocole de la Confédération». «Sachant qu’une photo officielle allait être prise (ndlr: durant une visite sur le terrain), les services du président Macron, par exemple, auraient certainement eu une paire de chaussures plus adaptées à lui mettre à disposition pour cet instant solennel.»
Des chaussures de «grand-oncle»
Stéphane Bonvin, ancien journaliste spécialisé dans la mode, pique aussi Ignazio Cassis et ses grolles banales: «Il porte un peu les chaussures que notre grand-oncle enfile pour aller à la Coop quand il est au chalet, celles dont il a un peu honte.» Mais il est un peu moins cinglant sur le reste de la tenue du Tessinois. «C’est le costume à la Macron, assez serré pour montrer qu’on n’a pas de ventre, un pantalon assez slim qu’on trouvait cool il y a quinze ans et une chemise blanche, l’outil du bon politicien, facilement déboutonnable lorsque le dress code devient plus décontracté.»
Mais pour cet ex-rédacteur en chef adjoint du «Matin», le politicien PLR n’a pas fait d’erreur. «J’aime bien être un killer, mais là, je trouve Ignazio Cassis très à-propos. Comme je comprends, la photo a été prise dans un moment d’excursion. Autour de lui, sur les autres images aussi, tout le monde a les chaussures un peu sales. Ils ont dû marcher dans la poussière juste avant. Et, dans cette situation, avec des chaussures à 1000 dollars, il aurait ressemblé à un colon ou à un Américain qui débarque en SUV pour distribuer trois bouts de pain avant de repartir!»
Un président «normal»
Quid de la tache sur le futal? «Cela ne nuit pas à sa fonction. Ce n’est pas comme s’il avait débarqué comme ça le matin. Là, en milieu de journée, ça prouve qu’il est allé sur le terrain. Pour une fois, il montre qu’il est dans la vraie vie, sympathique, à l’écoute.» Antonio Hodgers le rejoint sur ce point: «On se situe aux antipodes de la rencontre entre Macron et Poutine, tellement loin de la réalité du peuple qu’elle en devient presque irréelle, hors du monde. Ici, le président de la Confédération démontre qu’il est un être normal, proche des gens. Il faut mettre cela à son crédit.»
Damien Cottier, lui, ne voit pas le problème. Et il en connaît un rayon. Avant d’être conseiller national PLR, il avait beaucoup voyagé aux côtés de Didier Burkhalter. Alors que ce dernier était conseiller fédéral chargé des Affaires étrangères, Damien Cottier était son collaborateur personnel.
«J’ai parcouru le fil Twitter d’Ignazio Cassis. Tout me paraît normal: lors des parties officielles dans la capitale, Niamey, il était sur son 31, dans un costume diplomatique classique. La photo dont on parle aujourd’hui a été prise un autre jour, lors d’une excursion.» Il enchaîne: «La tenue semi-formelle est alors de mise. Et puis, sur le terrain, c’est mieux d’avoir de bonnes chaussures, pour éviter de glisser, par exemple.»
Un minaret en argile en cause
Les autres membres de la délégation suisse sont dans le même registre, souligne le Neuchâtelois: «En voyant ces images, je n’ai pas l’impression que c’est un moment très protocolaire. C’est davantage une visite de courtoisie purement symbolique auprès d’un sultan qui, autant que je puisse juger, a un pouvoir symbolique et un rôle traditionnel, mais pas de fonction politique.»
Que dit le protocole? «Il se définit entre le département, l’ambassade et le service du protocole de l’État qui accueille. Un programme détaillé est ensuite envoyé aux participantes et participants, avec des consignes d’habillement. Il est important que tout le monde soit au même niveau pour que personne ne soit mal à l’aise.»
À gauche d’Ignazio Cassis sur la photo, la première citoyenne du pays, Irène Kaelin, lève le voile sur les événements qui ont précédé le cliché. «Nous avions passé toute la journée dans la région désertique d’Agadez pour aller voir des projets humanitaires financés par la Confédération, confie la Verte, qui est aussi chroniqueuse dans les colonnes de Blick. Juste avant cette photo, nous avons visité la fameuse mosquée d’Agadez. C’est un très vieux bâtiment en argile et le minaret est très étroit. C’était impossible de ne pas se salir. Le protocole a été respecté à la lettre.»