Les personnes sans passeport suisse sont en moyenne nettement plus touchées par le Covid. C’est ce que montre une nouvelle étude. Les désavantages sociaux et économiques en sont les principales raisons.
Au début de l’année 2020, lorsque le Covid n’était encore qu’une mystérieuse maladie pulmonaire venue de Chine et que les premières personnes se retrouvaient à l’hôpital en Suisse, le pays s’est alors uni. Applaudissements pour le personnel soignant, chants au balcon pour lutter contre l’ennui de l’isolement, tout le monde semblait suivre le mot d’ordre du moment: la solidarité.
Recherche de coupable au début de la pandémie
Dès la deuxième vague, les choses ont changé. Nous étions en décembre 2020, près de 100 personnes mouraient chaque jour, et tout à coup, la question de la culpabilité s’est posée. L’UDC a opté pour la politique du bouc émissaire, elle a rapidement trouvé les prétendus responsables: les étrangers.
«70% d’immigrés sont hospitalisés à cause du Covid», s’emportait alors l'UDC zougois Thomas Aeschi sur Twitter. Il visait l'immobilisme du ministre de la Santé, Alain Berset: «Avec toujours plus de restrictions, il prive toujours plus de Suisses de leur existence!»
Thomas Aeschi n’avait aucune preuve de ce qu'il avançait à ce moment-là. Les statistiques ne permettaient pas encore de savoir quels groupes de population étaient les plus nombreux à être admis dans les hôpitaux.
L’analyse des données apporte une réponse
Une étude apporte désormais des réponses. Sur mandat du service de presse Intégration, des scientifiques ont analysé l’augmentation du nombre de décès en Suisse en 2020. En se basant sur les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), ils peuvent désormais le prouver: les personnes sans passeport suisse ont été touchées par des décès dûs au Covid bien plus souvent que les Suisses.
Et les résultats sont très clairs. Chez les citoyens suisses âgés de 65 à 74 ans, l’augmentation des décès par rapport à 2019 a été de 2,2%, alors qu’elle a été de 20,9% chez les personnes du même âge sans passeport suisse. L’augmentation a également été drastiquement plus élevée dans d’autres groupes d’âge (voir graphique).
L'un des auteurs de l'étude, Tino Plümecke, sociologue à l’Université de Fribourg, déclare: «L’augmentation beaucoup plus forte du nombre de décès chez les personnes sans passeport suisse nous a surpris et effrayés.»
Pas de subdivision plus précise
Comme la Suisse manque toujours de données exactes sur les différentes nationalités touchées, les chercheurs n’ont pu distinguer que les personnes décédées avec ou sans passeport suisse. «Le groupe des personnes sans passeport suisse est une catégorie imprécise», fait remarquer Tino Plümecke. Selon lui, elle comprend aussi bien des réfugiés de guerre que des professionnels hautement qualifiés. Anne-Kathrin Will, autre auteure de l'étude, demande donc davantage de données sur les groupes vulnérables. «Le manque de telles informations est symptomatique», s'exprime-t-elle.
Les chercheurs n’ont pas examiné les raisons de cette mortalité inégale. Le fait est que les étrangers sont nettement plus souvent défavorisés socialement en Suisse. Les scientifiques y voient donc la raison du nombre élevé de décès dans cette catégorie de population: logements exigus, emplois sans possibilité de travail à domicile, dépendance aux transports, autant d'éléments qui favorisent des contaminations plus fréquentes par le Covid.
En outre, selon Tino Plümecke, il faudrait se demander comment les discriminations structurelles sur le marché du travail et du logement se reflètent dans les chiffres: «Le fait que les discriminations quotidiennes peuvent avoir des répercussions sur la santé est prouvé par de nombreuses études.»
S’ajoute à cela le fait que les personnes socialement défavorisées souffrent plus souvent que la moyenne de maladies chroniques comme le diabète ou l’obésité, des facteurs qui favorisent les évolutions graves de Covid.
Le Covid comme virus de classe?
Matthias Egger, ancien chef de la Taskforce et président du Fonds national suisse pour la recherche, a étudié le lien entre le statut socio-économique des personnes et le risque de Covid. Il en ressort que les personnes pauvres sont beaucoup plus exposées au virus que les riches. Le Covid est donc un virus de classe.
Parmi les 10% des plus pauvres en Suisse, deux fois plus de personnes ont dû être traitées aux soins intensifs que parmi les 10% les plus riches. Les différences sont tout aussi nettes en ce qui concerne les décès et les infections.
L’épidémiologiste Mathias Egger poursuit: «Avec notre étude, nous avons pu clairement montrer que les personnes socio-économiquement défavorisées sont plus souvent et plus violemment touchées par le Covid.» Il n’est donc pas surpris que les étrangers meurent plus souvent des suites de la maladie.
Pas assez de proactivité
Selon lui, les autorités n’ont pas su protéger ces personnes à temps. «Des efforts plus importants auraient dû être entrepris de manière proactive», estime Matthias Egger. Car selon lui, il était prévisible dès le début de la pandémie que les migrants seraient gravement atteints par le Covid plus souvent que les autres.
«Outre les personnes âgées et déjà malades, une attention particulière aurait dû être portée aux personnes socio-économiquement moins bien loties», explique l’ancien chef de la Taskforce de la Confédération.
Dès le début de la pandémie, les médecins de famille et les polycliniques auraient dû être impliqués plus intensivement dans la lutte contre la maladie. Car ce sont eux qui atteignent le mieux les groupes de population socialement défavorisés.
(Adaptation par Thibault Gilgen)