Les aspirants propriétaires se désespèrent
«Je ne pourrai jamais acheter une maison comme celle-ci!»

Sur le long terme, acheter une maison coûte moins cher qu'en louer une. Mais ces dernières années les prix de l'immobilier s'envole et le taux d'intérêt implicite stagne à 5%. Une réalité qui brise les rêves des jeunes Suisses qui veulent devenir propriétaires.
Publié: 12.07.2021 à 05:50 heures
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Dernière mise à jour: 12.07.2021 à 15:46 heures
Donato Zofreo est récemment devenu papa et rêve d'acheter une maison pour sa famille.
Photo: Siggi Bucher
Danny Schlumpf, Louise Maksimovic (adaptation)

D’après une enquête de FinanceScout24, 86% des Suisses aimeraient acheter leur propre maison. La pandémie qui a forcé le télétravail dans de nombreux foyers a participé à faire naître cette envie. Les jardins, les balcons et l’accès à des espaces extérieurs sur la propriété sont particulièrement demandés.

Mais c’est un rêve de plus en plus difficile à réaliser: les propriétaires potentiels sont nombreux, les biens à acheter le sont beaucoup moins. Blick est allé à la rencontre d’un de ces jeunes couples qui rêve d’acheter son chez-soi.

Donato Zofreo (32 ans) est fier. Sa femme Jana (26 ans) a donné naissance à leur fils il y a trois semaines: une nouvelle phase de leur vie commence. Jusqu’à présent, la jeune famille vivait dans un appartement de 3,5 pièces à Ermatingen (TG). Aujourd’hui, ils rêvent de posséder leur propre maison: «Nous avons besoin de plus d’espace», déclare le nouveau père.

L’offre et la demande ne sont pas conciliables

Le seul problème, c’est que la demande est largement supérieure à l’offre. Pour l’agent immobilier Robert Weinert: «La Suisse produit trop peu de biens immobiliers résidentiels. Les terrains pour construire des maisons individuelles se font de plus en plus rares.» Un coup d’œil aux statistiques montre les conséquences: «Alors que la demande de maisons individuelles a augmenté de plus de 30% depuis le début de l’année 2016, l’offre a chuté de 30%», indique l’agent immobilier.

L’accession à la propriété est donc de plus en plus coûteuse et les conséquences sur les prix sont considérables: «Depuis le début de l’année 2020, les prix des maisons individuelles et des copropriétés ont augmenté de 6,2%», indique Simon Hurst, expert en immobilier chez l’entreprise alémanique IAZI.

L’autre problème c’est que si les prix des biens explosent, les revenus, eux ne suivent pas: «Au cours des dix dernières années, les prix de l’immobilier ont augmenté cinq fois plus vite que les salaires», déclare Stefan Heitmann, PDG de MoneyPark. «Il n’est donc pas surprenant que de plus en plus d’acheteurs potentiels soient écartés du marché.»

Le salaire des Zofreo ne suffit pas

C’est le cas du couple que Blick a rencontré. Lui est cuisinier, elle infirmière à temps partiel. Ensemble ils gagnent 100’000 francs par an. Les parents de Donato Zofreo, eux, sont propriétaires d’une maison dans le voisinage. Mais leur fils ne peut pas espérer leur reprendre la propriété de cinq chambres sur un terrain de 500 mètres carrés: elle vaut un million de francs. Et ses parents ne peuvent pas l’aider puisqu’ils ont investi tout leur argent dans leur maison. Pour la léguer à leur fils, ce dernier devrait verser un demi-million de fonds propres. C’est une somme que le couple ne possède tout simplement pas.

La maison est loin d’être l’une des plus chères. À Coire (GR), un bien similaire coûte près de 1,3 million, 2,4 millions à Zurich et plus de 2,8 millions à Genève. «Les prix dans les centres sont énormes», déclare Simon Hurst de l’IAZI. «C’est pourquoi de plus en plus de particuliers étendent leurs recherches à la périphérie». Il ajoute que l’essor du télétravail peut également expliquer cette évolution. «Par conséquent les prix augmentent également en périphérie», précise l’expert dans l’immobilier.

Les prix ont littéralement explosé dans les centres-villes et les agglomérations. Moneypark a calculé qu’en trois ans le prix d’une maison de 5,5 pièces sur un terrain de 415 mètres carrés coûtait 1,77 million dans la commune zurichoise d’Oetwil an der Limmat. Aujourd’hui son prix atteint les 2 millions.

Toujours plus de fonds propres nécessaires

Avec un rapport prêt/valeur maximal de 80%, cela signifie une augmentation de l’hypothèque de 184’000 francs. Cela nécessite 46’000 francs de fonds propres supplémentaires. Et le revenu annuel requis pour acquérir une maison de ce genre est désormais de 360’000 francs, soit 41’000 francs de plus qu’en 2018.

Les exigences relatives au revenu deviennent donc un problème pour de plus en plus de personnes désireuses d’acheter: les taux d’intérêt hypothécaires se situent dans la fourchette basse de 1%, mais le taux d’intérêt implicite que les banques et les compagnies d’assurances utilisent pour calculer l’accessibilité financière est encore de 5%.

Pour Donato Zofreo, cela signifie que même si ses parents lui laissent leur propriété à bas prix, il n’a aucune chance de la racheter à cause du taux d’intérêt implicite.

Des obstacles considérables pour l’acquisition de biens résidentiels

«Les emprunteurs hypothécaires possibles sont de moins en moins nombreux chaque année», déclare Stefan Heitmann, le patron de Moneypark. «Et ce, dans un marché où un propriétaire peut économiser jusqu’à 50% des coûts mensuels liés au logement par rapport à la location du même bien.»

En Suisse, les obstacles à l’acquisition d’un bien immobilier résidentiel sont les plus élevés au monde, affirme Stefan Heitmann. Pour lui, il est clair que «la combinaison de la hausse des prix des logements et des exigences d’accessibilité particulièrement rigides est toxique. Une révision de ces règles me paraît urgente.»

Le taux d’intérêt implicite n’est pas imposé directement par l’autorité de régulation des marchés financiers. Il s’agit d’une mesure utilisée par les banques pour limiter les risques en cas de hausse des taux d’intérêt. Le niveau de ce taux n’est donc pas figé. Mais Claudio Saputelli, expert immobilier d’UBS, met en garde contre une baisse prématurée de ce taux: «Bien sûr, le calcul actuel de l’accessibilité financière constitue un obstacle à l’accession à la propriété. Mais il limite le montant de la dette.»

Quel est l’impact de la variation du taux d’intérêt implicite?

Plus le taux d’intérêt implicite baisse, plus les emprunteurs hypothécaires pourraient s’endetter par rapport à leurs revenus, indique l’expert d’UBS. «C’est dangereux. Dès que les taux d’intérêt augmentent, les problèmes commencent.» Les banques pourraient ainsi prêter davantage, même à court terme. «Mais cela stimulerait encore plus la demande». Avec pour conséquence une augmentation continue des prix. «Le taux d’endettement serait également plus élevé», indique Claudio Saputelli. «Au final, vous ne faites qu’alimenter la poudrière.»

La poudrière en question vaut maintenant 1138 milliards: c’est le montant de la dette des emprunteurs hypothécaires suisses. Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, la Banque nationale suisse indique le marché de l’immobilier résidentiel est davantage vulnérable aux potentiels chocs économiques futurs.

Pas de renversement de tendance en vue

Un crash est-il à craindre bientôt? Simon Hurst, de l’IAZI, s’en défend. «Les critères stricts d’accessibilité financière, en particulier, ont un effet stabilisateur en cas de nouvelle hausse des taux d’intérêt.» Mais l’expert immobilier ne s’attend de toute façon pas à cela dans un avenir proche: «Nous ne voyons pas de renversement de tendance.» Outre l’offre restreinte et la reprise économique, l’immigration nette élevée et ininterrompue joue également un rôle important: «La Suisse est demandée», affirme Simon Hurst.

Le boom immobilier se poursuit donc. «Et il n’y a pas de fin en vue», écrivent les auteurs de l’étude «Libre circulation des personnes et marché du logement» commandée par l’Office fédéral du logement. «Sans un changement de l’environnement macroéconomique, ce marché ne se détendra pas».

Et les Zofreo? Ils restent dans leur appartement. «Je ne pourrai jamais acheter une maison comme celle-ci!» se désole le cuisinier.

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