L'enfer de la logistique
Les employés de Digitec Galaxus triment jusqu'à s'effondrer

Le secteur de la vente en ligne est en plein boom. Chez Digitec Galaxus, No 1 en Suisse appartenant à Migros, les clients peuvent passer commande jusqu'à 19h et être livrés le lendemain. Une flexibilité que les employés paient au prix fort, montre l'enquête de Blick.
Publié: 15.05.2022 à 07:23 heures
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Dernière mise à jour: 15.05.2022 à 09:18 heures
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Digitec Galaxus a connu une forte croissance ces dernières années et est le numéro un du commerce en ligne en Suisse. Mais cette croissance a un prix.
Photo: Igor Kravarik
Thomas Schlittler

Digitec Galaxus ne veut pas être une entreprise comme les autres. «Pirate» est le mot préféré de son service de relations publiques, qui soigne l'image de la start-up non conventionnelle avec des campagnes publicitaires impertinentes.

Dans un domaine au moins, Digitec Galaxus a effectivement posé de nouveaux jalons en Suisse: Les personnes qui passent commande avant 19h reçoivent en général leur colis le lendemain dans leur boîte aux lettres. Ce code directeur a sans doute contribué de manière déterminante à la croissance impressionnante du commerçant en ligne, qui vend de tout, des couches-culottes aux téléviseurs high-tech, depuis sa création en 2001.

Le Covid a donné un coup de pouce supplémentaire à Digitec Galaxus. En 2019, l'entreprise, qui appartient majoritairement à Migros depuis 2015, a franchi pour la première fois le cap du milliard de francs de chiffre d'affaires. En 2021, elle a vendu des marchandises pour une valeur de 2,1 milliards de francs. Le groupe est ainsi clairement le numéro un du commerce en ligne en Suisse.

«Tout à la performance»

Mais cette croissance n'est pas gratuite: ce sont les employés de la logistique qui en paient le prix. Ceux-ci se sentent de plus en plus exploités par le groupe «pirate» autoproclamé, comme le montrent les recherches de Blick. Une demi-douzaine d'employés du centre logistique de Digitec Galaxus à Wohlen, dans le canton d'Argovie, affirment indépendamment les uns des autres que les conditions de travail sont devenues en partie inacceptables.

Fabrizio*, qui y travaille depuis cinq ans, décrit son sentiment: «Quand j'ai commencé, on pouvait faire une erreur sans que cela soit immédiatement transformé en drame. On tenait compte des collaborateurs plus âgés ou en difficulté. Maintenant, au contraire, tout est axé sur la performance.» Il ne s'agit plus que de la satisfaction des clients et pour cela, la pression sur les collaborateurs augmente constamment.

Martina*, également dans l'entreprise depuis cinq ans, donne un exemple concret: «Avant, il fallait scanner 70 articles par heure à la réception des marchandises. Aujourd'hui, l'objectif est de 205 articles par heure.» Certes, cela s'explique aussi par le fait que les processus ont été adaptés. Mais les exigences sont devenues définitivement plus élevées.

Surveillance par un système de feux de signalisation

Les chiffres pour l'ensemble de l'entreprise étayent cette perception: en 2017, Digitec Galaxus a réalisé un chiffre d'affaires de 995'000 francs par personne, en 2021, cette valeur était de 1'205'000 francs.

Qui scanne combien d'articles est systématiquement surveillé par un système de feux de signalisation. Si l'on parvient à scanner 205 articles par heure ou plus, le feu est vert. Entre 195 et 204 articles, il passe à l'orange. Si l'on reste en dessous, on tourne au rouge. Martina: «Celui qui n'atteint pas l'objectif de 205 articles par heure sur une longue période a un problème.» Des personnes qui n'ont pas atteint leurs objectifs pendant trois ou quatre mois ont été licenciées.

Pour éviter d'en arriver là, les employés sont tenus en laisse. Alors que les bureaux suisses jouissent de nouvelles libertés grâce au télétravail, le régime de Wohlen met de plus en plus en galère ses employés. «On est toujours sous surveillance», dit Julie*, qui travaille ici depuis deux ans. Les chefs d'équipe auraient dans leur bureau des fenêtres d'où ils peuvent tout voir. «Si on parle deux ou trois minutes avec quelqu'un, le chef d'équipe arrive tout de suite et dit: 'Nous avons assez de travail'.»

Téléphoner au travail n'est pas non plus bien vu et, selon le chef, c'est même interdit, ajoute Martina. «Celui qui doit aller aux toilettes ou qui veut fumer une cigarette est en outre tenu d'annoncer son départ à son supérieur. Pour fumer, il faut bien sûr aussi pointer.» Toujours est-il qu'il y a quelques semaines, la commission d'entreprise a obtenu que les collaborateurs de la réception des marchandises ne soient plus obligés de pointer lorsqu'ils veulent aller chercher de l'eau pour leur gourde.

La vie privée en souffre

Un autre problème est toutefois resté: Comme Digitec Galaxus se développe si rapidement, il arrive souvent à la réception des marchandises plus d'articles qu'il n'est possible d'en traiter en cinq jours. On demande donc régulièrement six jours de travail - et ce, généralement à très court terme. Fabrizio: «On nous dit par exemple le jeudi qu'il ne sera pas nécessaire de travailler ce samedi. Et le vendredi, on nous dit tout à coup que si, nous devons quand même venir le samedi.» Théoriquement, les employés peuvent refuser de travailler un sixième jour, mais ne peuvent en pratique guère s'y opposer, surtout s'ils ont a des heures en moins. «La vie privée en souffre naturellement. Il est impossible de faire des projets pour le week-end.»

L'activité est encore plus intense dans la «Pick Tower», où les paquets des clients sont préparés. «Ici, il faut être particulièrement zélé pour respecter les consignes», nous confie Julie, qui est déjà passée par plusieurs services. Lorsqu'un collègue de la réception des marchandises s'est rendu pour la première fois dans la Pick Tower, il lui a demandé: «Pourquoi tout le monde court-il ici?» Julie a déjà vu quelqu'un s'effondrer au travail. Mais elle ne sait pas combien de fois cela s'est déjà produit.

Larissa* a une meilleure vue d'ensemble à cet égard. Elle est secouriste d'entreprise et voit donc beaucoup de cas. Elle explique: «C'est surtout en été que quelqu'un s'effondre tous les deux jours, en particulier au packing, où il fait parfois très chaud et où le travail peut être très éprouvant physiquement».

Aération par à-coups et utilisation d'un groupe frigorifique

Ces déclarations choquent. Des employés de la logistique qui s'effondrent sont-ils vraiment le prix à payer pour que nous recevions notre paquet dans la boîte aux lettres dans les 24 heures?

Digitec Galaxus est au courant de tels incidents et ne les conteste pas: «En 2020 et 2021, le centre logistique de Wohlen a connu à chaque fois une trentaine de cas documentés de nausées, de problèmes circulatoires ou de tension artérielle, pour lesquels un ou une sanitaire d'entreprise est intervenu», déclare le porte-parole Stephan Kurmann. On constate une certaine recrudescence en juillet. «Nous supposons que cela est dû au fait qu'il fait très chaud en été dans le secteur de l'emballage.»

Digitec Galaxus a déjà pris des mesures: En plus de l'aération obligatoire et de l'utilisation d'un groupe frigorifique, des ventilateurs ont été installés sur les postes de travail. De plus, des fontaines à eau ont été installées pour que les collaborateurs puissent s'hydrater suffisamment.

Le commerçant en ligne souligne qu'il prend de tels cas très au sérieux. En même temps, l'entreprise est d'avis que le nombre de cas de ces dernières années est faible pour une entreprise de logistique. «Le nombre de cas dans la logistique est aussi élevé que dans les bureaux», affirme Stephan Kurmann. De plus, les chiffres sont restés stables, malgré le doublement du nombre de collaborateurs. L'entreprise minimise les chiffres: «Sur un total d'environ 100'000 jours de travail effectués chaque année dans notre centre logistique, 30 cas signifient que, sur 0,03% de tous les jours, quelqu'un souffre de nausées, de problèmes circulatoires ou de tension artérielle.»

Pas d'intérêt pour le personnel qualifié

A Wohlen, les personnes concernées sont pour la plupart des employés temporaires. Ceux-ci sont généralement engagés fin août et formés le plus rapidement possible pour la grande ruée du Black Friday et de Noël. «Ils ne sont là que pour quelques mois et sont les plus mal lotis», explique Fabrizio.

Larissa rend les chefs de groupe en premier lieu responsables: «Certains font tout pour tirer encore plus des temporaires. Ils disent: 'Hé, si tu fais des efforts, tu auras un contrat fixe'. Alors qu'ils savent très bien que c'est tout sauf sûr.» En règle générale, les temporaires doivent repartir fin janvier. En août, recommence la valse en faisant à appel à 200 ou 300 nouvelles personnes.

Les collaborateurs avec lesquels Blick s'est entretenu considèrent le grand nombre de temporaires comme l'un des problèmes fondamentaux de Digitec Galaxus: «L'entreprise n'a tout simplement pas intérêt à avoir plus d'employés fixes», estime Larissa. Car cela diminue la flexibilité. «Les temporaires peuvent être engagés partout, que ce soit à la réception des marchandises, à la tour de prélèvement ou à l'emballage, là où on a besoin d'eux. Et ils ne se plaignent pas, car ils dépendent du travail et de l'argent.»

Une atmosphère de travail positive?

Le porte-parole de l'entreprise, Stephan Kurmann, se défend de ces reproches: «Nous essayons d'employer le plus grand nombre possible de collaborateurs avec un poste fixe. Mais nous avons aussi besoin de collaborateurs temporaires pour pouvoir faire face aux fortes fluctuations.» Depuis 2020 jusqu'à aujourd'hui, Digitec Galaxus a repris 400 temporaires dans des emplois fixes, ce qui représente 55% de tous les collaborateurs que l'entreprise a engagés pour une durée déterminée au cours de ces années.

Stephan Kurmann souligne en outre que l'ambiance de travail au centre logistique de Wohlen est majoritairement perçue comme positive: «Les résultats de la dernière enquête auprès des collaborateurs de 2021 montrent que la satisfaction de nos collaborateurs se situe à un niveau élevé par rapport au marché et qu'elle a augmenté par rapport à l'année précédente.»

Les collaborateurs avec lesquels Blick s'est entretenu ne font toutefois pas confiance aux résultats des sondages auprès des collaborateurs. Ils affirment que ceux-ci ont été en partie remplis en présence des chefs d'équipe et que de nombreuses personnes n'osent donc pas faire part de leur mécontentement. D'une manière générale, au moins une partie des employés de Wohlen a le sentiment de ne pas être entendue par leurs supérieurs. C'est la raison pour laquelle ils ont décidé d'en parler publiquement. Larissa, sanitaire d'entreprise, en est convaincue: «Je ne pense pas que la direction de Zurich sache ce qui se passe à Wohlen.»

À présent, tout le monde devrait être au courant (du moins s'ils lisent Blick). La question est de savoir comment les capitaines de la ville de la Limmat vont réagir à l'appel de détresse en provenance d'Argovie.

* Noms modifiés

(Adaptation par Jocelyn Daloz)


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