Des médecins qui cherchent désespérément des lits libres aux soins intensifs pour les patients Covid. Des politiciens qui discutent de mesures de plus en plus sévères. Un conseiller fédéral en charge de la santé qui parle d’une nouvelle vague en fronçant les sourcils. Tout cela a un air de déjà-vu, non?
Pourtant, tout ne pourrait être plus différent, et ce à cause de la présence, en grandes quantités, de vaccins. De nombreux Suisses s’y refusent encore.
Pour ne pas creuser plus un fossé déjà au centre des préoccupations, les politiques ont jusqu’à présent été réticents à l’idée de critiquer trop ouvertement les personnes non vaccinées. Il y a trois semaines encore, Berset qualifiait de «bizarre» le débat sur l’extension du certificat Covid. Il jouait certainement à l’innocent mais son intention était claire: ne pas exercer une pression inutile sur les non-vaccinés, de peur que cela s’avère contre-productif.
C’était il y a trois semaines. Depuis, les soins intensifs des hôpitaux sont à nouveau proches de la saturation. Dans les lits, intubés, se trouvent pour la majorité des cas des personnes non-vaccinées.
La donne a changé et le ton monte
Les propos de Lukas Engelberger sont révélateurs de ce changement d’humeur. Depuis le début de la pandémie, le président de la Conférence des directeurs cantonaux de la santé (CDS) joue le rôle de médiateur entre la Confédération et les cantons, entre les autorités et la population.
«Nous avons servi la vaccination sur un plateau d’argent», a-t-il récemment déclaré. «C’est maintenant aux citoyens de profiter de cette opportunité. Ceux qui ne le font pas se retrouveront socialement mis de côté, ce qui est préjudiciable pour soi-même comme pour la société dans son ensemble.»
Mardi, Patrick Mathys, le gestionnaire de crise de l’OFSP a également contredit l’affirmation fréquemment mise en avant selon laquelle les hôpitaux n’ont jamais été surchargés. «Bien sûr que les hôpitaux étaient surchargés!» a-t-il déclaré aux médias sur un ton inhabituellement vif. «Une surcharge ne signifie pas que les gens meurent devant l’hôpital. Une surcharge signifie que nous nous retrouvons dans une situation où l’efficacité des soins ne peut plus être assurée.»
L’extension de l’application du certificat Covid semble donc être l’étape suivante. Il y a peu de temps encore, une telle proposition n’aurait pas obtenu un soutien majoritaire au sein du Conseil fédéral. Celui-ci a pourtant été rejoint par les exécutifs cantonaux.
Le constat de Mauro Poggia
Le changement d’humeur des autorités n’est cependant pas une coïncidence et ne fait que refléter l’humeur de la population, alors que 65% des personnes de plus de douze ans ont reçu au moins une dose de vaccin (57,1% de l’ensemble de la population).
Personne ne peut en témoigner mieux que Mauro Poggia, le Conseiller d’Etat genevois en charge de la santé, qui adopte une ligne dure dans la lutte contre le virus et a même suggéré que les patients Covid non-vaccinés paient eux-mêmes une partie de leur séjour en cas d'hospitalisation.
L’élu MCG note que les rapports de force sont différents, notamment sur les réseaux sociaux. «Ils y a encore quelques mois, c’étaient surtout des opposants à la vaccination qui réagissaient à mes posts. Et de manière très agressive.»
Cela a changé. «Aujourd’hui, lorsque je poste quelque chose sur les réseaux sociaux, de plus en plus de personnes s’expriment publiquement contre les opposants à la vaccination. Les vaccinés perdent patience, indique-t-il. Ils réalisent que le retour à la normale tant attendu est retardé par les anti-vaccins.»
Aussi dans les milieux économiques et ruraux
Entre-temps, les milieux économiques sont également sortis de leur torpeur. Pour la première fois depuis que les vaccins sont autorisés en Suisse, l’association patronale et l’association professionnelle ont recommandé publiquement la vaccination cette semaine.
Même dans les zones rurales, considérées comme plus conservatrices et donc anti-vaccins, les défenseurs de la vaccination commencent à sortir du bois. C’est ce qu’a vécu le conseiller national zurichois UDC Mauro Tuena. Alors qu’il visitait une fête de village dans la campagne zurichoise le week-end dernier, il a entendu dire: «J’espère que vous avez tous été vaccinés! Et si vous n’êtes pas vaccinés, vous êtes des connards.»
Ou encore: «On doit tous porter ce fichu masque à cause de ceux qui refusent de se faire vacciner!» Marco Tuena a été surpris de ces propos. «C’était la première fois que j’entends des choses pareilles par ici», s'étonne-t-il.
Les coronasceptiques ne s’avouent pas vaincus
Le médecin cantonal bâlois Thomas Steffen fait un constat similaire: «Beaucoup de gens me disent qu’ils se font vacciner pour ne pas faire traîner l’épidémie. Beaucoup ont l’impression qu’ils n’ont pas le choix.»
Et pourtant, un noyau dur de coronasceptiques continue de se mobiliser contre la vaccination. Des mouvements civils comme «Mass-Voll» mettent en garde contre un «totalitarisme sanitaire» en vue d’une éventuelle extension du certificat Covid.
Casimir Platzer ne veut pas aller aussi loin. Néanmoins, le président de Gastrosuisse s’oppose farouchement à l’idée qu’un certificat Covid soit à l’avenir nécessaire pour se rendre dans un restaurant. Selon Platzer, cela menacerait de «diviser la société». Il ne s’est pas fait que des amis. Le directeur de la santé de Lucerne, Guido Graf, a déclaré que «l’obstructionnisme constant de Platzer a mené beaucoup de gens à l’hôpital».
Et de citer en exemple le FC Lucerne, qui a introduit l’obligation du certificat Covid lors des matches à domicile. «Cela ne pose aucun problème alors qu’il y a plus de 13’000 spectateurs dans le stade», affirme-t-il. «Et il dit que c’est un problème de l’appliquer dans les restaurants?»