Journée des malades
Que vaut la vie lorsque la mort approche?

Pour sa 83e édition, la Journée des malades s'interroge sur la qualité de vie lorsque la mort approche. Jacques, 58 ans et atteint de sclérose latérale amyotrophique (SLA), témoigne de l'importance du facteur humain. Une étude est en cours au CHUV.
Publié: 07.03.2022 à 06:45 heures
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Dernière mise à jour: 07.03.2022 à 07:31 heures
«Je considère la mort comme une fin prématurée», témoigne Jacques, 58 ans.
Photo: DR
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Lorsqu’il n’y a pas Johann Schneider-Ammann pour faire rire, même hors de nos frontières, la journée des malades passe un peu inaperçue. Pourtant, plus de deux millions de personnes souffrent d’une maladie chronique en Suisse, soit un quart de la population, rappelle le communiqué de presse envoyé à l’occasion du 6 mars.

Cette journée est organisée par l’association du même nom depuis plus de 80 ans pour sensibiliser la société à un thème lié à la maladie. Comme le veut la tradition, c’est le président de la Confédération en personne, Ignazio Cassis, qui adresse une allocution. Voilà qui tombe bien: le Tessinois est médecin au civil.

Après deux ans de pandémie qui nous ont «rappelé brutalement notre finitude», l’accent a été mis sur la qualité de vie, même lorsque la maladie gagne du terrain. «Parfois, la douleur prend tellement d’importance qu’elle ne laisse presque plus de place pour le reste. Or, trop souvent, les gens se focalisent sur le négatif», écrit l’association, qui veut inciter les malades à «dépasser leurs angoisses».

«Je n'ai aucun tabou»

Voilà pour la théorie et les communiqués. Dans la réalité, ce n’est pas toujours aussi facile. En particulier lorsqu’il faut prendre son téléphone pour contacter Jacques, bientôt 58 ans. L’habitant de Mathod (VD) fait partie de ce quart de la population souffrant d’une maladie chronique. Sa voix posée et calme ne le laisse pas transparaître, mais il est très atteint dans sa santé depuis que trois lettres empoisonnent son quotidien: SLA, comme sclérose latérale amyotrophique.

«Allez-y, posez toutes vos questions, je n’ai aucun tabou», rassure notre interlocuteur face à nos hésitations. «Tout a commencé en 2019, commence le binational franco-suisse. Je ressentais beaucoup de fatigue, j’avais des fasciculations (tremblements, ndlr.) et de la peine à respirer. Mes médecins ont d’abord cru que c’était une conséquence d’un accident de vélo survenu quelques mois plus tôt, mais cela durait bien trop longtemps.»

Et puis soudain, en octobre 2019, le diagnostic. Et le choc. «J’ai eu beaucoup de mal à m’en remettre, se souvient Jacques, qui marque une pause au téléphone. Mon premier réflexe, ça a été de réfléchir à Exit…» Très vite, les médecins lui annoncent qu’il n’y a aucune possibilité de soigner sa maladie, dégénérative. Jacques veut connaître la réalité, pose la question de son espérance de vie. «Ils étaient très empruntés, n’ont pas voulu me donner de réponse précise. Et puis un a dit: ‘Vous savez, certains tiennent jusqu’à 10 ans après le diagnostic…’»

Un soutien psychologique

Le professeur à la Haute école d'Ingénierie et de Gestion d’Yverdon se ressaisit, fait quelques recherches et détermine que la moyenne est plutôt entre deux et quatre ans. «Nous sommes en mars 2022, faites le calcul!», nous souffle Jacques, sachant pertinemment ce qu’il venait de nous passer par la tête. Le Vaudois est un exemple de résilience. Il continue d’enseigner à 20% alors que son état ne lui permet plus de s’alimenter seul ou d’écrire, par exemple. S’habiller est devenu un immense effort. «J’ai été très bien suivi sur le plan psychologique, et ma famille me soutient énormément. Il y a eu des moments très difficiles, mais nous parlons régulièrement de la maladie, c’est nécessaire», raconte Jacques.

En écho à la Journée des malades, ce père de deux enfants (25 ans et 22 ans) assure qu’il est fondamental de positiver autant que faire se peut. «Je suis quelqu’un qui essaie toujours de voir le bon côté des choses. Le moral a une importance cruciale dans ces cas-là, et je suis persuadé qu’il a un impact sur le physique», souffle Jacques. Après s’y être longtemps refusé, le Vaudois a participé récemment à un appel en visioconférence avec d’autres malades. Son énergie et sa façon de voir les choses a eu un effet sur d’autres patients combattant le SLA.

Le professeur à l'HEIG-VD explique être très vite essoufflé.
Photo: DR

Le rire comme arme

Après quelques minutes de téléphone et un lien de confiance avec notre interlocuteur, nous tentons la question taboue: «et la mort?» Là encore, Jacques laisse échapper un rire. «Ah, je vous rassure, je n’ai pas du tout envie de mourir!» L’enseignant, croyant mais pas pratiquant, préfère la considérer comme un «arrêt prématuré». «L’avantage, poursuit-il, c’est que j’ai pu prendre conscience de la valeur des choses, ne serait-ce que prendre mes enfants dans mes bras.»

Jacques et sa famille font plus que cela. Pendant les vacances de Noël, tous les quatre sont partis voir des aurores boréales en Laponie. Et l’Islande est déjà prévue cet été. «Je ne suis pas quelqu’un qui a une liste de choses à faire avant de m’en aller. Mais j’ai envie de profiter au maximum des contacts humains.» Avec son énergie positive, Jacques a surmonté tous les défis d’un vol en avion: muscles qui s’engourdissent, mobilité, respiration limitée… «Ma doctoresse du CHUV a été fantastique. J’ai pu raconter ce voyage aux autres patients et ils ont été bluffés», s’enthousiasme le citoyen de Mathod, très fier que ses enfants aient pu l’aider à se déplacer en chaise roulante dans la neige, un «symbole fort».

Le malade, puisqu’il faut l’appeler ainsi, ne veut cependant pas minimiser ce qui lui arrive. Il est en contact régulier avec les soins palliatifs, a dû remplir des directives anticipées («ce que tout le monde devrait faire, mais on n’en a pas conscience en temps normal»), a beaucoup souffert de son statut de personne à risque durant le Covid et dort grâce à une machine qui l’aide à respirer. Malgré tout cela, il arrive à rire de son état. «Je ne sais pas si je le fais naturellement. Des fois je me force peut-être un peu. Mais il faut avoir du plaisir à vivre. C’est pour ça que je fais partie d’un club de rire. C’est salutaire, j’ai envie de rire de ma situation et que les autres le fassent aussi.»

«Je ris volontiers de ma condition», assure le Franco-Suisse.
Photo: DR

Une étude au CHUV

La situation de Jacques est-elle significative des autres patients? «Nous en savons encore relativement peu sur ce qui peut conduire une personne à faire face à une maladie», explique Mathieu Bernard, professeur en psychologie palliative au CHUV. Selon le spécialiste, l'approche de la fin de vie fait prendre conscience de ce qui compte.

Grâce aux progrès de la médecine, les symptômes sont de mieux en mieux combattus. Ce qui laisse davantage de place pour les réflexions sur ce qui donne du sens à l'existence. «Dans cette perspective, amener les patients et leurs proches à réfléchir sur le sentiment de gratitude et à l’exprimer, par le biais d’une lettre ou oralement, peut participer à renforcer les liens», analyse le médecin.

Cet exercice est actuellement évalué par le biais d’une recherche au CHUV. Selon Mathieu Bernard, il est essentiel de ne pas négliger la maladie (en fin de vie, entre 30% et 50% des patients souffrent de symptômes dépressifs ou anxieux), mais il est important de pouvoir élargir son champ attentionnel à «ce qui va encore», afin de trouver des ressources. «On sait aujourd’hui que l’on a une tendance innée à identifier en premier lieu ce qui ne va pas et certaines données montrent qu’il faudrait trois à quatre émotions positives pour contrebalancer les effets d’une seule émotion négative.» Pas étonnant que le Pr Bernard soit surnommé «le chercheur en gratitude».

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