Femme trans depuis 27 ans
«Je ne me ferais plus opérer aujourd'hui»

Dans les années 90, Nadia Brönimann a publiquement partagé son opération chirurgicale de réassignation sexuelle. Depuis, beaucoup de choses ont changé. Elle est reconnaissante de l'évolution des mentalités, et s'estime plus heureuse que jamais dans sa vie personnelle.
Publié: 18.06.2022 à 15:14 heures
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Dernière mise à jour: 19.06.2022 à 16:50 heures
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Elle est la femme trans la plus connue de Suisse : Nadia Brönimann.
Photo: Thomas Meier
Interview: Patricia Broder

Elle est sans doute la femme transgenre la plus connue outre-Sarine: Nadia Brönimann. Il y a 27 ans, elle était au centre de l’attention publique lorsque, accompagnée d’une équipe de la SRF, elle a modifié son corps pour se conformer à son genre.

Dans un entretien avec Blick, la Schwytzoise revient sur sa vie mouvementée et explique ce qu’elle aimerait transmettre aux jeunes transgenres, ce qui l’a aidée à traverser ses heures les plus sombres et pourquoi elle ne passerait plus sur le billard aujourd’hui, tout en étant plus heureuse que jamais.

Blick: Nadia Brönimann, la Zurich Pride est placée cette année pour la première fois sous le signe des trans. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
Nadia Brönimann:
Je suis très heureuse et incroyablement reconnaissante. Avant, je n’aurais jamais osé rêver que la question transgenre soit mise en avant au sein de la société et que nous puissions nous montrer sous toutes nos facettes. Car la transidentité est beaucoup plus variée que beaucoup de gens ne le pensent. Il y a des personnes trans très différentes. Des progressistes aux conservateurs, des binaires aux non-binaires. Chaque personne a sa propre biographie individuelle. On nous trouve partout dans la société.

Vous avez subi votre réassignation sexuelle il y a 27 ans – quel regard portez-vous sur cette période?
Ces 27 ans me semblent être 100 ans (rires). C’était vraiment une autre époque. Dans les années 90, la transidentité était encore un tabou et était volontiers traitée avec sensationnalisme et voyeurisme. On nous considérait, nous les trans, comme des personnes bizarres et excentriques, on nous réduisait à l’aspect sexuel, nous associait aux milieux interlopes. Aujourd’hui, on aborde heureusement ce sujet de manière beaucoup plus nuancée. La société a fait un énorme pas en avant depuis les années 90. J’en suis très reconnaissante.

Malgré le tabou, vous aviez décidé de rendre votre histoire publique à l’époque – en toute connaissance de cause?
Oui, à la fin de la vingtaine, je n’ai pas beaucoup réfléchi à cette démarche, mais j’ai trouvé passionnant et excitant de participer à des projets télévisés ou d’écrire des livres. Mais je porte aussi un regard autocritique sur cette période. Car contrairement à aujourd’hui, je ne m’intéressais pas encore au travail de sensibilisation.

Pourtant, grâce à votre histoire, vous avez aidé de nombreuses autres personnes transgenres.
Oui, et je m’en rends compte seulement maintenant. Pendant toutes ces années, je ne me suis perçue que comme la Nadia criarde qu'on voit partout. C’est d’autant plus agréable de recevoir aujourd’hui des échos selon lesquels, malgré ma vie turbulente, j’ai vraiment aidé des gens. Cela me motive encore plus en tant qu’activiste. J’aimerais qu’à l’avenir aussi, un chemin meilleur et plus sûr soit tracé pour les jeunes trans.

Qu’entendez-vous par là?
Ma vie de jeune femme trans était autrefois solitaire, il n’y avait guère de modèles en public ou dans la vie quotidienne. Aujourd’hui, heureusement, c’est différent et il est donc plus facile de voir le côté positif de la thématique. Je souhaite utiliser et transmettre mon expérience pour aider les autres. Je veux montrer qu’une vie de trans n’est pas synonyme de chute ou d’impasse, mais que ce chemin peut aussi être puissant et beau.

Dans une ancienne interview avec Blick, vous disiez que vous regrettiez votre changement de sexe – est-ce toujours le cas?
Disons que je ne me ferais plus opérer aujourd’hui, je choisirais une autre voie. Je serais probablement non-binaire, c’est-à-dire entre les deux identités de genre. Mais je ne regrette pas mon mode de vie féminin. C’est aussi lié au fait que je ne définis plus ma féminité par mes caractéristiques sexuelles. Aujourd’hui, il existe d’innombrables possibilités d’attribution d’identité, tout un cosmos trans. Je n’avais pas ces possibilités à l’époque. Avant, tout était noir ou blanc, homme ou femme.

Des études montrent qu’environ la moitié des jeunes trans font une tentative de suicide. Vous avez vous-même tenté de vous suicider en 2004. Qu’est-ce qui vous a aidé à traverser cette période sombre?
J’ai eu beaucoup d’anges gardiens, si je peux m’exprimer ainsi. Et je suis très reconnaissante et humble de m’être toujours sortie saine et sauve de ce que je croyais être une impasse. On peut philosopher sur le fait de savoir si c’est Dieu ou la vie elle-même qui m’a aidé dans ces moments-là. Je dis: merci à la vie, tu as été si bienveillante avec moi.

Après avoir fréquentée pendant des années la vie nocturne et publique à Zurich, vous vous êtes soudainement retirée à Einsiedeln (SZ) en 2006 – pourquoi?
J’avais perdu pied et j’ai dû dire au revoir à la vie festive colorée et criarde. Je voulais aller dans la nature pour me sentir à nouveau humaine. Ce sont de bonnes années de silence dont j’avais besoin. Sinon, je n’aurais pas eu la force de revenir sur le devant de la scène aujourd’hui.

Vous avez dit dans des interviews précédentes que vous aimeriez avoir une famille, un partenaire. Avez-vous actuellement un amour dans votre vie?
Non, je suis une célibataire heureuse. Avant, j’avais toujours l’impression qu’il fallait un partenaire pour être heureuse. Mais je vois les choses différemment. Aujourd’hui, je peux dire que je suis très heureuse seule et que j’ai raison d’être ce que je suis. J’ai trouvé une grande satisfaction et un sens à ma vie. Et j’en suis très reconnaissante.

(Adaptation par Quentin Durig)


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