Embarras au Grand Conseil
Un élu de l’UDC Genève est accusé de néonazisme par son propre parti

Qu’en est-il des penchants idéologiques de ce député-suppléant UDC au Grand Conseil de Genève? Des adhérents du parti confient leur embarras. En cause: son activité sur les réseaux sociaux, et ses attaches à des groupes problématiques.
Publié: 19.12.2022 à 19:08 heures
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Dernière mise à jour: 22.12.2022 à 15:01 heures
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Le faisceau des activités sur les réseaux sociaux de l'UDC genevois Sébastien Thomas interpelle quant à ses convictions profondes…
Photo: Screenshot
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Manteau en cuir noir et cravate rouge pour se rendre au Grand Conseil de Genève, il «like» des pages ayant trait au IIIe Reich sur Facebook. Il était proche du groupe néonazi suisse Kalvingrad Patriote, jusqu’à sa dissolution en 2020 (on y reviendra). Mis à part son habillement qui attire l'œil, le député-suppléant UDC se fait assez discret. Il siège et vote régulièrement au parlement aux côtés de ses collègues de parti, ne prenant que très rarement la parole.

Mais le jeune homme fait parler de lui en coulisses, y compris à l’interne de son propre parti, a appris Blick. Pour un certain nombre d’élus ou d’adhérents à l’UDC, ainsi que des politiciens d’autres partis, les apparents penchants idéologiques de Sébastien Thomas font tache. Ils et elles sont venus nous confier leurs craintes et leur embarras sous couvert d’anonymat*.

«J’ai tout de suite senti que quelque chose n’allait pas chez lui. Il a des idées très radicales», nous confie une personne membre de l’UDC Genève. Un autre politicien nous parle des «convictions douteuses» de celui qui est aussi élu au conseil municipal (législatif) de Thônex, sans vouloir donner d’exemples concrets.

À l’origine de ces préoccupations? L’apparente proximité du jeune homme avec des mouvements d’extrême droite, son activité sur les réseaux sociaux (on y reviendra), et même son habillement. Il n’y a pas qu’au Grand Conseil que l’élu arbore un style quelque peu déconcertant: «Un de ses collègues du conseil municipal de Thônex m’a déjà fait des remarques sur sa façon de se tenir et de s'habiller, confie une personne haut placée à l’UDC Genève. Le grand manteau noir en cuir, la cravate rouge… Ça gêne les gens. Il avait même été remis à l’ordre à ce propos.»

«Mein Kampf» et rock néonazi

Des rumeurs et un style vestimentaire ne suffisent pas à accuser quelqu’un de sympathiser avec le néonazisme. Mais le faisceau de ses activités sur les réseaux sociaux interpelle.

Sur Facebook, parmi ses mentions «J’aime», on trouve des pages de médias, de partis politiques et de concepts historiques. Mais le politicien «like» aussi des pages telles que celle de la Légion 88, un «un groupe de rock anticommuniste néonazi français», selon la description qu’on peut lire sur cette dernière (voir captures d’écran). Ainsi que de nombreuses pages consacrées à l’Allemagne nazie en guerre: celle de la 28e division SS Wallonie, qui était la troupe nazie «composée de volontaires belges francophones issus du rexisme», selon la description de la page. Celle de la Luftwaffe 1933-45, l’armée de l’air de l'Allemagne nazie. Celle des Africa Korps, les troupes nazies envoyées en Afrique pendant la Seconde guerre mondiale. Ou encore celle consacrée à l’Iron Cross (1813-1939), une décoration militaire octroyée sous l’Allemagne nazie.

En 2019, le média suisse de gauche radicale «Renversé» avait dénoncé le politicien genevois, lequel aurait attribué la note maximale de 5 étoiles au livre «Mein Kampf» sur Facebook. Ainsi que pour avoir partagé un post du politicien français Jean-Yves Le Gallou, proche de certains négationnistes, sur le même réseau social. Sébastien Thomas avait également partagé une publication du Parti Nationaliste Suisse qui qualifie l’écrivain Bernard-Henri Lévy, cible régulière des antisémites, d’«envoyé de Soros-Rotschild» la même année (voir captures d’écran).

Des fréquentations douteuses

Toujours sur les réseaux, ceux qui «likent» la photo de profil du pâtissier de profession affichent des orientations idéologiques pour le moins explicites (voir captures d’écran). L’un d'eux arbore par exemple le drapeau de la Phalange espagnole en guise de photo de profil (ndlr: organisation politique nationaliste d'obédience fascisante fondée en 1933). Un autre ami Facebook du jeune homme se plaint quant à lui sur son profil du fait que le réseau social a censuré une photo où il porte un déguisement de militaire nazi.

Puis, il y a les fréquentations douteuses de l’élu dans la vraie vie. Plusieurs sources, dont des membres de l’UDC et une association spécialisée dans la lutte contre les discriminations, nous confirment que Sébastien Thomas était proche du groupe d’extrême droite Kalvingrad Patriote jusqu’à sa dissolution en 2020. Il partageait leurs publications sur les réseaux, selon nos sources.

L’association de lutte contre les discriminations, que nous avons consultée pour vérifier nos informations, affirme également que Sébastien Thomas est ami avec le détenteur d’un site de vente d’objets nazis. Mis tous ensemble, ces éléments interrogent.

Déjà remis à l’ordre

Selon nos sources, le bureau central de la section genevoise du parti connaît les soupçons qui pèsent sur l’idéologie de Sébastien Thomas. «On est plusieurs à s'être déjà inquiétés de ses convictions», déclare une personne du parti.

Il y a eu une tentative de mettre Sébastien Thomas à l’écart, sous l’égide de la section des Jeunes UDC Genève. Selon une source, en 2018, ils avaient adressé un courriel à Sébastien Thomas et à un autre politicien soupçonné d’extrémisme, qui lui s’est retiré depuis, ainsi qu’au bureau central du parti. La lettre, co-signée par trois membres du parti, témoignait de l’inquiétude et du malaise de certains membres.

Un interlocuteur hiérarchiquement haut placé à l’UDC Genève confirme que des préoccupations de ce type sont en effet remontées à la tête du parti entre 2018 et 2019, sans se souvenir sous quelle forme exactement. La même personne ajoute que la section des jeunes avait pris des mesures de «remise à l’ordre» de Sébastien Thomas par la suite. À notre connaissance, il n’a cependant jamais été sommé de démissionner.

Juste un fan d’histoire?

Confronté aux éléments ci-dessus, Sébastien Thomas a été invité à s’entretenir avec nous par téléphone, ou à prendre position par écrit. Il a choisi de nous répondre par email. Il se défend de toute proximité idéologique avec le néonazisme.

Il déclare: «Je ne suis nullement responsable des posts réalisés par mes amis Facebook et ne suis pas là pour les remettre à l’ordre là-dedans. Je suis le premier à respecter et à défendre la liberté individuelle (…) de chacun, tant qu’elle ne représente pas une menace pour la sécurité de notre État et le respect de nos lois.»

Quant à ses propres «likes» et posts sur les réseaux, le politicien rétorque qu’il est simplement «passionné par l’ensemble de l’histoire de l’humanité». «J’aime m'instruire et m’informer en permanence pour mieux comprendre et analyser les causes les plus sombres de notre histoire», avance-t-il. Ceci apparemment pour «éviter que cela ne se reproduise à notre époque, et prévenir les foyers de haine (…), quitte à risquer ma sécurité personnelle pour y parvenir. Je fais cela depuis longtemps.» Ainsi, Sébastien Thomas serait-il en réalité un antifasciste infiltré dans des communautés d’extrémistes? C’est ce que sous-entend le principal intéressé.

Il qualifie les inquiétudes de nos sources de rumeurs qui «frôlent le dénigrement, la jalousie, et la diffamation – qui sont des choses courantes au sein d’un parti politique». Tout en réitérant son engagement pour son mandat: «Je suis fier d’être UDC, défendre les valeurs en lesquelles je crois, et surtout de servir tous mes concitoyens.» Le politicien ne commentera pas le courrier que lui avaient adressé les Jeunes UDC, ni sa proximité avec le groupe Kalvingrad Patriote.

L’UDC va réagir

Contactée, la Conseillère nationale et présidente de l’UDC Genève, Céline Amaudruz, a choisi de prendre position, également par écrit: «L’UDC Genève va interpeller formellement M. Sébastien Thomas pour lui demander de se déterminer sur la dignité fondamentale de chaque être humain, et en le confrontant avec les différents éléments que vous m’avez transmis (ndlr: les captures d’écran ci-dessus).»

Sans pour autant garantir que l’élu sera mis sur la touche: «Notre parti se déterminera sur la suite à donner sur la base des réponses qu’il recevra de M. Thomas, ajoute-t-elle. Aucune issue n’est réservée à ce stade.» Celle qui est aussi vice-présidente de l'UDC Suisse, et à qui on prête des velléités de succéder à Guy Parmelin au Conseil fédéral, était-elle au courant de tout cela, avant notre courriel? Céline Amaudruz ne souhaite pas commenter ce point.

Et de souligner la position générale de son parti: «Je souhaite clairement rappeler (…) que l’UDC est un parti démocratique qui ne tolère aucune sympathie pour des idéologies qui nient la dignité fondamentale de chaque être humain.»

*Afin de protéger nos sources, nous ne précisons pas non plus leur statut au sein de l’UDC Genève. Toutes les identités sont connues de la rédaction.

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