Comment gérer ses pulsions?
«Je suis pédophile et je veux aider les autres à ne pas passer à l'acte»

Ce pédophile romand est attiré par les fillettes depuis son adolescence. Il a fait de la prison après avoir échangé des photos de ses enfants en ligne. Il n'a plus jamais rechuté. Il raconte comment il gère ses pulsions et témoigne dans un but de prévention.
Publié: 20.06.2022 à 06:22 heures
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Dernière mise à jour: 21.06.2022 à 10:36 heures
«Peut-être que je ne serais jamais allé aussi loin si j’avais trouvé une oreille professionnelle pour m'écouter. Être seul avec soi-même, ce n’est jamais bon.»
Photo: Amit Juillard
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Amit JuillardJournaliste Blick

Blick publie ce témoignage — qui peut choquer certaines sensibilités — dans un but de prévention des actes pédocriminels et des drames humains qui en découlent. Il s’agit également de tenter de mieux comprendre l’attirance sexuelle pour les mineurs que peuvent ressentir certaines personnes dans notre société.

Si vous ressentez des pulsions de ce type, vous pouvez demander de l’aide et ainsi éviter de franchir les lignes rouges. En Suisse romande, l’association DIS NO saura vous accueillir (helpline: 0800 600 400), vous tendre la main et vous réorienter vers d’autres spécialistes au besoin. Cette structure fait aussi de la prévention auprès des parents et des enfants.

Si vous ressentez le besoin d’un suivi psychothérapeutique, vous pouvez par exemple également vous adresser à l’unité de sexologie des Hôpitaux universitaires genevois (HUG).

Si mon récit pouvait éviter ne serait-ce qu’un seul drame…

«Je suis excité sexuellement par les fillettes en photo, jamais par celles physiquement présentes devant moi. Je n’ai jamais touché une enfant de manière sexuelle. Mais j’ai fauté. La pédophilie vous fait faire des choses ignobles. On n’en guérit jamais, mais on peut apprendre à vivre avec. Si je témoigne aujourd’hui, c’est pour dire aux gens comme moi qu’ils peuvent trouver de l’aide et ainsi éviter de passer à l’acte. Parler de sa condition à des personnes formées, ça aide vraiment. Si mon récit peut éviter ne serait-ce qu’un seul drame, il aura déjà servi à quelque chose. C’est pour ça que j’accepte de prendre ce risque aujourd’hui. Nous devons protéger les enfants de notre société. Je suis aussi un père.

Vous vous demandez sans doute pourquoi et comment on devient pédophile. D’où ça vient. Je ne le sais pas. C’est une orientation sexuelle (ndlr: les spécialistes valident cette façon de parler, mais le terme psychiatrique est «trouble paraphilique»), malheureusement très problématique. J’ai eu une enfance normale, sans violence, sans gros problème, une stabilité scolaire et personnelle, avec des parents encore ensemble aujourd’hui… Quand j’ai découvert mon attirance pour les corps féminins juvéniles, je me suis dit: «Merde».

Je me rappelle, c’était à la puberté. Avec les copains, on achetait nos premiers magazines érotiques. Les New Look, Playboy et autres. Et je me suis rendu compte que je ne fantasmais pas sur les gros seins de Samantha Fox comme mes potes. Moi, je préférais la jeune Jane Birkin, plus plate. Il n’y avait pas internet à ce moment-là pour pouvoir assouvir ces pulsions ou les explorer. À part ces magazines. Dans les années 1980, on était encore à l’époque du photographe David Hamilton qui prenait des clichés suggestifs de très jeunes filles.

Aussi attiré par des personnes de son âge

Et puis, dans des magazines pornographiques, voire érotiques, il y avait des pages de publicité pour commander des magazines pédophiles aux Pays-Bas ou dans le nord de l’Europe. Et rien n’était caché! On voyait des fillettes nues, les jambes écartées, etc. Dans ces périodiques, c’est ce qui m’intéressait. C’est terrible et ignoble, mais c’était en vente libre! Je me souviens d’avoir découpé ces pages de pub pour des magazines pédopornographiques. Ça m’a fait fantasmer pendant longtemps.

Je me rends donc compte que je suis attiré par des enfants et des ados plus jeunes. À l’adolescence, comme durant toute ma vie, je n’ai jamais eu de pulsion pour un enfant en face de moi. Je savais que j’avais un problème et je me demandais d’où il pouvait venir. Et j’en souffrais.

Enfin, oui et non. Parce que j’arrivais à me satisfaire avec des copines de mon âge. Au contraire d’autres personnes, je ne suis pas exclusivement pédophile, j’ai la chance, entre guillemets, d’être également attiré par les personnes de mon âge. Je me suis d’ailleurs remarié et je suis heureux dans mon couple aujourd’hui.

Les forums pédocriminels sur internet

Je m’étais marié une première fois, j’ai eu des enfants, pour lesquels je n’ai jamais ressenti de désir sexuel. Pour moi, la pédophilie, ça a toujours été avec des images, dans le fantasme. Et ça a fini par déraper.

C’est avec les débuts d’internet que les problèmes ont commencé à grandir. Après quelques années de vie en commun, quand ma femme regardait la télé, je lui disais que j’allais jouer à l’ordinateur. Je me suis rapidement intéressé au web parce que c’était de notoriété publique qu’on pouvait y trouver des images interdites, notamment pédopornographiques.

C’était avant Windows 95! Et il fallait bien dix minutes pour télécharger une image. J’allais sur des forums où on échangeait essentiellement des images et des récits. Au début, j’avais surtout besoin de parler avec d’autres personnes comme moi. On ne parle pas de ça avec son entourage, c’est impossible. Il y avait encore un anonymat très efficace à l’époque. La police n’était alors pas équipée d’ordinateurs. Y avait un sentiment d’impunité totale… Heureusement, ça n’est plus le cas depuis longtemps.

Malsain et ignoble

En ligne, j’ai rencontré des personnes qui vivent la même chose, à différents degrés. Des individus moins en proie à des pulsions que moi, d’autres plus en proie. Il y avait aussi des gens qui n’avaient pas de retenue vis-à-vis de leurs enfants et qui vous l’exposaient ouvertement. Des personnes qui faisaient la promotion de la pédophilie, qui voulait que ce soit normal et légal comme en Grèce antique. Des pédophiles militants. Et là, il y a eu des clashs: je n’ai jamais été d’accord avec ce discours. Y a des choses choquantes, des confrontations.

«Pendant tout ce temps, je souffrais de mon orientation sexuelle. Si j’avais pu avoir une baguette magique pour changer ce problème, j’en aurais choisi un autre.»
Photo: Amit Juillard

Moi qui avais des enfants, je n’aurais pas pu imaginer qu’ils aient une relation avec un adulte. Je voyais bien que ça ne jouait pas. C’est malsain, c’est ignoble! Je me suis pris la tête avec ces mecs. Je n’acceptais pas la promotion ou le passage à l’acte: c’est quelque chose qui m’a toujours choqué. Et d’un autre côté, j’étais à la recherche d’images de tout type.

On a commencé à s’échanger des images de nos enfants respectifs. Je les prenais en photo au sortir de la douche pour les envoyer aux autres et vice-versa. Le numérique commençait. Et je suis tombé dedans. Je précise: je n’étais pas excité par les images de mes propres enfants. Je profitais de le faire le samedi après-midi, quand ma femme n’était pas à la maison, par exemple. Petit à petit, je me suis construit une banque d’images sur une disquette.

Comme une drogue

Pendant tout ce temps, je souffrais de mon orientation sexuelle. Si j’avais pu avoir une baguette magique pour changer ce problème, j’en aurais choisi un autre. Très honnêtement. Ces attirances sont là, c’est comme ça. C’est comme une drogue. C’est comme fumer. Plus le temps passe, plus on s’accoutume, plus on en veut. C’était devenu une véritable addiction qui bouffait ma vie. Mon couple, aussi.

Bref, j’ai fini par arrêter le jour où j’ai senti une certaine pudeur chez mes enfants. Ce n’est que deux ans après, que je me suis fait arrêter. Au début des années 2000, dans le cadre d’une immense enquête internationale, la police est tombée sur le forum où j’avais été actif. Ça faisait deux ans que je n’y allais plus. Mais le mal était fait, le délit était là. La police est arrivée à 5h du matin, a réveillé tout le monde. Et le soir, je dormais en prison. C’est normal.

Pour la famille, c’est un sacré électrochoc familial, tout explose. Ma femme a découvert ce que je faisais d’ignoble à ce moment-là. Les enfants ne lui en avaient jamais parlé. Sans doute parce qu’ils n’avaient pas trouvé mon attitude malfaisante. Tout part en éclats. La vie professionnelle, la vie familiale.

Peine de cinq ans de prison

Au jugement, j’ai pris pratiquement cinq ans. Et, ce qui était étonnant, c’est qu’il n’y avait pas d’obligation de soins. Heureusement, c’est de moins en moins le cas maintenant. Finalement, j’ai quand même eu un suivi médical à partir de la fin de ma peine, lorsqu’elle a été aménagée.

Pour sortir, j’ai dû accepter une obligation de soin. La pédophilie ne se soigne pas, il n’y a pas de médicament miracle, mais on vous apprend vraiment à vivre avec. Je le recommande à toute personne qui se sentirait prête à passer à l’acte: demandez de l’aide avant d’aller sur les forums en ligne ou de faire du mal à un enfant! Les thérapies peuvent vous permettre d’avoir une vie plus ou moins normale. À l’époque, j’avais essayé de trouver de l’aide, mais il n’y avait rien. Aujourd’hui, il existe des associations et des organes étatiques qui peuvent vous aider.

«Les psys m’ont aidé à construire une boîte à outils qui permet de repérer les moments où il y a des risques de rechute. Quand j’ai des pulsions, je vais par exemple faire une randonnée en montagne.»
Photo: Amit Juillard

Des groupes de parole thérapeutiques ou un suivi psy, c’est vraiment quelque chose qui m’avait manqué. Peut-être que je ne serais jamais allé aussi loin si j’avais trouvé une oreille pour m’écouter. Être seul avec soi-même, ce n’est jamais bon. Pouvoir verbaliser ce qu’on vit et en parler, ça fait un bien fou et ça libère d’un poids.

La première fois que j’ai parlé à une psychologue

La première fois que j’ai parlé à une psychologue, ça a été un immense soulagement. Vraiment. Les psys m’ont bien aidé à mettre en place une boîte à outils qui permet de repérer les moments où il y a des risques de rechute et de faire autre chose à la place. J’ai maintenant des petits signaux d’alarme. Et quand j’ai des pulsions, je vais par exemple faire une randonnée en montagne.

Aujourd’hui, j’ai beaucoup moins de pulsions qu’avant. C’est vraiment comme quand on arrête la cigarette. C’est très difficile les premières semaines, mais ça finit par s’estomper. Et puis, cinq ans plus tard, l’envie peut réapparaître. Mais la tentation est beaucoup moins forte. Aujourd’hui, ça fait des années que je n’ai pas rechuté.

Bien sûr, il ne faut jamais dire: «Je ne replongerai jamais». Ça peut arriver: une rupture, la perte d’un emploi… Tout ça, c’est fragile et il y a des moments à risque. Je vais voir ma thérapeute quand j’en ai besoin.

Ma femme est au courant

Vous vous interrogez sûrement: ma femme actuelle est-elle au courant de cette partie de ma personnalité? La réponse est oui. On s’est rencontré entre le moment où j’étais en prison préventive et le jugement. Une période de plusieurs années. Et puis, elle a vécu toute l’incarcération. Notre mariage a tenu. Pour elle, je suis un être humain, qui a fauté. Mais elle voit aussi tout le reste de ma personnalité. Elle connaît mes bons côtés, elle sait que j’ai toutes les cartes en main pour ne pas recommencer.

J’ai une chance immense. Et elle m’aide beaucoup: comme elle connaît mon problème, automatiquement, elle ne va pas me laisser aller à l’ordi pendant qu’elle regarde la télé dans une autre pièce. C’est peut-être aussi une forme de contrôle que je recherchais. Elle est attentive. Quand elle voit que je suis un peu moins bien, elle me pose des questions. On se parle beaucoup.

Noëls en famille

Avec ma première épouse? On est en bons termes. On se voit régulièrement pour les anniversaires des enfants, pour Noël. Elle a son couple, j’ai le mien. Notre relation s’est complètement apaisée.

Elle a aussi compris que je n’avais jamais touché les enfants donc c’était plus facile. Je me suis fait arrêter quand ils avaient une dizaine d’années. Je m’entends bien avec eux aussi. Ils vont bien, ils sont adultes, ils font leur vie, sont allés à l’uni, etc. On a pu discuter de ce qui s’est passé. Ça nous permet de ne pas vivre dans le déni du passé. Ils ne me réduisent pas aux actes commis et ils ont aussi des bons souvenirs.

Aidons les gens qui ont ces pulsions!

Je comprends la violence du débat sur la pédophilie et la pédocriminalité. C’est normal, on parle de choses innommables. Moi, même en vivant avec cette problématique, en ayant fauté, dérapé, commis quelque chose d’horrible, j’aurais eu envie de tuer celui qui aurait touché sexuellement mes enfants quand ils étaient mineurs. Je suis un père. C’est normal de vouloir protéger ses enfants et tous les autres.

Mais bon, «tuez-les tous», «brûlez-les tous», ce n’est pas quelque chose de rationnellement possible. Donc travaillons en amont pour qu’il y ait le moins de problèmes possibles. Formons les enfants et leurs parents à faire attention et essayons d’éviter que les pédophiles passent à l’acte. Aidons les gens qui ont ce genre de pulsions avant de devoir aider les enfants abusés.»

La pédophilie en chiffres

Il existe peu d’études sur le nombre de personnes attirées sexuellement par les enfants. Selon le projet allemand «Kein Täter werden» («Ne pas devenir un malfaiteur» en français), il y aurait entre 0,23% et 3,8% d’hommes pédophiles, rapporte l’association DIS NO sur son site internet. D’autres études, notamment étasuniennes, parlent de 1 à 5%. Pour la Suisse, cela représenterait au moins 66’000 hommes.

Sur le plateau de «Mise au Point», magazine dominical de la RTS, le spécialiste Bruno Gravier avait estimé en 2019 que 3% de la population totale avaient des comportements pédocriminels, répréhensibles aux yeux de la loi. Certains regardent des images pédopornographiques mais ne passent pas à l'acte, avait toutefois appuyé le professeur honoraire de l'Université de Lausanne.

Mais le trouble paraphilique pédophile, selon les termes psychiatriques actuels, n’est pas la seule explication de la pédocriminalité. Parmi les auteurs d’abus sexuels sur enfants, seuls 50 à 60% seraient pédophiles. «D’autres problématiques, telles que les contextes incestuels, la dépendance à la pédopornographie ou le risque de reproduire des abus vécus dans l’enfance viennent augmenter le nombre de personnes concernées par la prévention avant le premier passage à l’acte», souligne l’association DIS NO.

Il existe peu d’études sur le nombre de personnes attirées sexuellement par les enfants. Selon le projet allemand «Kein Täter werden» («Ne pas devenir un malfaiteur» en français), il y aurait entre 0,23% et 3,8% d’hommes pédophiles, rapporte l’association DIS NO sur son site internet. D’autres études, notamment étasuniennes, parlent de 1 à 5%. Pour la Suisse, cela représenterait au moins 66’000 hommes.

Sur le plateau de «Mise au Point», magazine dominical de la RTS, le spécialiste Bruno Gravier avait estimé en 2019 que 3% de la population totale avaient des comportements pédocriminels, répréhensibles aux yeux de la loi. Certains regardent des images pédopornographiques mais ne passent pas à l'acte, avait toutefois appuyé le professeur honoraire de l'Université de Lausanne.

Mais le trouble paraphilique pédophile, selon les termes psychiatriques actuels, n’est pas la seule explication de la pédocriminalité. Parmi les auteurs d’abus sexuels sur enfants, seuls 50 à 60% seraient pédophiles. «D’autres problématiques, telles que les contextes incestuels, la dépendance à la pédopornographie ou le risque de reproduire des abus vécus dans l’enfance viennent augmenter le nombre de personnes concernées par la prévention avant le premier passage à l’acte», souligne l’association DIS NO.

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